Quel fédéralisme faut-il dans la zone euro ?

Publié le 10 juillet 2015 à 15h08    Mis à jour le 10 juillet 2015 à 18h47

Patrick Artus

La crise grecque renforce la conviction, déjà présente chez la majorité des économistes, selon laquelle une Union Monétaire constituée de pays hétérogènes n’est ni stable, ni viable en l’absence de fédéralisme. Mais de quel type de fédéralisme s’agit-il ?

 

On évoque souvent des avancées de la zone euro vers des caractéristiques fédéralistes permettant de lutter contre les chocs asymétriques, c’est-à-dire contre les chocs, les crises spécifiques à certains pays. On peut parler de « fédéralisme contracyclique ». Mais le problème est bien plus sérieux : il s’agit de lutter non contre les asymétries conjoncturelles mais contre les asymétries structurelles : les pays de la zone euro divergent parce que leurs structures économiques sont différentes. Il faudra être capable de mettre en place un fédéralisme qui lutte contre les hétérogénéités structurelles, et nous nous interrogeons sur les formes qu’il peut prendre.

Nous allons bien sûr nous intéresser à la structure de la zone euro. Les pays qui constituent la zone euro présentent de multiples hétérogénéités : leurs niveaux de productivité sont différents, ce que montre par exemple le poids de l’industrie dans leur économie ; les niveaux de qualification de la population active sont différents.

 

Dans le même temps, le degré de fédéralisme est extrêmement faible dans la zone euro, avec un budget de l’Union Européenne à peine supérieur à 1% du PIB. Les hétérogénéités entre les pays ne sont pas corrigées. Que se passe-t-il alors ? La différence entre les spécialisations productives génère une divergence des niveaux de revenus, les pays se spécialisent dans des activités qui ont des niveaux de productivité du travail très différents comme on l’a vu plus haut, et la divergence entre les niveaux de revenu crée une tension politique entre les pays, génère aussi des flux migratoires des pays les plus pauvres vers les pays les plus riches, comme on l’a vu dans la période récente, qui affaiblissent encore plus les pays plus pauvres.

 

De plus, les pays à revenu plus faible ont souffert, jusqu’à la crise de 2008-2009, d’une hausse de leurs salaires trop rapide, par rapport à leurs gains de productivité, avec convergence vers les niveaux de salaires des pays à revenu élevé, ce qui a d’une part dégradé leur compétitivité-coût, d’autre part fait apparaître un très important déficit de leur commerce extérieur qui déclenche la crise de balance des paiements de 2008-2009 quand ce déficit n’est plus financé par les pays excédentaires du cœur de la zone euro.

 

Ces évolutions observées dans la zone euro confirment bien les prédictions de la plupart des économistes : une Union Monétaire entre pays hétérogènes n’est pas viable s’il n’y a pas de fédéralisme venant corriger les méfaits de l’hétérogénéité. Mais de quel type de fédéralisme parle-t-on ?

 

Les projets, les avancées qui sont en discussion relèvent de ce que nous appelons le « fédéralisme contracyclique » : des mécanismes qui corrigent les effets des chocs asymétriques, c’est-à-dire des chocs qui n’affectent que certains des pays de la zone euro. La littérature théorique s’est d’ailleurs concentrée sur cette question de la résistance des Unions Monétaires aux chocs asymétriques. La littérature empirique a regardé si les cycles étaient similaires entre les pays de la zone euro.

 

Quelles propositions a-t-on dans le cadre de ce « fédéralisme contracyclique » ? D’une part, la proposition des présidents des différentes institutions européennes pour créer un fonds européen de stabilisation conjoncturelle ; d’autre part, la proposition de création d’un système européen d’indemnisation du chômage, ce qui crée bien sûr un transfert vers les pays à chômage plus élevé, mais qui nécessiterait bien sûr une harmonisation des règles d’indemnisation entre les pays.

 

Les fonds de soutien européens en direction des pays en difficulté (EFSF-ESM) participent évidement aussi au « fédéralisme contracyclique ». Mais le problème essentiel dans la zone euro n’est pas la présence de chocs asymétriques : même s’il y a des différences, les cycles économiques sont voisins dans tous les pays de la zone euro. Le problème essentiel de la zone euro est, comme on l’a vu plus haut, celui des asymétries structurelles (structure productive, productivité, qualification de la population active…). Créer du « fédéralisme contracyclique » ne résout donc pas le problème d’hétérogénéité de la zone euro : il faut un fédéralisme qui réduise les hétérogénéités structurelles.

 

Nous voyons donc l’ampleur du problème : une Union Monétaire avec des pays hétérogènes n’est pas viable sans fédéralisme, en raison de la divergence des revenus, du risque de crise de balance des paiements. Mais mettre en place des mesures de lutte contre les chocs asymétriques ne suffit pas, puisque le problème est l’ampleur des asymétries structurelles. Il faut donc trouver des politiques nouvelles dans la zone euro qui réduisent l’hétérogénéité structurelle. Il peut s’agir d’une augmentation de la taille du budget de l’UE avec des fonds structurels plus importants et mieux investis ; il peut s’agir d’une hausse de la taille du Plan Juncker de financement des investissements ; il peut s’agir de la mise en commun de certains impôts (TVA par exemple), ce qui entraîne à la fois une réduction des écarts cycliques et des transferts redistributifs des pays les plus riches vers les plus pauvres.

Patrick Artus Membre du Cercle des Economistes

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Devenu en 1998 directeur de la recherche et des études de Natixis, il est promu chef économiste en mai 2013. Depuis septembre 2024, il est conseiller économique d'Ossiam. Il est également membre du Cercle des Economistes.

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