Métier

Consolideurs : stop aux préjugés !

Publié le 15 février 2019 à 16h52

Anaïs Trebaul

Les consolideurs pâtissent toujours d’une perception négative de leur métier, considéré comme très technique et strictement comptable. Cette image tend pourtant à s’éloigner de la réalité, ces spécialistes étant de plus en plus amenés à travailler étroitement avec le top management pour participer à l’élaboration des décisions stratégiques du groupe.

Technique, très normé, isolé, éloigné de l’activité de l’entreprise… Autant d’expressions qui sont souvent employées pour qualifier le métier de consolideur, et qui se ressentent aussi malheureusement de plus en plus dans les recrutements !

Jugée peu attractive par beaucoup, la profession fait en effet état d’un déficit de consolideurs de plus en plus sérieux. «Le marché du recrutement des consolideurs fait toujours partie de ceux pour lequel l’offre excède la demande, et ce phénomène tend à s’accentuer actuellement, commente Stéphane Durand, consultant senior chez Lincoln. Et ce, malgré des rémunérations annuelles conséquentes. «Elles oscillent en moyenne entre 35 000 et 70 000 euros par an pour des profils juniors et plus confirmés sans équipe à manager, et autour de 130 000 euros pour des profils managers/directeurs d’équipes au sein de grands groupes.»

Des candidats rares

Il faut dire que le marché est particulièrement tendu, aussi bien sur les profils juniors que seniors. Pour les premiers, les formations manquent. «Il y a très peu de formations diplômantes en consolidation et de ce fait très peu de profils juniors», ajoute Stéphane Durand. Un constat qui n’empêche pourtant pas les groupes de rechercher des profils toujours très aguerris. «Les directions des très grands groupes (CAC 40 et SBF 120) recherchent des financiers ayant trois à cinq ans d’expérience en cabinet d’audit avec un diplôme d’école de commerce ou universitaire (master 2) et le diplôme supérieur de comptabilité et de gestion (DSCG), voire idéalement le diplôme d’expertise comptable (DEC), précise Stéphane Durand. Les PME et ETI misent davantage sur des profils pluridisciplinaires, ayant notamment des appétences pour les systèmes d’information et la gestion de projet, mais qui disposent également d’un solide socle technique, notamment par le biais d’une formation initiale en comptabilité.»Pour les profils seniors, les candidats potentiels sont également très rares, mais en plus de cela, le marché est très concurrentiel. «S’il n’y a pas eu forcément de créations de postes plus nombreuses ces dernières années, le turnover sur ces métiers est plus important, souligne Stéphane Durand. En effet, dans un contexte de marché du recrutement des cadres soutenu et bien orienté (mobilités internes et externes), et notamment pour les populations financières, la quête des talents en consolidation ne s’est jamais autant vérifiée qu’actuellement, d’autant que les cabinets de conseil en consolidation sont aujourd’hui également très actifs sur ce marché.»

De ce fait, certaines directions financières sont amenées à faire appel à des cabinets d’expertise externes. «Du fait de la rareté des consolideurs et de la complexité accrue des normes comptables, les entreprises externalisent de plus en plus une partie de leurs travaux de consolidation, voire la totalité de cette activité, souligne Vincent Houlès, associé chez BM&A. Des cabinets interviennent de façon récurrente, en renfort des équipes internes lors des arrêtés, pour assurer le traitement d’opérations complexes ou encore sur des projets d’optimisation des processus et des organisations.»

Une profession à valoriser

Conscients que ce système D n’est pas viable à grande échelle, les spécialistes cherchent donc à rendre le métier plus attrayant, de manière à susciter des marques d’intérêt. «La rareté des consolideurs ayant une véritable expertise est frappante, constate Vincent Houlès. Pour y remédier, il faut réussir dans un premier temps à séduire les jeunes diplômés ayant à la fois une appétence pour l’expertise et un potentiel pour évoluer sur du conseil, puis dans un deuxième temps, assurer une formation de très haut niveau. Nous travaillons par conséquent à faire connaître dans les écoles de commerce et les universités ce métier qui reste très peu connu, alors qu’il ouvre les portes des grands groupes internationaux et permet aux très bons profils comptables d’accélérer leur évolution.» Car il faut dire que les consolideurs ont de quoi vouloir faire changer l’image que certains peuvent avoir de leur métier.

Certes, le cœur de la profession repose sur la maîtrise des problématiques comptables, qui tendent d’ailleurs à devenir de plus en plus complexes.

«La mise en place de certaines normes est très complexe, confirme Vanessa Brajtman, directrice consolidation et reporting d’Ipsen et responsable du groupe consolidation et reporting de l’Association des directeurs de comptabilité et de gestion (APDC).Pour exemple, le déploiement d’IFRS 16 sur les contrats de locations a été très lourd à mettre en œuvre. Un important travail de recensement de la totalité de nos contrats a été réalisé, puis la phase d’estimation des impacts sur les comptes a duré plusieurs mois et cela requiert encore du temps aujourd’hui.»

Une vision globale du groupe

Mais les consolideurs disposent aussi d’un rôle central dans l’entreprise, qui est trop peu mis en avant. «Nous faisons partie des premières personnes qui ont connaissance des résultats de l’entreprise et sommes en contact avec toutes les filiales du groupe», souligne Vanessa Brajtman. Surtout que depuis quelques années, le rôle des consolideurs s’est renforcé. «Alors qu’auparavant notre métier était très technique et comptable, avec peu d’emprise sur l’activité du groupe, nous sommes maintenant de réels business partners», observe Vanessa Brajtman. Cette évolution s’explique à plusieurs titres. D’abord, les normes se complexifiant, les consolideurs ont un rôle pédagogique auprès des autres directions. «Comme nous sommes une des seules professions à avoir une vision exhaustive de données financières de toutes les filiales, nous avons un rôle de communicants et de formateurs sur ces sujets, indique Vanessa Brajtman. Nous devons notamment expliquer la logique comptable et l’impact des normes auprès des financiers des filiales.»

Ensuite, les consolideurs sont de plus en plus sollicités pour accompagner en amont certaines décisions stratégiques. «Auparavant, lors de transactions, les groupes n’avaient pas pleinement conscience que le traitement comptable in fine de l’opération pouvait, dans certains cas, être différent des hypothèses retenues lors du business plan, remarque Vanessa Brajtman. Désormais, si la direction travaille sur une transaction importante, telle qu’une acquisition ou un important contrat de partenariat, elle questionne systématiquement le service consolidation. Ainsi, notre rôle s’étend jusqu’à participer à la rédaction de certaines clauses du contrat, afin d’assurer le correct impact de ces opérations sur les comptes.» En outre, le raccourcissement des délais de clôture amène les consolideurs à être plus proches des autres métiers.

«Il y a quelques années, les comptes consolidés sortaient souvent assez tard et de ce fait, n’avaient plus forcément d’intérêt pour les fonctions opérationnelles, relève Vanessa Brajtman. Aujourd’hui, les résultats sont produits beaucoup plus vite, les opérationnels s’appuient donc plus facilement sur ces données, ce qui nous permet également de les accompagner dans leurs décisions.» De quoi renforcer encore plus le rôle stratégique des consolideurs.

Des opportunités de carrière intéressantes

Après cinq ans d’audit externe, puis onze années en tant que consolideur, dont quatre comme responsable consolidation groupe chez Eramet, José-Manuel Sanchez exprime son souhait d’être plus en lien avec les opérationnels. En 2018, il accède ainsi au poste de directeur financier d’Eramet Norvège. Selon lui, si certains sujets sont totalement nouveaux, cette expérience est particulièrement utile à plusieurs titres. «En tant que consolideur, je n’étais pas proche des problématiques d’ordre industriel et des enjeux opérationnels associés comme c’est le cas avec mon métier actuel, rappelle-t-il. En revanche, plusieurs aspects de mon expérience de consolideur me servent fortement aujourd’hui : mon affinité avec les systèmes d’information, la maîtrise de la compliance et des reportings, le contact avec un large réseau de fonction support (trésoriers, contrôleurs de gestion, juristes, etc.), ainsi que ma vision des enjeux globaux du groupe.»

Mais ce parcours n’est pas le plus habituel. Les consolideurs s’orientent souvent d’abord vers des postes de contrôleurs de gestion ou de comptables. Comme José-Manuel Sanchez, Gilles Barbier, actuellement directeur du contrôle de gestion des fonctions transverses et corporate d’Orange, voulait aussi avoir un métier plus opérationnel. Il accède à son poste actuel en 2015, après quatre années en tant que directeur consolidation, et diverses expériences en comptabilité et en audit externe. Pour lui aussi, avoir été consolideur constitue un atout. «Le métier de consolideur offre l’opportunité unique d’appréhender l’organisation d’un groupe, sur l’ensemble de ses activités financières, des comptes d’une filiale jusqu’à la communication des résultats, souligne-t-il. Ce poste m’a également apporté un réseau important dans le groupe, comme à l’extérieur via les associations professionnelles. Par ailleurs, j’y ai acquis la notion des grands équilibres financiers, ce qui facilite l’identification des sources de création de valeur dans mon groupe.»

Des outils

Les consolideurs utilisent des outils de plus en plus pointus. «Les outils évoluent pour nous permettre de produire l’information plus rapidement, précise Vanessa Brajtman, directrice consolidation et reporting d’Ipsen et responsable du groupe consolidation et reporting de l’Association des directeurs de comptabilité et de gestion (APDC). Des applications digitales ont été créées pour analyser les données et fluidifier leur communication, permettant ainsi de diffuser des informations financières beaucoup plus détaillées dans un temps record.» Un enjeu que les consolideurs devront prendre en considération, s’ils veulent encore continuer à élargir leurs fonctions et ne pas rester dans un domaine strictement réglementaire.

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