Qui paye quand on fait payer les banques?
Une pluie de milliards de dollars d’amendes ! 16 pour Bank of America, 14 pour JP Morgan, 8,9 pour BNP, 2,6 pour Crédit Suisse, 4,1 pour Deutsche Bank, 2,4 pour HSBC, 1,7 sur UBS ! Plus RBS et Barclays pour des dizaines de millions, plus les enquêtes sur Deutsche Bank, en attendant les autres. Les banques payent aux Etats-Unis, maintenant qu’elles ne risquent plus de mourir. Cette logique de pénalisation se répand en Europe, regardons la France avec UBS en attendant les premières class actions, puis dans les pays émergents, regardons la Chine. Les autorités demandent plus de comptes aux banques sur leurs (coupables) pratiques commerciales (misselling, subprimes, optimisation fiscale), leurs (répréhensibles) ententes (Libor, Euribor) et sur leurs (mauvaises) tenues des dossiers (foreclosures aux Etats-Unis). Ceci sans compter une fiscalité accrue et des règles déontologiques plus contraignantes, sous le regard plus acéré des banques centrales, marchés, clients, actionnaires, salariés… plus réseaux sociaux.
Les beaux jours de la banque sont-ils comptés ? On peut se le demander, étant entendu que ces « beaux » sont loin. Aujourd’hui c’est la triple peine : les banques payent pour le passé, pour se renforcer (Bâle) et pour s’amender (engagements sociétaux vers une « finance utile et responsable »). Que veut-on à la fin ? Une banque utility ou une banque utile ?
La banque utility, ce seraient les EDF/SNCF de la finance. Cette banque aura la rentabilité qui financera son fonctionnement, plus un peu de croissance externe, pas davantage. Elle cherchera des dépôts à court et moyen terme pour financer des bons du trésor de qualité et des papiers « sûrs ». Elle gagnera donc peu d’argent sur ces placements et rémunèrera peu ses clients. Elle fera très attention aux charges, ne gagnera pas grand-chose, distribuera moins encore. Ultra-prudente, elle financera moins le logement, en tout cas sa part risquée (les ménages fragiles), financera moins à long terme (pour réduire le risque de transformation) et moins les PME/TPE (elle titrisera). Gagnera-t-elle alors assez pour se moderniser et accompagner ses clients, notamment à l’international ? C’est à voir.
La banque utile n’est pas celle-là. Son métier est de prendre et d’originer les risques que ne prennent pas les marchés : personnes, TPE, start up, PME et grandes entreprises pour des montages complexes. Il lui faut de l’informatique et des experts, donc couvrir ses charges avec marge, puisqu’elle prend plus de risques dans la durée. Le cycle du crédit de la banque est plus long que celui des affaires, 10 ans contre 5. La rentabilité des banques utiles se mesure donc sur plus longue période que celle des entreprises classiques. Elles doivent avoir une rentabilité plus forte pendant plus longtemps, pour se préparer aux chocs en cours et aux récessions qui viennent.
Bien sûr la banque va changer et se marchéiser. Mais on découvrira alors que les taux des crédits titrisés sont plus élevés, simplement parce qu’on ne pourra plus « moyenner » les conditions de coût et de risque comme la banque le fait en son sein. On connaîtra les vrais prix de l’intermédiation et du risque, les différences entre crédit bancaire, crédit titrisé et crédit entièrement de marché en fonction des tailles et des risques des opérations. Le crowdfunding va se développer pour les petits crédits. Mais il sera plus cher que le crédit bancaire, en attendant les premiers sinistres (ce que personne ne souhaite).
Les amendes et contraintes devraient donc cesser. Les banques ont compris. Surtout, il est plus risqué de les transformer en utility que de surveiller qu’elles sont utiles. La moindre valorisation boursière du capital bancaire qui en résulte va les affaiblir – la croissance avec.
Pour financer une économie il n’y a pas de miracle, mais il y a toujours des excès. Pas de miracle, car il faut collecter des ressources et les garantir, pour prendre des risques calculés. Toujours des excès, avec ces euphories où on oublie toute prudence. C’est pourquoi il faut des financiers et des déontologues internes, des surveillants et des enquêteurs externes. Mais attention à ne pas surveiller excessivement les excès, car c’est alors la croissance qui paye, cette croissance plus fragile et plus subtile que celle qui est traitée par les marchés financiers, avec l’emploi qui va avec.
Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.
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