Les directions financières dans la crise

Armor-Lux résiste à la tempête

Publié le 16 octobre 2020 à 18h45

Anaïs Trebaul

Au printemps, au plus fort de la crise, l’entreprise bretonne spécialisée dans l’habillement, Armor-Lux, a vu son chiffre d’affaires chuter de 10 % à 100 % selon ses différentes activités. Mais grâce au développement de son site Web et de ses contrats auprès des professionnels, le groupe a réussi à enrayer la baisse de son activité. La reprise des ventes en magasin, ainsi que son travail d’optimisation des coûts et d’amélioration de son BFR permet à Armor Lux de repartir désormais sur des bases plus solides. Le budget va toutefois être l’occasion pour le groupe de tirer les premières leçons de la crise.

Comment la crise sanitaire actuelle affecte-t-elle votre activité ?

Notre activité consiste en la production et la vente de vêtements. 60 % de notre chiffre d’affaires provient de la vente au grand public à travers différents réseaux de distribution (80 boutiques Armor-Lux, un réseau de revendeurs et notre site Web). L’autre partie, soit 40 %, est issue de la vente aux professionnels, qui fonctionne via des appels d’offres pour des marchés de 3 à 5 ans, auprès de grands groupes, tels que La Poste, GeoPost, SNCF, Leroy Merlin ou encore Eiffage. 

En mars, avec la fermeture des magasins de vêtements, notre chiffre d’affaires magasins a diminué de 50 % par rapport à l’an dernier, puis de 100 % en avril. En mai, les boutiques ont rouvert mais la reprise a été très lente, et notre activité était toujours en baisse de -70 % par rapport à 2019. Ensuite, la situation s’est améliorée. En juin, alors que nous nous attendions à une baisse de 50 %, celle-ci est retombée à -30 %. Et depuis le mois de juillet, nous avons retrouvé nos niveaux d’avant la crise, profitant du tourisme cet été en Bretagne. En parallèle, les ventes sur le Web ont battu des records. En trois mois, notre activité a réalisé la progression que nous attendions en deux ans, soit +50 %. Depuis, nos ventes sur le Web se maintiennent aux mêmes niveaux que pendant le confinement. Alors qu’elles représentent actuellement 12 % de nos ventes grand public, nous estimons qu’elles atteindront 15 % dans les dix-huit prochains mois. En outre, dès le mois de mars, nous avons confectionné des masques pour le grand public et les professionnels. À ce stade, nous en avons vendu environ 2 millions, ce qui nous a permis de limiter une partie de la perte de chiffre d’affaires liée à la fermeture des boutiques. 

En outre, notre activité pour les professionnels a été peu perturbée. Nous avons subi des baisses de chiffre d’affaires de -10 % à -15 % pendant le confinement, essentiellement dues à des refus de livraison ou à des demandes de reports de commandes, mais nos donneurs d’ordres ont, dans l’ensemble, maintenu leurs commandes. Leur confiance et leur soutien méritent d’être distingués.

Le secteur de l’habillement a beaucoup souffert de la crise sanitaire et souffre encore. Nous pensons que cette diversification d’activité nous a permis d’être plus résilients. 

Notre chiffre d’affaires 2020 devrait baisser de l’ordre de - 5 % à - 8 %, mais il reste trois mois d’exercice et beaucoup d’incertitudes.

La direction financière a-t-elle dû prendre des mesures particulières dans ce contexte exceptionnel ? 

Nous avons sollicité plusieurs reports de charges Urssaf sur les mois d’avril, mai et juin, que nous avons remboursées sur juillet, août et septembre. Nous sommes désormais à jour. Nous avons également sollicité des reports d’échéances concernant nos emprunts bancaires. Nous avons demandé à ce que ceux-ci soient décalés «en bout de tableau», en rallongeant la durée de l’emprunt. La majeure partie de nos banquiers a accepté, d’autres nous ont alloué un report de dix-huit mois. 

Ensuite, nous avons pris deux mesures fortes. D’une part, nous avons passé au peigne fin nos dépenses de fonctionnement. Nous avons notamment réduit nos dépenses de communication. En effet, de nombreux événements (Fêtes maritimes de Brest, festivals…) ont été reportés ou annulés. Nous avons également diminué, par la force des choses, nos frais de déplacement en France et à l’étranger pour l’activité export.

D’autre part, nous avons amélioré notre besoin en fonds de roulement. Afin de réduire nos stocks, nous avons choisi de reporter la fabrication – au sein de nos sites de productions à Quimper et à Troyes – de la collection automne-hiver 2020-2021, qui est habituellement mise en magasin pendant l’été. Nous avons choisi de vivre sur nos stocks et de les écouler. Nous avons également poursuivi notre stratégie de densification de notre offre de produits permanents, mise en place depuis trois ans. Ainsi, nous avons réduit nos stocks d’environ 2 millions d’euros. Au début du confinement, les impayés sur nos détaillants multimarques se sont envolés. Nous avons essayé d’être compréhensif avec nos revendeurs historiques mais la situation était telle que nous avons dû, parfois, faire preuve de fermeté, notamment en refusant de nouvelles commandes en cas de non-paiement. En parallèle, nous avons tenu à respecter les délais de règlement à l’égard de nos fournisseurs. 

Par ailleurs, nous avons mis en place de nouveaux indicateurs, nous permettant notamment d’améliorer la vision de notre chiffre d’affaires engagé pour les prochains mois. Nous avions déjà un outil pour connaître notre chiffre d’affaires en temps réel. Mais il fallait accroître la visibilité sur nos commandes restantes à livrer. Désormais, je peux piloter au plus près notre résultat annuel et effectuer des projections de fin d’année.

Enfin, afin de mieux suivre notre trésorerie, nous avons choisi de mieux décomposer nos besoins et nos capacités de financements. L’objectif est d’avoir une vision globale des différentes autorisations bancaires dont nous disposons à date, afin de connaître nos marges de manœuvre et de savoir sur quelles lignes nous pouvons tirer. Nous avons en effet 9 millions d’euros d’emprunt à moyen terme à rembourser, ainsi qu’un PGE de 16 millions d’euros. En parallèle, nous disposons d’excédents court terme pour 7 millions d’euros, ce qui nous donne une dette nette de 18 millions d’euros.

Vous mentionnez votre PGE, à quels dispositifs publics avez-vous eu recours ?

Nous avons effectivement sollicité un PGE de 16 millions d’euros, que nous avons obtenu au mois d’avril. Nos banques, en véritable soutien, ont été admirables de réactivité et d’efficacité. En revanche, le contexte sanitaire et économique ne nous permet pas d’établir des projections de trésorerie assez solides pour l’instant. Il est donc difficile de savoir à quelle échéance nous le rembourserons. 

Nous avons également eu recours au chômage partiel pour une moyenne de 30 % de nos effectifs entre le 15 mars et le 30 juin, avec un pic de 60 % en avril, essentiellement pour le personnel de nos boutiques, fermées pendant près de deux mois. Désormais, moins de 10 % de nos effectifs sont au chômage partiel. 

Comment votre direction financière s’est-elle organisée ces derniers mois et comment travaille-t-elle aujourd’hui ?

La direction financière est composée d’une vingtaine de personnes, qui sont restées présentes au sein de notre siège à Quimper, même pendant le confinement. Autant que possible, nous avons favorisé le présentiel. La situation sanitaire en Bretagne qui n’était pas une zone de circulation active du virus nous a permis de le faire. Les personnes en charges de la trésorerie ont été présentes à plein temps, le service comptable a fonctionné sur la base d’un roulement, entre présentiel et chômage partiel. Désormais, nous retrouvons une activité presque normale.  

Quels sont vos principaux chantiers pour accompagner la relance de votre activité ? 

Nous allons prochainement préparer notre budget 2021, ce qui sera complexe dans le contexte actuel. Nous allons tirer les leçons de la crise, chaque ligne de dépenses devra être vérifiée précisément. En termes d’objectifs, nous espérons pouvoir retrouver le chiffre d’affaires de 2019. 

En outre, sur la base de notre atterrissage 2020 présenté à nos partenaires bancaires, ces derniers ont accepté de renouveler nos lignes d’autorisations de court terme, d’un total de 36 millions d’euros, sur lesquelles nous n’avons pas tiré pour l’instant.

Ensuite, pour 2021, nous avons deux axes de développement principaux. D’une part, nous allons accélérer notre virage numérique. Afin de renforcer le développement de nos ventes sur Internet, nous allons refaire notre site Web, en améliorant son ergonomie, et en simplifiant le parcours client ainsi que le paiement. De plus, nous allons investir dans un logiciel de gestion des entrepôts (WMS), qui va nous permettre de soutenir la croissance des ventes en ligne et d’améliorer et de simplifier la préparation de nos commandes.

D’autre part, nous allons nous renforcer à l’export. Pour l’instant, nous réalisons environ 10 % de notre chiffre d’affaires à l’étranger. Nous avons pour objectif de le porter à 15 %. Pour cela, nous allons lancer une mission de prospection dans plusieurs pays étrangers.

Enfin, d’ici à l’été 2021, nous changerons notre logiciel de comptabilité. Ce nouvel outil va notamment nous permettre de mieux travailler sur notre comptabilité analytique et de synthétiser nos informations à travers des tableaux de bord. 

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