L’invasion de l’Ukraine sème le trouble sur la reprise économique
L’invasion de l’Ukraine aura indéniablement des conséquences sur l’économie mondiale. Pas forcément directes, puisque la Russie et l’Ukraine ne représentent respectivement que 2,1 % et 0,4 % du commerce mondial en valeur, mais plutôt des impacts indirects, via deux canaux principaux : tout d’abord, les sanctions économiques infligées par de nombreux gouvernements à l’économie russe, entravent de nombreux flux commerciaux ; ensuite, les prix des matières premières, face aux craintes de pénuries et de nouvelles sanctions, ont subi une forte hausse, qui met à nouveau sous pression les chaînes d’approvisionnement. En effet, de nombreux pays et entreprises sont dépendants à cet égard de la Russie, qui cristallise à elle seule 10 % de la production mondiale de pétrole et 36 % des importations européennes de gaz, mais également, combinée avec l’Ukraine, 15 % des exportations mondiales de blé.
Dans ce contexte, nous avons revu nos prévisions de croissance mondiale à la baisse, de – 0,8 point pour 2022 (+ 3,3 %) et de – 0,4 point pour 2023 (+ 2,8 %). Près des deux tiers de notre révision à la baisse de la croissance mondiale sont attribuables aux chocs de confiance et aux chaînes d’approvisionnement, provoqués par l’invasion de l’Ukraine et par la gestion de la crise Covid-19 en Chine. Le reste est imputable à la hausse des prix des matières premières. L’inflation mondiale s’avérera également plus élevée et plus tenace (6 % en 2022, révisée à la hausse de + 1,9 point) en raison de la hausse des prix de l’énergie des intrants. Ces deux déséquilibres engendreront indubitablement des pressions sur les prix de ventes, et donc sur le pouvoir d’achat des ménages.
Selon nos prévisions, la croissance des échanges internationaux ralentira également en 2022, de – 2 points, pour atteindre + 4 % en volume, soit juste en dessous de sa moyenne de long terme. Si la Russie, en tant que marché de demande finale, n’est pas systémique au niveau mondial, les exportateurs d’Europe centrale et orientale entretenant des liens avec ce pays pourraient néanmoins subir des pertes considérables. De même, la production automobile, notamment en Europe, sera affectée par les pénuries de métaux et gaz essentiels à la production de semi-conducteurs et d’autres pièces. De plus, des secteurs comme la métallurgie, l’électricité, les équipements des ménages, le transport, la chimie et les machines et outils pourraient subir d’importants chocs de rentabilité en raison de leur intensité d’usage en matières premières et de leur capacité limitée à augmenter les prix de vente. A cela s’ajoute le nouveau renforcement des restrictions sanitaires en Chine, suite à la flambée de l’épidémie de la Covid-19, qui pourrait peser davantage sur le commerce. En revanche, les exportateurs nets de matières premières pourraient bénéficier de la hausse des prix et d’effets de substitution potentiels des énergies habituellement fournies par la Russie.
En l’absence d’un renversement des prix d’ici la mi-2022, le choc inflationniste observé, dû aux prix importés et aux goulots d’étranglement prolongés du côté de l’offre, continuerait de se répercuter sur les prix et pourrait ainsi activer une boucle prix-salaire, notamment au Royaume-Uni et en France. En outre, le renouvellement des restrictions sanitaires en Chine pourrait prolonger les pressions sur les chaînes d’approvisionnement et sur les prix à la production. Nous pourrions également observer une volatilité croissante autour de la trajectoire de normalisation de la politique monétaire dans la zone euro et aux Etats-Unis. Les risques (géo)politiques autres que la guerre en Ukraine sont également à surveiller de près, notamment les tensions entre les Etats-Unis et la Chine, tout comme les élections en France et au Brésil.
Heureusement, face à cet environnement international complexe, la plupart des pays de l’UE ont étendu et adopté de nouvelles mesures fiscales d’un montant au moins égal, en moyenne, à 0,6 % de leur PIB afin d’aider les ménages et les entreprises vulnérables à faire face à l’inflation énergétique. Davantage de mesures pourront être mises en place maintenant que la Commission européenne a validé un framework d’aides au secteur privé similaire à celui déployé face à la crise Covid-19. La politique budgétaire continuera de jouer un rôle clé à court terme et d’atténuer en partie l’impact de la hausse des prix de l’énergie sur le revenu disponible des consommateurs.
Ana Boata est directrice de la recherche économique d’Allianz Trade
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