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Responsabilité actionnariale et responsabilité d’entreprise
Les institutions dotées une stratégie de long terme ont une influence réelle et positive sur la responsabilité sociale des entreprises dont elles sont actionnaires et ce, d’autant plus qu’elles le sont durablement et avec un poids relatif important.
Dans leur article de synthèse « Ownership and Sustainability : the Type of Investor Matters », Franck Bancel et Dejan Glavas* analysent la littérature récente sur la question de l’influence des différents types d’investisseurs, institutionnel, famille ou Etat, sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises cotées. Ils recensent plus de 75 articles traitant des liens entre actionnariat et management dans une perspective extra-financière et se concentrent sur l’actionnariat qui a potentiellement le plus de poids et donc le plus de capacité d’influencer le management des entreprises. C’est pourquoi les actionnaires individuels, d’ailleurs également sensibles aux bonnes nouvelles sur ces aspects, ne sont pas considérés dans leur étude car leur poids est moins directement mobilisable. Les multiples possibilités d’influence des actionnaires sur les entreprises sont bien connues et en plein développement, notamment par l’interaction au sein des instances ou en lien avec le management, comme par exemple l’engagement actionnarial peut le mettre en place.
Une présence de l’Etat souvent source de conflits d’intérêts
La littérature empirique, portant tant sur les marchés américains qu’européens, tend à montrer que les institutions ayant une stratégie de long terme ont une influence réelle et positive sur la responsabilité sociale des entreprises dont elles sont actionnaires et ce, d’autant plus qu’elles le sont durablement et avec un poids relatif important. L’actionnariat familial, dont les vertus sur les performances de long terme ont été souvent démontrées, n’a en revanche pas, d’après la littérature existante, une influence systématiquement positive. Certes les données manquent pour pouvoir être catégorique et d’autres études seraient bienvenues, mais les chercheurs considèrent que seules les familles conduisant des stratégies de long terme ont une influence positive sur les questions environnementales et sociales. Enfin si l’Etat, présent dans les entreprises où le poids de son actionnariat est visible, a une influence nette et positive sur les politiques responsables de ces entreprises, sa présence se traduit souvent par des conflits d’intérêts, en particulier avec les minoritaires quand il est majoritaire. Ainsi les scores ESG souffrent-ils d’une gouvernance déséquilibrée et potentiellement défavorable aux actionnaires minoritaires.
La finance inclusive fait donc progressivement son chemin, et les entreprises, bon gré parfois quand leur management est convaincu, mal gré quand ils sont plus sceptiques, améliorent progressivement leurs impacts extra-financiers. Comme le montrent certaines études, les entreprises ont parfois tendance à le faire davantage lorsque leurs performances financières sont médiocres. L’équilibre entre les objectifs financiers et extra-financiers est un véritable sujet, aujourd’hui abordé au cas par cas, avec de grandes différences selon les secteurs. A la lumière des articles recensés par cette étude, ces éléments extra-financiers s’intègrent dans une perspective de long terme, qu’il s’agisse de transitions ou de risques. Les actionnaires ne sont, heureusement, pas les seuls à influencer les comportements des entreprises.
Une arme réglementaire aux effets indésirables
Les médias anciens ou modernes sont évidemment des leviers efficaces, car les entreprises restent soucieuses de protéger leurs marques et leur réputation. Comme beaucoup d’études empiriques l’ont illustré, le moyen radical en matière de changement de comportement reste l’arme réglementaire. Mais à trop contraindre et surtout, sans flexibilité ni adaptation, ce moyen peut avoir des effets indésirables. Ce que cette étude montre encore, c’est que la capacité à appréhender les impacts extra-financiers, mesurables ou non, et à les rendre disponibles au travers de bases de données, est cruciale, quand bien même cela serait coûteux. En bref, les actionnaires responsables ont clairement raison de ne pas s’intéresser qu’aux profits de court terme car ils contribuent à favoriser les stratégies vertueuses des entreprises.
* Franck Bancel et Dejan Glavas, « Ownership and Sustainability : the Type of Investor Matters », Bankers, Markets and Investors.
Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.
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