Gouvernance

Comment devient-on administrateur indépendant ?

Publié le 17 novembre 2017 à 11h44    Mis à jour le 17 novembre 2017 à 17h33

Essentielle au bon fonctionnement d’un conseil d’administration, la fonction d’administrateur indépendant est encore trop souvent méconnue. Elle reste, il est vrai, difficile d’accès car elle nécessite des compétences particulières… et un bon réseau.

«On m’appelle souvent pour me demander la marche à suivre pour devenir administrateur indépendant et à chaque fois, j’invite mon interlocuteur à s’interroger sur ce qu’il peut apporter comme plus-value au fonctionnement et à la stratégie de l’entreprise qui l’intéresse», dévoile Agnès Touraine, présidente de l’Institut français des administrateurs (IFA). Garant d’une gouvernance équilibrée, l’administrateur indépendant joue en effet un rôle crucial dans le bon fonctionnement d’un conseil d’administration. En contact direct avec l’exécutif et avec ses confrères administrateurs représentant l’actionnaire majoritaire et les salariés, il contribue par sa compétence et sa liberté de jugement à permettre au conseil d’exercer au mieux sa mission. Un profil ouvert à tous ? Pas si sûr. On compte 809 mandats d’administrateurs indépendants dans les sociétés du SBF 120 en 2016, ce qui représente plus d’un mandat sur deux. «Afin d’être qualifié d’indépendant, un membre du conseil doit avant tout être libre d’intérêts, c’est-à-dire qu’il ne doit pas se trouver dans une situation susceptible d’altérer son jugement», ajoute Agnès Touraine. Le code Afep-Medef, qui sert de référence aux sociétés cotées, stipule qu’il ne doit pas avoir été salarié, dirigeant mandataire social exécutif, client, fournisseur ou banquier de la société ou de sa société mère aux cours des cinq dernières années. De même, il ne peut percevoir de rémunération liée à la performance de l’entreprise ni cumuler plus de cinq mandats, sachant enfin qu’il perd sa qualification d’indépendant «à la date des douze ans» d’un même mandat. En contrepartie, la rémunération, même si elle est trois à cinq fois moins élevée qu’au Royaume-Uni, est attrayante, en moyenne 50 000 euros par an (hors jetons de présence) en France. Mais la responsabilité est de taille car un administrateur indépendant engage tout autant sa responsabilité civile que pénale (chaque administrateur est solidairement responsable de la décision collective prise).

Beaucoup de postulants, peu d’élus

Ces critères de base remplis, encore faut-il respecter quelques prérequis essentiels. Le premier d’entre eux, aussi évident qu’il puisse paraître, est d’être compétent car il faut maîtriser parfaitement les rouages et le fonctionnement d’une entreprise. La fonction d’administrateur indépendant s’adresse donc en premier lieu à tous ceux qui ont un parcours professionnel de haut niveau. Il s’agit ainsi de personnes le plus souvent issues de grandes écoles qui ont eu un mandat social, autrement dit aux dirigeants d’entreprise, aux directeurs financiers et responsables des ressources humaines.

Au-delà de ces fondamentaux, l’administrateur doit apporter une réelle valeur ajoutée au sein du conseil qu’il veut rejoindre. Dans ce sens, une bonne réputation est donc nécessaire. «En ce qui me concerne, j’ai été chassé sur recommandation, mais aussi recruté grâce au bouche-à-oreille, raconte Ross McInnes, président du conseil d’administration de Safran et actuellement administrateur indépendant et président des comités d’audit d’Eutelsat Communications et d’IMI Plc. Quand j’étais directeur financier chez Thalès, ma compétence spécifique était recherchée et a servi de moteur à ma première nomination en tant qu’indépendant au conseil de Faurecia en 2007.»

Nommée au sein des conseils d’administration de Neopost (en 2016) et d’Europcar (2015), Virgnie Fauvel, membre du comité exécutif d’Allianz France en charge du digital et du market management, a été chassée à deux reprises. Son expertise accumulée dans le numérique (elle a lancé la banque en ligne européenne Hello Bank ! en 2013) a été décisive. «Les chasseurs de têtes ont été très attentifs à mon parcours, à mes compétences, à ma personnalité, l’objectif étant que chaque administrateur apporte son regard propre, sa valeur ajoutée tout en veillant au respect et à l’équilibre du collectif, explique-t-elle. Il ne s’agit pas de prendre la place d’un exécutif.»

Montrer sa motivation et sa capacité à innover est aussi essentiel. «Gare au fantasme ! Etre administrateur indépendant demande une très forte implication, savoir poser les bonnes questions qui font avancer», insiste la chasseuse de têtes Diane Segalen. Face à une équipe dirigeante pleinement engagée, l’administrateur se doit de toujours challenger le management… «Challenger non pas dans le sens de défier ou de contredire, mais de permettre d’examiner un sujet sous tous les angles, de balayer toutes les options avec exigence», ajoute Ross McInnes.

Des réseaux différents selon la taille des sociétés

Même en remplissant tous ces critères, il n’est pas simple de parvenir à un poste d’administrateur. Beaucoup de candidats postulent spontanément mais l’accès au recruteur n’est pas aisé. D’abord, la plupart des grands groupes préfèrent déléguer ce type de recrutement. «Le schéma est souvent le même : le comité de nomination d’une entreprise définit le profil qui lui convient (compétences professionnelles et personnelles adaptées à son secteur d’activité), et procède lui-même aux entretiens ou en délègue la mission à un chasseur de têtes.» Ce qui, souvent, n’empêche pas un membre du conseil de «recommander» un ou deux noms au chasseur…

Ensuite et surtout, quelle que soit la taille de l’entreprise, avoir un réseau est souvent incontournable pour obtenir un poste d’administrateur indépendant. Pour les entreprises de taille intermédiaire, il existe des réseaux structurés comme APM, Réseau Entreprendre, des associations d’anciens élèves de grandes écoles, qui peuvent être des viviers de recrutement d’administrateurs… Pour les grands groupes, le cercle est encore plus restreint. «La cooptation et même une consanguinité restent visibles au sein des conseils des grands groupes internationaux», note Mattéo Guerra, directeur de Page Executive. «Les entreprises du CAC 40 recrutent encore beaucoup par réseautage», reconnaît un ancien administrateur. Beaucoup de PDG continuent ainsi de sélectionner leurs administrateurs censés être indépendants avant tout en fonction de leur faible capacité de nuisance en conseil…

Des formations sur mesure

Face à l’engouement et à la féminisation de la profession d’administrateur indépendant, plusieurs formations ont vu le jour ces dernières années. Certains grands groupes continuent de former eux-mêmes en interne leurs futurs administrateurs, mais de plus en plus n’hésitent plus à recruter des candidats sur certification.

Certaines grandes écoles – HEC, Audencia Business School, ESG en partenariat avec l’Association des dirigeants et administrateurs d’entreprise (ADAE) – proposent des programmes de formation certifiants plus ou moins courts (de quelques heures à quelques semaines) et solides. Mais la formation la plus connue reste celle de l’IFA. En partenariat avec Sciences Po, l’institut propose à ses adhérents depuis 2010 un certificat de niveau I, un cycle de douze jours (sur six mois) pour devenir administrateur de sociétés certifié. Elle revendique plus d’une centaine de professionnels formés chaque année.

Une relève féminine assurée

Entrée en vigueur en janvier, la loi Copé-Zimmermann, reprise par le code Afep-Medef, impose un quota de 40 % de femmes dans les conseils. Une discrimination positive plutôt bien respectée par les entreprises du SBF 120. Selon les derniers chiffres de l’IFA, 41,6 % de leurs boards sont occupés par des femmes (chiffres assemblées générales 2017).

Et pourtant, il n’est pas toujours facile de recruter des femmes. «Peu sont dirigeantes d’entreprise, remarque Diane Segalen. Au niveau européen par exemple, on ne compte que 54 femmes directrices financières parmi les sociétés cotées de plus de 8 milliards d’euros de capitalisation boursière, et toutes ont déjà été sollicitées.» C’est la raison pour laquelle les comités de nomination s’orientent de plus en plus vers des profils féminins moins conventionnels, souvent issus de la nouvelle économie, un secteur à forte composante féminine et sous-représenté au sein des conseils… L’occasion pour ces derniers de faire d’une pierre deux coups…

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