Dans un contexte économique de plus en plus incertain, les directeurs administratifs et financiers s’attendent à être très sollicités pour la mise en œuvre de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) ou de procédures collectives, lorsque les entreprises se trouvent en redressement judiciaire. Ils participent en amont au calibrage du nombre de postes à supprimer, et doivent de plus en plus expliquer aux salariés la situation financière de l’entreprise justifiant ces mesures difficiles.
L’instabilité politique en France inquiète, d’autant qu’elle intervient sur fond de mauvaise conjoncture économique européenne. « La France connaît aujourd’hui une situation dégradée, constate Dahlia Arfi-Elkaïm, avocate au sein de JDB Avocats, cabinet spécialisé dans l’accompagnement des PME et des ETI, relevant l’instabilité politique, économique et fiscale qui crée de la défiance de la part des investisseurs étrangers. Les entreprises françaises anticipent le retrait des investisseurs en prenant des mesures économiques internes, ce qui amplifie la dégradation. » Selon le dernier Baromètre EY de l’attractivité de la France, 49 % des entreprises étrangères ont revu à la baisse leurs plans d’investissement dans l’Hexagone. Sur le volet industriel et pour la première fois depuis 2016, l’Hexagone présente désormais un solde négatif entre ouvertures et fermetures de sites. L’étude réalisée par le cabinet Trendéo comptabilise 15 fermetures d’usines de plus que les ouvertures au cours de l’année 2024. Une situation difficile qui pourrait se dégrader davantage encore dans les mois à venir. « Nous constatons depuis le mois de septembre une recrudescence du nombre de PSE et de fermetures de sites », explique Lionel Gouget, manager de transition au sein du cabinet Valtus. Si le secteur automobile et l’immobilier sont particulièrement visés, aucun domaine n’est véritablement épargné : la pharma, l’agroalimentaire, mais également les entreprises d’ingénierie sont également touchés. « Je crains que nous ne soyons qu’au début d’un cycle de fermetures en France », souligne Lionel Gouget.
Des DAF au premier plan
Dans les décisions de fermeture partielle ou totale de sites, les DAF sont au premier plan. « Le DAF agit comme un lanceur d’alerte, explique Dahlia Arfi-Elkaïm. Il surveille les indicateurs financiers et alerte la direction quant aux risques, ce qui permet une anticipation des mesures nécessaires. Il est responsable de l’évaluation financière et de la budgétisation des projets de restructuration, garantissant que les coûts sont maîtrisés et que les ressources sont allouées efficacement. » Il est également le garant du business plan et des projections futures. Si la décision de mettre en place un PSE revient à la direction générale, c’est la direction financière qui porte la responsabilité de son calibrage. « Il n’y a rien de pire qu’un PSE mal calibré, met en garde Lionel Gouget. Il faut bien avoir à l’esprit qu’un PSE n’est pas sans incidences sur l’engagement et la motivation des collaborateurs. Une fois le PSE passé, il faut remotiver les équipes et s’engager dans une nouvelle voie. »
Tout au long de la procédure, le DAF reste en première ligne. Plus que jamais, son travail devient un travail de terrain au contact direct des collaborateurs. « Très souvent, c’est la direction des ressources humaines qui présente le plan, explique Dahlia Arfi-Elkaïm. Si l’interlocuteur principal reste le DRH, nous conseillons vivement au DAF de s’associer aux discussions avec les salariés. Il a alors la charge de la présentation de la partie chiffrée du plan. Chaque mesure doit être justifiée par de la data, afin de maintenir la confiance des collaborateurs. » Il devient donc un expert de la communication financière. Au-delà des collaborateurs, le DAF se doit également de conserver un lien avec l’ensemble des partenaires financiers. Il s’agit des banques, mais également des fournisseurs et des clients, qu’il se doit de rassurer et de tenir informés de l’évolution du plan. Le travail de DAF devient plus central encore lors d’une procédure collective. Dans ce cas, son engagement devient quotidien. « Lors d’une procédure collective, l’exposition du DAF est démultipliée, avec des prismes qui ne sont plus ceux d’un DAF classique », souligne Lionel Gouget. Il est en lien constant avec la direction générale, mais également avec les conseils (avocats, banques) et l’administration judiciaire. A l’interne, il doit continuer à gérer le courant. « L’accélération de la consommation du cash en période de crise est ainsi fulgurante. Le cash devient alors quasiment le seul indicateur et doit se gérer avec un prévisionnel par semaine. Cette cadence hebdomadaire n’est pas imaginable pour un DAF qui n’a jamais vécu de procédures collectives », poursuit Lionel Gouget.
«Chaque mesure doit être justifiée par de la data, afin de maintenir la confiance des collaborateurs»
Une expérience marquante
Les DAF qui traversent un PSE ou une procédure collective (quand le plan de licenciement intervient alors que l’entreprise se trouve en redressement judiciaire) restent durablement marqués par cette expérience, y compris à titre personnel. Leur expérience devient alors une compétence qui les rend très attractifs sur le marché de l’emploi. « La mise en œuvre d’un PSE est une expérience un peu traumatisante, qui exige des “marins aguerris”, mais tout à fait revendable sur le marché de l’emploi », explique Lionel Gouget. Ce type d’expérience teinte une carrière. « Un DAF qui a fait du restructuring aura tendance à être appelé sur des missions analogues, relève Lionel Gouget. C’est une expertise précieuse, assez rare et qui ne s’apprend pas à l’école. »
Si la période actuelle est délicate, elle peut également être source d’opportunités, particulièrement pour les entreprises acquéreuses, à condition toutefois qu’elles soient dotées de liquidités suffisantes. « Lorsque vous réalisez une acquisition, le prix de la cible va dépendre des potentielles performances futures. Dans le cas d’une procédure collective, vous n’achetez pas un actif à sa valeur réelle, mais une dette. La question est alors de financer le BFR. Dans ce cas, si l’entité acquéreuse apporte du chiffre d’affaires complémentaire, l’entreprise peut devenir rentable immédiatement », explique François-Xavier Ruellan, avocat associé au sein du cabinet Colbert. Pour mener à bien ce type de projets, les profils M&A et equity restent aujourd’hui particulièrement recherchés.
Des PSE en progression
Au troisième trimestre 2023, le nombre de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) validés et/ou homologués s’établit à 112 procédures, selon les derniers chiffres livrés par la Dares. Comparativement à la même période en 2022, le nombre de PSE validés et/ou homologués a progressé de 37 %, tandis que le nombre de ruptures de contrats avalisées a augmenté de 32 %. Sur l’ensemble de l’année 2023, 300 PSE ont été mis en œuvre, concernant un peu plus de 23 100 personnes réparties dans 1 547 établissements.