La succession des crises de ces dernières années et le contexte inflationniste actuel ont mis un coup de projecteur sur les fonctions achats. Corollaire de cette conjoncture, les recrutements dans les différents métiers liés aux achats sont repartis à la hausse depuis plusieurs mois, y compris s’agissant des directeurs. « Ces dernières années, les entreprises ont en effet pris la pleine mesure du rôle des directeurs d’achats et de leur participation à la performance de leur organisation », souligne Sylvie Noël, présidente de l’Association des directeurs & des responsables achats (ADRA). Le métier de directeur des achats a, pour sa part, fortement évolué ces dernières années. « Notre métier connaît actuellement une véritable révolution, explique Christophe Morin, directeur des achats du groupe Bollinger. Il y a encore peu, la fonction achat se résumait à une question de prix. La succession des crises (Covid, tensions sur les chaînes d’approvisionnement, hausses des coûts et inflation, etc.) ainsi que les évolutions réglementaires (facture électronique, RSE, etc.) ont conduit les directions achats à être plus prospectives, à travailler sur la qualité des processus et des produits, à gérer les risques (notamment fournisseurs), à renforcer l’optimisation de la chaîne logistique, à engager la transformation digitale de leur fonction et plus récemment, à se pencher également sur les sujets RSE. » Les missions dévolues à la fonction diffèrent néanmoins en fonction de la taille de l’entreprise et de son activité.

Des missions protéiformes

« Dans un groupe tel que le nôtre, la direction des achats a par exemple pour mission de mettre en place des synergies entre les achats directs et indirects sur toutes les entités, notamment de production, de gérer les capex (investissements), les contrats de distribution et de stockage des produits finis, etc. », précise Christophe Morin. Dans d’autres entreprises, la direction des achats peut également intervenir en gestion de projets. « Lorsque je travaillais pour Desjoyaux, j’ai notamment été amené à travailler avec l’équipe R&D sur le projet d’une nouvelle piscine, notamment sur le choix des fournisseurs, la réalisation et la validation de l’analyse des coûts de fabrication, les négociations avec les partenaires ou encore la rédaction de certaines clauses contractuelles », indique pour sa part Laurent Martinez, désormais directeur des achats d’IDK Clim. Dans le cadre des différentes missions qui lui ont été confiées durant son parcours professionnel, David Luby, membre du conseil de l’ADRA et actuellement directeur des achats chez Infopro Digital, a pour sa part été amené à plusieurs reprises à créer de toutes pièces une fonction achat, comme par exemple au Venezuela pour Sanofi, pour la filiale pétrole et gaz de Spie en Afrique et au Moyen Orient, ou encore plus récemment chez Infopro Digital. « De manière plus générale, la direction des achats a pour vocation de définir la stratégie achat de son entreprise, d’analyser les dépenses et d’identifier celles sur lesquelles il est possible d’intervenir, précise-t-il. Il lui revient également de mettre en place l’organisation, les process et les outils de gestion liés aux achats et de piloter la performance de ces démarches. » La direction des achats doit s’assurer de l’exhaustivité des besoins des directions métiers et de l’alignement de la stratégie achat avec celle de l’entreprise. Alors que le risque fournisseurs ou tous autres risques liés à la chaîne logistique (risques d’approvisionnement, géopolitiques, etc.) peuvent parfois impacter fortement le chiffre d’affaires des entreprises, la direction achats a également pour vocation de bien les analyser mais aussi de gérer les crises qui peuvent y être liées. « Pour limiter cette exposition au risque, la direction achat doit être capable de mesurer la performance de ses fournisseurs de façon récurrente et identifier les plus stratégiques d’entre eux pour mettre en place une gouvernance régulière », poursuit David Luby. Le directeur achats intervient par ailleurs sur les dossiers stratégiques et doit s’assurer que l’entreprise ne risque pas un contentieux. Il peut être amené à participer aux réunions internes qui vont impacter son activité et son organisation, comme c’est actuellement le cas pour la CSRD.

De solides compétences financières

Pour remplir ces différentes missions, le directeur achats doit notamment avoir un solide bagage commercial et de fortes compétences en négociation. Ces cadres sont d’ailleurs souvent diplômés d’une école de commerce ou d’ingénieur, et/ou d’un master 2 en achats. « La France est un des rares pays au monde à proposer des cursus spécifiques sur le métier d’acheteur », précise à ce sujet Sylvie Noël. C’est par exemple le cas du master 2 DESMA management stratégique des achats de l’IAS de Grenoble, du master management des achats internationaux et innovation (MAI) de Kedge ou encore d’un mastère spécialisé management global des achats et de la supply chain d’Audencia. Au regard de la diversité de ses missions, ses compétences dépassent cependant cette dimension commerciale et touchent également la finance. « Le directeur achats doit en effet avoir des compétences en finance d’entreprise et en contrôle de gestion pour réaliser des analyses de coûts cohérentes, relève Laurent Martinez. Il est important qu’il sache lire un bilan et un compte de résultat rapidement pour vérifier que les grands équilibres financiers des fournisseurs sont respectés et en particulier leur niveau d’endettement, de trésorerie ou de capitaux propres. » Son expertise financière est d’autant plus importante qu’il est amené à travailler régulièrement avec la direction financière, notamment dans le cadre de l’établissement des budgets annuels. « Par exemple, le travail de négociation et de contractualisation avec les fournisseurs nous permet d’accompagner la finance sur l’établissement de certains coûts de revient, ajoute Laurent Martinez. Nous travaillons également avec la comptabilité sur la résolution des litiges liés aux factures ou aux contrats fournisseurs. » Il doit par ailleurs s’assurer, en concertation avec la direction financière, de la cohérence de sa stratégie achats avec les enjeux et projections de l’entreprise. Parallèlement à cet angle financier, le directeur achats a également besoin d’une base solide en droit, notamment pour rédiger les contrats fournisseurs. Ses compétences en logistique sont aussi indispensables, notamment dans le cadre de ses négociations sur les volumes et cadences de livraison. « Dans l’industrie, il est aussi important qu’il ait des compétences techniques sur les produits et services qu’il achète », ajoute Laurent Martinez.

Enfin, alors qu’il est amené à travailler avec différentes directions dans son entreprise mais également avec certaines parties prenantes externes et en particulier les fournisseurs, les capacités d’écoute et de communication sont aussi nécessaires au directeur achats. « Pour coordonner ou définir une stratégie achats et nous assurer ensuite que le cahier des charges est bien appliqué, la maîtrise des techniques de négociation et de méthodes de communication est également indispensable », souligne Christophe Morin.

La diversité de ces missions et compétences contribue à faire de la direction des achats un métier complexe et ajoute aux difficultés de recrutement sur un marché de l’emploi déjà en tension. « Le recrutement est d’autant plus difficile au regard du niveau d’expertise requis pour les candidats à la fonction », constate ainsi Sylvie Noël. Pourtant, les salaires sont attractifs et oscillent, selon plusieurs cabinets de recrutement et en fonction de l’expérience du candidat, entre 75 000 et plus de 200 000 euros par an.