Ne pas se faire d’illusion : la transition énergétique va être pénible

Publié le 12 novembre 2021 à 11h17

Patrick Artus    Temps de lecture 4 minutes

On entend souvent parler des créations d’emplois liées à la transition énergétique (par exemple dans la rénovation thermique des bâtiments et des logements), des opportunités industrielles qu’elle fait apparaître (production et stockage des énergies renouvelables par exemple), des relocalisations qu’elle va rendre possibles (puisqu’on n’importera plus d’énergies fossiles). On pourrait donc penser que la transition énergétique ne va pas faire apparaître de difficultés économiques. Mais c’est une illusion : en réalité, la transition énergétique va être pénible, pour de nombreuses raisons.

Tout d’abord, elle va entraîner d’importantes destructions de capital, en particulier dans la production et l’utilisation des énergies fossiles, dans la production d’automobiles thermiques. Détruire du capital est très coûteux : de l’épargne a été investie (dans des usines, des gisements de pétrole et de gaz, des commerces, etc.), c’est-à-dire qu’on a renoncé à consommer, et brutalement ce capital ne peut plus être utilisé.

Il s’agit ensuite de la modification de la structure des emplois induite par la transition énergétique. Il y aura des destructions d’emplois dans la production d’énergie d’origine fossile, dans la filière automobile (on parle pour la France de 200 000 emplois perdus dans la production, dans le commerce, la réparation des automobiles), et il y aura des emplois créés (entretien des équipements pour les énergies renouvelables, rénovation des bâtiments), mais les compétences sont très différentes, et la transition des emplois détruits vers les emplois créés sera très difficile.

La troisième difficulté vient de la hausse du prix de l’énergie. L’intermittence de la production des énergies renouvelables (le plus efficace de ce point de vue est l’éolien offshore qui produit 50 % du temps) impose d’une part d’avoir une capacité de production d’énergies renouvelables très supérieure à la demande, d’autre part de stocker l’électricité, ce qui est coûteux. Certaines évaluations parlent d’un triplement du prix de l’énergie, ce qui crée donc un problème redistributif majeur, puisque les Français aux revenus les plus faibles consacrent à l’énergie une part de leur revenu trois fois plus importante que les Français aux revenus les plus élevés.

La quatrième difficulté est liée au risque que les matériels nécessaires pour la transition énergétique (éoliennes, cellules solaires, électrolyseurs pour l’hydrogène) soient importés et non fabriqués domestiquement. C’est un risque réel compte tenu de ce qu’on observe déjà (solaire), du fait de la faiblesse des coûts de production en Asie. Si les matériels nécessaires pour la transition énergétique sont importés, la transition énergétique ne conduit pas à des relocalisations même si on arrête d’importer des énergies fossiles, donc ne générera pas de revenu supplémentaire.

Il faut aujourd’hui s’inquiéter de ce que, malgré l’incertitude technologique forte, il faut prendre des décisions lourdes et irréversibles. Prenons l’exemple de l’automobile en Europe. Les normes européennes imposent que seules des voitures électriques seront vendues à partir de 2035. Cela impose aux constructeurs automobiles, dès aujourd’hui, d’investir massivement dans la production de voitures existantes avec la technologie existante qui est la batterie lithium-ion. Mais il n’est pas clair du tout que cette technologie sera celle qui sera utilisée à long terme, en particulier avec sa forte consommation de matières premières (lithium, cobalt, terres rares, etc.).

Cela implique que peut-être les investissements faits aujourd’hui ne portent pas sur la bonne technologie.

Enfin, la dernière difficulté, qui est sévère, est que la transition énergétique se heurte à des irréversibilités qui peuvent la compromettre. On peut prendre l’exemple de l’urbanisme. Quand on a étalé les villes, construit et logé des salariés à de grandes distances des centres-villes, il devient très difficile de réduire les déplacements, d’améliorer l’efficacité énergétique des logements.

Il faut donc s’attendre à de la souffrance avec la transition énergétique rapide : destruction de capital, chômage structurel dû à la difficulté de faire passer les salariés des emplois détruits aux emplois créés, ouverture des inégalités dues à la hausse des prix de l’énergie, perte de revenu si les matériels nécessaires à la transition énergétique sont importés, risque de parier sur les mauvaises technologies, situations héritées du passé qui sont en contradiction avec les nécessités de la transition énergétique.

Patrick Artus Membre du Cercle des Economistes

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Devenu en 1998 directeur de la recherche et des études de Natixis, il est promu chef économiste en mai 2013. Depuis septembre 2024, il est conseiller économique d'Ossiam. Il est également membre du Cercle des Economistes.

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