Si tous les métiers de la finance sont de plus en plus connectés et nomades, certaines entreprises en profitent pour revoir leur organisation en supprimant les bureaux attitrés. Un concept qui séduit de plus en plus les établissements financiers, comme les banques et les compagnies d’assurance.
Tous les cadres franciliens de BNP Paribas n’auront bientôt plus de bureau attitré ! La banque, comme beaucoup d’établissements financiers ces dernières années, a engagé une démarche de «flex office» ou bureau partagé. «Fin 2017, pas loin de 10 000 personnes travailleront avec ce modèle d’organisation au sein des fonctions centrales du groupe et de certaines filiales», témoigne Jacques Léonard, responsable du projet «flex office» et télétravail chez BNP Paribas.
Concrètement, le flex office permet à un salarié, muni de son ordinateur portable, de s’installer à n’importe quel bureau ou espace libre dans l’entreprise. «Né dans les pays du Nord de l’Europe, ce concept, qui a émergé en France depuis une dizaine d’années, va plus loin dans l’organisation du travail en open space, car il permet de rééquilibrer les espaces de bureaux traditionnels avec ceux dédiés au travail plus collaboratif», résume Jean-Marc Guyot, associé chez Eurogroup Consulting. Cette forme d’organisation du travail implique aussi une plus grande autonomie des salariés. «Le télétravail est en effet généralement associé à cette nouvelle démarche organisationnelle», ajoute Jean-Marc Guyot.
Le flex office implique donc une transformation complète de la façon de travailler qui commence à séduire de plus en plus dans le monde de la finance. AXA, ING, Swiss Life ou encore Crédit Agricole l’ont adopté pour une partie de leurs activités depuis quelques années, tandis que d’autres acteurs comme Groupama, PwC ou encore Deloitte s’y sont mis plus récemment.
«Au sein du groupe, 1 000 collaborateurs répartis sur cinq étages à la Défense sont en train de tester le flex office, témoigne Philippe Burger, associé responsable capital humain chez Deloitte. Nous avons initié cette démarche en juillet dernier en préparation de notre emménagement à la Défense en septembre 2017. Depuis, les collaborateurs testent cinq aménagements différents. Certains sont silencieux pour le travail individuel, ou cloisonnés comme des box pour téléphoner, tandis que d’autres sont dédiés au travail collaboratif, avec des salles de réunions, des lieux d’échanges moins formels, ou encore offrent des espaces de détente…»
Une solution pour réduire le coût immobilier
Cette nouvelle forme d’organisation du travail est née d’un double constat. D’abord, les entreprises se sont rendu compte qu’elles n’exploitaient pas leurs mètres carrés de manière optimale. «Entre les collaborateurs en congés, en formation, en déplacement ou encore ceux en réunion, nous avons constaté que près de 40 % des bureaux du groupe n’étaient pas utilisés dans une journée», commente Jacques Léonard. Cette moyenne peut même être plus élevée en fonction des postes. «Nous avons estimé que nos équipes de direction passaient seulement entre 12 % et 20 % de leur temps dans leur bureau», complète Philippe Burger.
Or cet espace inutilisé a un coût qui est non négligeable, surtout pour les grands groupes installés dans des zones où l’immobilier de bureau est particulièrement cher. «En région parisienne, un poste de travail coûte en moyenne entre 9 000 et 15 000 euros à l’année pour un employeur, commente Jean-Marc Guyot. Passer en flex office est une bonne solution pour réduire ce coût.» Certes les entreprises qui décident de mettre en place des bureaux partagés augmentent souvent en contrepartie les espaces dédiés aux réunions. Mais généralement, le flex office leur permet de diminuer leur surface d’accueil des salariés de 20 % à 30 %.
Mais les économies en immobilier ne sont pas le seul argument pour passer au flex office. Cette forme d’organisation permet aussi de mieux répondre aux évolutions des méthodes de travail. «Il y a une quinzaine d’années, les salariés travaillaient de manière assez indépendante sans partager de dossiers, ajoute Philippe Burger. Désormais, l’environnement de travail fonctionne davantage en mode collaboratif, de façon plus nomade et connectée grâce aux nouvelles technologies.»Dans ce contexte, certaines entreprises ont décidé de repenser complètement leur modèle.«Fin 2013, nous avons commencé à mener des réflexions pour mieux l’adapter aux nouveaux usages de la société en y intégrant les nouveaux outils digitaux et surtout en répondant mieux aux attentes de nos collaborateurs qui souhaitent davantage concilier leur vie personnelle et leur vie professionnelle, commente Jacques Léonard. Dans ce cadre, nous avons commencé à transformer une partie de nos bureaux en Ile-de-France en flex office tout en développant le télétravail une à deux journées par semaine.»
Une enveloppe budgétaire conséquente
Si cette nouvelle organisation du travail peut donc être particulièrement attractive tant pour les employeurs que pour les salariés, elle implique tout de même de nombreux investissements.
D’abord sur le plan financier, cela peut rapidement représenter une enveloppe budgétaire conséquente. Il faut accompagner cette nouvelle organisation sur le plan digital en investissant dans des systèmes d’informations qui permettent d’accéder à des serveurs à distance, d’équiper les collaborateurs d’ordinateurs portables, de téléphones mobiles… «Nous avons dû investir dans de nouveaux outils technologiques pour d’une part dématérialiser l’ensemble de nos documents de travail et d’autre part offrir un accès sécurisé à distance à nos collaborateurs, illustre Tanguy Polet, directeur de la division clients et transformation digitale de Swiss Life France. Un chantier de taille que nous continuons encore à améliorer aujourd’hui.» Outre les dépenses technologiques, il faut également prévoir un budget travaux lorsque les locaux ne sont pas adaptés.«Quand les bâtiments sont récents et déjà modulables, il y a souvent peu de dépenses à engager mis à part quelques cloisons et du mobilier, précise Jean-Marc Guyot. En revanche, dans le cas de bureaux plus anciens, par exemple de type haussmannien, il faut complètement revoir les espaces. Le budget à prévoir peut donc être élevé.»
Si les groupes qui sont déjà entrés dans une démarche de flex office ne communiquent pas sur les montants financiers qu’ils ont engagés, ils sont néanmoins unanimes sur l’investissement que cela représente également sur le plan humain. «Dans ce type de projet, l’environnement de travail est repensé sur le plan stratégique. Il faut donc avant tout une mobilisation du top management qui doit lui-même montrer l’exemple», prévient Jacques Léonard. Les dirigeants doivent fédérer autour d’eux l’ensemble des équipes et être capables de défendre le projet devant les comités d’entreprises, les organisations syndicales, ce qui peut prendre beaucoup du temps.«Les discussions en interne ont été longues et animées car nous avons dû rassurer sur le fait que cette évolution des modes de travail ne signifiait pas une réduction des effectifs, commente Tanguy Polet. De plus, alors que nous envisagions de réduire le nombre de places de travail en interne pour les passer de 1 000 à 800, nous avons dans un premier temps conservé le même nombre de places afin de rassurer collaborateurs et organisations syndicales.» D’autres discussions peuvent également susciter des négociations. «En amont de notre projet de flex office, nous avons dans un premier temps mis en place un accord de télétravail avec les partenaires sociaux, ajoute Jacques Léonard. Puis, nous avons mené une réflexion participative avec les salariés permettant ainsi de bien identifier les tâches accessibles au travail à distance, ce qui a pris du temps.»
Bouleversant complètement les codes du travail traditionnel, ce type de projet doit aussi se faire sur un mode collaboratif. «Il ne faut pas sous-estimer la dimension d’écoute auprès de l’ensemble des collaborateurs, complète Philippe Burger. Au départ, nous avions testé des espaces plus calfeutrés et isolés, ce qui a rendu l’environnement de travail un peu froid. Les collaborateurs souhaitaient donc moins de lieux fermés pour leur travail individuel et ont également sollicité plus d’espaces de travail collaboratif. Nous avons donc peu à peu adapté notre projet test en écoutant leur retour d’expérience.» A défaut, le flex office peut rapidement conduire à une perte de repères voire même à rompre le sentiment d’appartenance du salarié à son entreprise. Pour le moment, aucun groupe ayant adopté une telle démarche n’est revenu en arrière.
Swiss Life, un des pionniers dans le flex office
- Swiss Life a engagé dès 2010 un réaménagement de ses bureaux sous le format du flex office. «A cette époque, nous manquions de transversalité entre nos équipes puisqu’elles étaient réparties dans deux immeubles, l’un à Paris boulevard Haussmann et l’autre à Levallois-Perret, commente Tanguy Polet, directeur de la division clients et transformation digitale de Swiss Life France. De plus, nous étions organisés de manière très hiérarchique, ce qui se reflétait dans nos locaux organisés entre un open space pour les collaborateurs et des bureaux individuels pour les managers. Pour faire évoluer notre organisation, nous avons décidé de réunir tous nos collaborateurs dans un seul lieu à Levallois-Perret et d’instaurer un climat de travail plus collaboratif en utilisant le flex office.»
- Dès 2011, Swiss Life a commencé ce chantier qui s’est déroulé en plusieurs grandes étapes. «D’abord, nous avons effectué les travaux nécessaires dans nos locaux à Levallois-Perret et loué un autre immeuble adjacent pour augmenter notre capacité d’accueil et ainsi pouvoir intégrer nos collaborateurs jusqu’alors basés à Paris, indique Tanguy Polet. Une fois cette première étape terminée, une partie de nos collaborateurs sur place ont commencé à tester le flex office, puis nous avons étendu ce dispositif à une grande partie d’entre eux. Nous avons en parallèle conclu un accord de télétravail qui permet à une grande partie des collaborateurs de travailler à distance jusqu’à trois jours par semaine.»
- Quatre ans après avoir finalisé ce chantier, Swiss Life affiche un bilan positif. «Cette nouvelle organisation du travail est aujourd’hui appliquée à la majorité de nos équipes, ajoute Tanguy Polet. Il y a seulement quelques exceptions, par exemple le service médical qui doit conserver une plus grande confidentialité. Mais globalement, cette nouvelle méthode de travail nous a permis de gagner en efficacité opérationnelle.»