Voie royale pour obtenir un emploi à temps plein en M&A, les stages de fin d’études ne sont plus toujours synonymes d’embauches pour les diplômés des masters spécialisés dans ce domaine. Avec des recrutements qui peinent à repartir, les jeunes diplômés doivent affronter une compétition accrue pour obtenir un poste d’analyste M&A.
Après deux années délicates, les recrutements en M&A pourraient reprendre à court terme. Cependant, pour les étudiants déjà diplômés d’un master en finance, et surtout ceux qui visent cette spécialité, l’insertion professionnelle s’avère toujours compliquée. Fait rare, parmi les 40 étudiants que compte chaque promotion du master finance d’entreprise et ingénierie financière de Dauphine, certains jeunes diplômés n’ont pas encore décroché d’emploi. « Nous allons certainement réduire le nombre d’étudiants par promotion car le marché ne peut pas les absorber, indique Fabrice Riva, responsable du master. J’ai constaté un tournant il y a deux ans : pour la première fois lors de la cérémonie de remise de diplôme qui a lieu en janvier, des étudiants n’étaient pas en CDI. Cela concerne tous les domaines de la finance et particulièrement le M&A. » Le responsable de master envisage ainsi de réduire la promotion à « 30 ou 35 étudiants » afin d’être plus en adéquation avec les besoins de recrutement.
Au sein du master de l’université parisienne, la proportion d’étudiants recrutés en M&A s’établit à environ 75 % chaque année. « Généralement, ils sont recrutés par l’entreprise dans laquelle ils effectuent leur stage en fin de master 2, explique Fabrice Riva. Trouver des stages reste simple, l’offre étant similaire aux années précédentes, mais la conversion en CDI est plus difficile. » En cette période de recrutements pour les juniors, 10 étudiants ont décroché le graal au sein de la promotion 2025, dont six en fusions-acquisitions. Parmi les diplômés de la promotion précédente, trois n’étaient pas en poste à la fin du mois de mars.
L’audit ou le conseil à défaut des Fusions-Acquisitions
Face à un marché de l’emploi plus tendu, quelques jeunes diplômés décident de s’accorder une pause, à travers des voyages autour du monde par exemple, ou encore de tenter leur chance dans d’autres domaines de la finance. « Certains choisissent de se diriger vers d’autres secteurs et d’ouvrir leurs horizons à travers des expériences en cabinet de conseil en stratégie financière », constate Fabrice Riva. Selon le responsable de master, ces fonctions seront bénéfiques dans leur future carrière. « Le message que je souhaite faire passer aux diplômés, c’est d’essayer d’autres secteurs, comme l’audit, pour temporiser mais également parce que c’est une expérience très formatrice qu’ils pourront valoriser s’ils se redirigent vers le M&A », recommande-t-il.
«Les grandes banques anglo-saxonnes n’embauchent des juniors que via des stages d’été ou des stages de six mois réalisés en interne.»
Si d’autres universités et écoles de commerce partagent le constat dressé par l’enseignant de l’université Paris Dauphine, HEC Paris, en revanche, ne perçoit pas une telle détérioration des conditions d’embauche. Au sein de l’école de commerce, Ferdinand Petra, professeur associé en finance, se veut davantage optimiste : après une contraction du marché observée il y a un ou deux ans, le nombre de stages estivaux au sein des banques d’affaires, les « summer internships », obtenus par les étudiants de l’école de commerce a augmenté. Selon l’enseignant, en 2023 et 2024, 97 % des étudiants du master international finance de HEC Paris ont converti leur stage d’été au sein des grandes banques d’investissements américaines (Goldman Sachs, Morgan Stanley, J.P. Morgan...) en emploi à temps plein alors que le taux moyen de conversion de ces stages est généralement compris entre 60 % et 80 %. « Si quelques banques recrutent directement en CDI, en exigeant tout de même au moins six mois de stage dans un établissement de réputation similaire, les grandes banques anglo-saxonnes, en revanche, n’embauchent des juniors que via des stages d’été ou des stages de six mois réalisés en interne », constate Ferdinand Petra.
L’importance du réseau et du mentorat
Obtenir des stages reste ainsi la voie royale pour s’insérer professionnellement mais la compétition entre les étudiants à ce niveau demeure rude. Pour espérer augmenter leurs chances, les futurs diplômés peuvent compter les réseaux de leur école ou université. Au sein d’HEC Paris, les étudiants du master international finance sont d’ailleurs mentorés par des alumni avant le début de leur stage. « Chaque année, 150 étudiants bénéficient du mentorat de 50 professionnels diplômé du master international finance, indique Ferdinand Petra qui organise l’activité. Au-delà de l’obtention d’un stage, la force du réseau aide à convertir le stage en emploi grâce à une meilleure appréhension du poste et des compétences requises. »
Les années précédentes, les embauches étaient ainsi plus répandues et accélérées par les stages effectués ou le réseau des jeunes diplômés. Au sein de la promotion 2023 du master de Dauphine, 90 % des étudiants avaient décroché un emploi dans les deux mois suivant l’obtention de leur diplôme. Parmi eux, 70 % avaient converti leur stage en emploi et 12 % avaient bénéficié uniquement de leur réseau. « La puissance du réseau joue beaucoup : il y a des entreprises où notre master est très implanté », relève Fabrice Riva.
A HEC Paris, Ferdinand Petra tient également une conférence annuelle lors de laquelle il prodigue des conseils à ses étudiants afin de maximiser leurs chances de convertir leur stage en contrat à temps plein. « Je recommande aux stagiaires de s’appuyer sur trois éléments : le savoir-faire, le faire-savoir et un mentor, conseille le professeur associé. Au-delà d’une attitude positive et proactive dans les tâches qui leur sont confiées, les étudiants ne doivent pas hésiter à rencontrer les collaborateurs de l’entreprise et à demander des retours sur leur travail. »
Réalisant des missions de recherche d’informations, de modélisation financière et de mise en forme, les stagiaires sont un rouage essentiel des équipes M&A. Au sein de la banque d’affaires Alantra, spécialisée dans le mid-market, l’équipe de 30 collaborateurs est ainsi complétée par des étudiants en stage, effectuant une année de césure ou terminant leur M2. Si les étudiants n’hésitent pas à tenter leur chance, il y a beaucoup d’appelés mais peu d’élus. « Nous recevons environ 250 CV lorsque nous ouvrons les candidatures pour des stages, donc 250 candidatures par trimestre », chiffre Oriane Durvye, associée-gérante chez Alantra. Pour effectuer une sélection, la branche française du groupe espagnol étudie en premier lieu les CV et lettres de motivation. « Pour les étudiants en fin d’études, nous privilégions ceux ayant déjà une expérience en M&A, précise Oriane Durvye. Nous sommes également très attentifs au formalisme du CV et de la lettre de motivation puis, après une première sélection, nous invitons les candidats à un test collectif lors duquel ils doivent plancher sur un test de raisonnement et de logique. Celui-ci est corrigé par nos analystes ou associates, de manière anonyme, afin d’évaluer la qualité du rendu. » Ensuite, les candidats ayant franchi les premières étapes sont reçus en entretien, auquel participent plusieurs analystes de la banque. Ils sont ainsi évalués sur leurs compétences techniques mais également sur leur capacité à s’intégrer au sein de l’équipe.
C’est ensuite dans ce vivier de candidats que la banque d’affaires recrute lorsque les besoins se font sentir. « Lorsque nous avons des places qui sont ouvertes aux juniors, nous privilégions nos stagiaires : ce sont les analystes et associates qui les ont formés et ont travaillé à leurs côtés qui établissent une évaluation complète pour le recrutement », détaille Oriane Durvye. L’associée-gérante y voit également un moyen de valoriser les collaborateurs en leur permettant de définir les équipes au sein desquelles ils travaillent.
Une sélection des profils plus pointue
Pour identifier ses futures recrues, la banque d’affaires documente le passage de ses stagiaires et identifie les meilleurs éléments sur un intervalle de 6 à 9 mois, une part de l’effectif de stagiaires étant renouvelé tous les trimestres. Si elle ne s’interdit pas de rappeler des candidats ayant effectué des stages plusieurs mois plus tôt en cas de besoin, Alantra mise avant tout sur les jeunes fraîchement diplômés. Les stagiaires plus anciens n’ayant pas converti leur expérience en CDI au sein de la banque d’affaires sont ainsi rarement rappelés mais, selon Alantra, ceux-ci sont généralement embauchés par des concurrents.
Au sein de la banque d’affaires, au-delà du métier d’analyste en fusion-acquisition qui concentre la majorité des demandes de stage, les étudiants des masters en finance sont également attirés par l’activité de conseil en financement où la sélection s’avère tout aussi rude. Chez Alantra, il y a ainsi 80 CV envoyés et cinq à six entretiens organisés pour une place ouverte en stage. Si le secteur recrute généralement moins, les candidats peuvent néanmoins tenter de se démarquer. « Des profils exceptionnels ont pu déclencher des recrutements qui n’étaient pas prévus », affirme Pierre-Louis Nahon, associé-gérant au sein d’Alantra.
Que ce soit au sein de l’équipe M&A ou de l’équipe de conseil en financement, les stagiaires sont rapidement plongés dans les projets. « Chaque nouvel analyste est suivi pendant six mois par un mentor junior et un senior, explique Pierre-Louis Nahon. Des formations sont également mises en place. En l’espace de trois ou quatre ans, nos jeunes professionnels deviennent particulièrement robustes. » Ainsi, les jeunes recrutés au sein de la banque d’affaires peuvent espérer une progression rapide et accéder à des fonctions de vice-président ou directeur. « Nous n’avons pas de plafond de verre : nous sommes sept associés et il y a de la place pour que d’autres nous rejoignent », indique Oriane Durvye.
Des perspectives encore peu encourageantes
Reste que le marché du M&A pourrait encore souffrir cette année, du fait des incertitudes persistantes dans le monde des affaires. « Les entreprises semblent encore attentistes en raison de l’incertitude liée au contexte géopolitique mais également aux disruptions qui seront engendrées par l’intelligence artificielle », estime Fabrice Riva. Un constat partagé par Ferdinand Petra qui pointe également les mesures protectionnistes qui freinent les transactions transfrontalières. « Je ne suis pas très positif sur le niveau d’activité M&A en 2025 mais je ne pense pas que les banques feront l’erreur de réduire fortement les recrutements d’analystes juniors : elles ont besoin de chaque niveau de séniorité pour mener à bien un projet », souligne le professeur associé au sein d’HEC Paris. Malgré les incertitudes, la baisse des taux d’intérêt et les restructurations pourraient offrir de nouvelles opportunités de deals.
Le marché du M&A en France
Selon une étude de PwC France et Maghreb, en 2024, le nombre de transactions de M&A sur le marché français a chuté de 29 %, après une baisse déjà enregistrée en 2023. Selon Bain & Company, la valeur des transactions réalisées en France a atteint 52 milliards de dollars en 2024, soit une baisse de 10 % sur un an. L’industrie manufacturière et les services liés à l’énergie et aux ressources naturelles ont concentré 49 % de la valeur des sorties réalisées en 2024. De plus, les opérations dans le secteur financier ont plus que doublé en valeur, en lien notamment avec l’acquisition par BNP Paribas d’Axa Investment Managers.