Un coût difficile à évaluer par la recherche académique
Plusieurs études ont analysé les actes terroristes passés et leur impact sur les marchés. Le 11 septembre 2001 a ainsi généré une baisse supérieure à 5 % à Wall Street et sur la plupart des places boursières occidentales. Les bombes posées dans les transports à Madrid (11 mars 2004) ont eu un impact immédiat de - 2,62 %[1] sur l’indice MSCI Europe et de - 1,60 % sur le S&P500, tandis que les événements de Londres du 7 juillet 2005 ont fait chuter les marchés européens (- 1,63 %) mais pas Wall Street. Pour tous ces événements, les secteurs de l’aviation, du tourisme et de l’assurance sont les plus touchés à court terme. Le secteur de la défense est un cas particulier. Ainsi, une étude des attaques d’entreprises israéliennes durant le conflit israélo-palestinien entre 1998 et 2000 montre un impact de + 3,89 % pour les entreprises liées à la défense et de - 4,58 % pour les entreprises appartenant à un autre secteur.
Dans certains cas, les investisseurs peuvent avoir du mal à estimer instantanément l’impact à long terme. Ainsi, après les attentats de Madrid en 2004, le principal indice de la Bourse de Madrid, l’IBEX35, a perdu 2,21 % le premier jour, mais 5,22 % sur les six premiers jours de Bourse. Une étude du marché des bureaux à New York après le 11 septembre 2001 permet d’illustrer cette difficulté à apprécier l’impact des attentats. Tandis que la valeur des actions des REITS (Real Estate Investment Trust) exposés aux marchés des bureaux de New York s’accroissait de 4,1 % durant la semaine suivant les attentats, anticipant une demande accrue de bureaux, le marché physique voyait ses prix baisser. Les insiders des sociétés concernées ont été les premiers à réagir : les auteurs de l’étude montrent que leurs ventes d’actions ont fortement crû durant le mois suivant. Dès novembre 2001, les analystes ont, eux également, revu à la baisse leurs recommandations initialement optimistes sur les marchés de bureaux à New York, et les prix des actions se sont ajustés pour être en phase avec ceux du marché physique à la fin de novembre.
L’impact économique effectif des attentats semble ainsi être parfois difficile à quantifier à court terme. Plusieurs études soulignent qu’une des conséquences majeures des attentats est la réduction des investissements étrangers. Une analyse des actes terroristes au Pays basque espagnol estime qu’ils ont entraîné une baisse de 10 % du PIB par habitant. C’est la conclusion à laquelle arrive également une étude de l’économie israélienne, qui souligne toutefois que l’effet d’une attaque donnée est limité dans le temps, c’est l’accumulation des événements qui pèse sur la croissance.
Gary Becker (prix Nobel d’économie 1992, décédé en 2014) estimait que la peur générée par le terrorisme a des effets importants et durables sur le comportement humain, et donc sur l’économie. A la suite du 11 septembre 2001, les déplacements en avion aux Etats-Unis ont diminué de 15 % en moyenne, et cette diminution a persisté jusqu’en 2004 au moins. De façon plus anecdotique, la circulation à Paris était très intense lundi 16 novembre, liée probablement à l’évitement des transports en commun pour certaines personnes. A l’aide d’une approche d’économie comportementale, Gary Becker étudie le comportement des Israéliens durant la seconde intifada (2000-2002), caractérisée par des attentats-suicide dans des bus et des cafés. Alors que le risque d’un accident de voiture restait très supérieur à celui d’être victime d’un attentat, un nombre significatif d’habitants ont renoncé au bus. Il distingue les usagers habituels et occasionnels des bus. Il montre que les usagers habituels des bus ont continué à les utiliser, et également à fréquenter les cafés, tandis que les usagers occasionnels n’ont pas réussi à surmonter leur peur et n’ont plus utilisé les bus. Ils ont de surcroît évité les cafés. Les couples mariés ont cessé de fréquenter les cafés tandis que les célibataires n’ont pas modifié leur comportement. Ses résultats établissent également que les personnes les moins éduquées sont celles dont les comportements ont le plus tardé à revenir à la normale. Cette étude tend à montrer que l’impact économique des attentats sera d’autant plus limité que chacun reprendra au plus vite ses habitudes antérieures.
[1] Toutes les rentabilités citées dans le texte sont des rentabilités anormales, c’est-à-dire des différences entre des rentabilités brutes observées et des rentabilités attendues en l’absence d’attentat. Les références des études citées peuvent être demandées à l’auteur.
Edith Ginglinger est professeur à l’Université Paris-Dauphine
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