Rémunération

Les bonus marquent une pause dans les sociétés de gestion

Publié le 24 mai 2019 à 10h20    Mis à jour le 24 mai 2019 à 17h13

Séverine Leboucher

Après une année difficile en termes de performances financières et de collecte, les rémunérations variables versées par les asset managers ont eu tendance à stagner, voire à se réduire. La politique des grands groupes visant à lisser les à-coups conjoncturels a contribué à limiter ces baisses.

Affectée par un quatrième trimestre très chahuté sur les marchés financiers, l’année 2018 s’est révélée difficile pour les sociétés de gestion. Presque toutes les classes d’actifs ont fini dans le rouge, les principaux indices actions encaissant des baisses de plus de 5 %. Ces performances décevantes se sont accompagnées d’une collecte en souffrance par rapport aux années précédentes, avec des flux sortants de plus de 17 milliards d’euros pour les fonds français. Des résultats qui ont naturellement pesé sur les bonus des collaborateurs des sociétés de gestion françaises versés en 2019 au titre de l’exercice 2018.

 

Un lissage des bonus

C’est notamment le cas des gérants de portefeuille. «Nous constatons des baisses du niveau de rémunération variable de l’ordre de 10 à 30 % selon la classe d’actifs gérée ou encore la taille de la société de gestion», indique Romain Boisnard, associé chez Tillerman. Cet état des lieux, difficile à établir par manque de chiffres, est nuancé par d’autres chasseurs de têtes. 

«2019 n’est pas une année à part sur la période récente, souligne ainsi Odile Couvert, fondatrice du cabinet Amadeo Executive Search. Les bonus sont soit stables, soit en légère baisse lorsque les performances n’ont pas été bonnes.» C’est en particulier le cas des grandes maisons de gestion, qui offrent des rémunérations moins attractives que les boutiques. «Dans les plus petites sociétés de gestion, les gérants peuvent davantage faire valoir leurs bonnes performances au moment de la fixation de leur bonus et certains bénéficient même directement d’un partage des commissions de surperformance facturées au client», poursuit Odile Couvert. Cette segmentation du marché est le reflet de celle des modèles économiques retenus par les acteurs. «La tendance de fond, apparue ces dernières années, est toujours au tassement des rémunérations dans les grands groupes, qui cherchent à réduire leur structure de coûts, alors que les sociétés de gestion de taille intermédiaire, dont l’expertise sur certaines niches est reconnue, tendent à être plus généreuses», précise Romain Boisnard.

L’intention affichée des poids lourds du marché est de lisser les rémunérations et d’atténuer les chocs, comme celui de 2018.«Notre politique de bonus aligne les intérêts des gérants avec ceux des clients et de l’entreprise et elle permet d’éviter les excès, tant au niveau des montants que de leur variation, témoigne Isabelle Senéterre, directrice des ressources humaines d’Amundi. Les bonus des gérants sont ainsi évalués en fonction de la valeur qu’ils créent sur le long terme en lien avec l’objectif des clients en matière de performance et de risque.»

Les gestions émergentes et alternatives récompensées

Toutes les classes d’actifs n’ont pas non plus été logées à la même enseigne. «L’évolution des bonus a été contrastée selon les performances : certaines équipes ont vu leur rémunération variable baisser et d’autres augmenter, à l’instar de celles actives sur les marchés émergents ou spécialistes du smart beta», explique Isabelle Senéterre, sans citer de chiffres. Les gestions actions, qui ont enregistré de fortes contre-performances sur les marchés l’an dernier, ont connu des baisses plus marquées de leurs bonus, tandis que les gestions obligataires, notamment le high yield, ont été plus préservées. Les actifs alternatifs, toujours très recherchés dans un contexte de taux durablement bas, tirent leur épingle du jeu. «Les gérants de dette illiquide, qu’il s’agisse des fonds de loans ou de dette d’infrastructures, ont obtenu de bonnes performances financières et la collecte a été soutenue ; leurs bonus se sont donc inscrits en hausse, même s’ils espéraient davantage», note Odile Couvert.

Les niveaux de collecte assez disparates selon les classes d’actifs et les sociétés de gestion ont également entraîné des écarts dans les rémunérations variables pour les fonctions commerciales, même si la corrélation entre les deux n’est pas linéaire. «Dans un environnement de collecte incertain, les commerciaux qui ont atteint leurs objectifs à plus de 80 % voient leur bonus se maintenir, alors que ceux qui sont sous ce seuil sont sanctionnés par leur employeur d'une baisse de leur bonus plus brutale que celle de leur collecte, souligne Etienne Billing, manager chez Fed Finance. Surpayer des commerciaux aux résultats moyens n’est plus d’actualité !»Des tensions se ressentent toutefois sur certains segments de clientèle, plus recherchés que d’autres par les sociétés de gestion. «Après les commerciaux spécialisés dans la clientèle corporate puis ceux ciblant les institutionnels, c’est au tour des profils tournés vers les CGPI d’avoir la cote, note Etienne Billing. Pour fidéliser ces collaborateurs, dont le départ se solde souvent par la perte d’un carnet d’adresses qu’il faut près d’un an à reconstituer, les sociétés de gestion n’hésitent pas faire progresser leur niveau de rémunération. Il en va de même, dans une moindre mesure, des vendeurs spécialisés sur les actifs réels.»

Les profils sous tension se retrouvent aussi au niveau des fonctions supports. «Les expertises autour de la réglementation MIF 2 sont toujours particulièrement recherchées en ce moment, en particulier au niveau des cabinets de conseil qui accompagnent l’industrie de l’asset management», soulève Etienne Billing. D’une manière générale, les métiers en lien avec la gestion des risques et la conformité réglementaire sont toujours porteurs en termes de rémunérations, mais la «guerre des talents» de ces dernières années tend à s’apaiser. «Le marché est désormais à maturité sur ces fonctions et nous n’assistons plus à la surenchère qui a eu cours il y a trois ou quatre ans», relève Odile Couvert. Un facteur supplémentaire qui contribue à la stabilisation des bonus.

Le Brexit ne change pas la donne sur les rémunérations

Au moment du vote britannique en faveur d’une sortie de leur pays de l’Union européenne, un mouvement de professionnels de la finance vers les pays d’Europe continentale, et vers la France en particulier, avait été anticipé. Un afflux qui aurait pu niveler par le haut les salaires français pour s’aligner sur ceux de la City. Mais ce phénomène ne s’est pas concrétisé à ce stade. «Nous avons quelques exemples sporadiques de sociétés de gestion anglo-saxonnes qui, du fait du Brexit, ont cherché à recruter à Paris des profils pointus, en gestion quantitative ou sur les actifs réels, et qui ont pour cela proposé des packages de rémunérations supérieurs au marché, mais il ne s’agit pas d’une tendance», observe Romain Boisnard, associé chez Tillerman.

L’incertitude liée au Brexit sur les perspectives du marché londonien conduit en outre certains Français présents outre-Manche à envisager individuellement un retour. «Nous avons des appels de candidats qui veulent se renseigner sur la situation du marché français, indique Etienne Billing, manager chez Fed Finance. Certains sont prêts à accepter une baisse de leur rémunération en échange d’une meilleure visibilité sur la suite de leur carrière. Mais ce phénomène reste limité et n’a pas d’impact sur l’ensemble du marché.»

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