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Les directeurs financiers du secteur automobile

Publié le 21 novembre 2014 à 11h38    Mis à jour le 21 novembre 2014 à 16h59

Morgane Remy

Alors que le marché européen s’est fortement contracté avec la crise, le secteur automobile a dû fortement se restructurer. Les directeurs financiers ont été placés en pole position pour maintenir ou restaurer la rentabilité de leur groupe, avant d’accompagner ensuite les opérationnels dans la recherche de relais de croissance à l’international.

L’automobile est un des secteurs français qui a le plus subi la crise de 2008, puis celle de 2011. «Le nombre de véhicules produits par les constructeurs français en France est passé de plus de 3 millions en 2007, avant la crise, à 1,4 million d’unités prévues fin 2014, selon notre étude annuelle», explique Yann Lacroix, conseiller sectoriel, spécialiste du secteur automobile chez l’assureur crédit Euler Hermes. Les constructeurs ont donc dû faire face à la baisse de consommation des ménages français et européens qui, en période d’incertitude, ont repoussé leurs achats de véhicules neufs. Mais si les grands constructeurs avaient la surface financière nécessaire pour traverser cette crise, parfois au prix de lourds ajustements, les plus petits équipementiers ne bénéficiaient pas de cette chance. «Nous avons constaté de nombreuses défaillances chez les petits équipementiers, qui n’avaient pas la trésorerie nécessaire pour absorber la pression sur les coûts et les besoins en innovation nécessaires, poursuit Yann Lacroix. Aujourd’hui, le niveau des défaillances du secteur a retrouvé un niveau similaire à celui d’avant-crise, soit environ 180 défaillances par an.» Cette restructuration de la filière automobile française a eu pour conséquence l’émergence d’acteurs de taille intermédiaire, mieux armés pour faire face à la concurrence mondiale.

A la fois plus flexibles que les constructeurs et plus solides financièrement que les petits sous-traitants, les grands équipementiers sont pour leur part d’ores et déjà sortis renforcés de la crise. Aujourd’hui, la crise ne se ressent plus sur le montant de leur chiffre d’affaires. Bien au contraire. Avec régularité, le groupe de conception de pièces détachées Valeo est ainsi passé de près de 7,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2009 à… 12,1 milliards d’euros en 2013 ! De la même manière, le groupe français d’ingénierie et de production d’équipements automobiles Faurecia a presque doublé son chiffre d’affaires sur cette période, en passant de 9,3 milliards d’euros à 18 milliards d’euros.

S’offrir de la visibilité financière, pour traverser la crise

Avant même d’entreprendre des mesures drastiques, la première tâche des équipementiers a été de s’assurer de bénéficier de la trésorerie nécessaire pour traverser la crise. Les directions financières ont alors été en première ligne pour redresser la situation. «Il y a deux ans, le groupe Mecaplast a vécu des difficultés de trésorerie en raison notamment d’un ralentissement du marché automobile en Europe de l’Ouest et d’un important besoin de financement des nouveaux projets, reconnaît François Sordet, directeur financier de l’équipementier (661 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2013). Pour nous adapter, nous nous devions changer de mentalité très rapidement.» Ce dernier a donc renouvelé la moitié des effectifs de la direction financière, soit sept personnes, afin de recruter des profils qui soient plus des contrôleurs financiers de division ou de business unit que des contrôleurs de gestion et des profils plus comptables, avec une logique de challenge des opérationnels. En parallèle, de nouveaux processus ont été mis en place comme l’analyse de performance, le chiffrage, le suivi des projets et des taux horaires, les autorisations de dépenses, qui doivent désormais être validées par la direction financière. Enfin, le groupe a restructuré sa dette. Alors que le ratio de la dette sur l’Ebitda était de 6 il y a deux ans, il est désormais inférieur à 1,3.«Grâce à toutes ces actions, nous avons doublé notre rentabilité et assurons notre trésorerie», se félicite François Sordet.

Même les directions financières des plus grands équipementiers, pourtant très matures, veillent plus que jamais à leur trésorerie. «Dans tous les cas, notre croissance ne doit rien coûter en BFR, ce qui représente une optimisation de 30 millions d’euros par an chez Faurecia !», ajoute Michel Favre, directeur financier de la société. Pour y parvenir, la direction financière a cherché à devenir plus efficace afin d’avoir les outils nécessaires pour naviguer dans une période très incertaine. «Chez Faurecia, nous avons mis à niveau tous les processus et renforcé le contrôle interne, explique Michel Favre. En parallèle, nous avons largement avancé dans le déploiement de notre ERP.» Grâce à cela, le groupe peut s’appuyer sur des données plus homogènes et plus fiables et a amélioré sa capacité de prévision. La deuxième étape, en cours, vise désormais à gagner en efficacité au sein de la direction financière. «Nous optimisons nos centres de services partagés par régions, nous simplifions notre reporting et nous sélectionnons nos indicateurs clés afin qu’ils soient plus simples et plus pertinents, poursuit Michel Favre. Notre but est de participer à l’objectif global du groupe : contribuer à l’effort de productivité qui consiste à apporter un point de productivité par an aux constructeurs avec lesquels nous travaillons.»

Restructurer la production, pour chercher des relais de croissance

Parallèlement à tous ces efforts financiers, le secteur a surtout dû vivre une véritable transformation industrielle pour adapter l’outil de production à la baisse de la production automobile en Europe de l’Ouest. «Par exemple, nous avons dû fermer trois usines en France, dont celle d’Aulnay après le départ de PSA, et deux en Allemagne, témoigne Michel Favre. Nous avons réussi à limiter le nombre de licenciements, en essayant de reclasser le maximum de personnes ou en trouvant des acquéreurs pour reprendre nos sites, mais cela nous a coûté plus de 100 millions d’euros en 2012 et 2013.» Faurecia ne réalise désormais que 18,7 % de son chiffre d’affaires européen en France, soit un peu plus de 10 % de son chiffre d’affaires total.

Pour d’autres groupes, il a fallu non seulement fermer des usines mais aussi se recentrer sur les activités où la rentabilité était plus forte. Cela a été le cas de Montupet, spécialiste de la conception et de la production de pièces de fonderie usinées pour l’automobile (420,7 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2013). «Nous avons fermé une usine en Amérique du Nord mais nous avons aussi vendu notre activité de roues, qui n’était plus assez rentable», témoigne Marc Majus, directeur général délégué et directeur financier de Montupet SA. Si le chiffre d’affaires n’a que peu progressé depuis cinq ans, du fait de la cession de cette activité, le résultat net a été sensiblement amélioré par ces actions. Ainsi, après avoir effectué une perte de 16,2 millions d’euros en 2009, il a progressé régulièrement jusqu’à atteindre 34,6 millions d’euros en 2013.

Réorganiser sa production vers l’Asie, pour être compétitif

Après avoir adapté leur outil de production au marché européen et américain, les équipementiers sont allés chercher des relais de croissance dans les pays émergents, où les grands constructeurs développaient des usines et avaient besoin de monter en capacité. «L’Asie est actuellement le marché le plus porteur pour les constructeurs et notre taux de croissance annuel en Chine est supérieur à 20 %, explique Michel Favre. Si nous ne réalisons pour l’heure que 15 % de notre chiffre d’affaires dans cette zone, nous nous efforçons de nous y développer.» Faurecia ouvre actuellement cinq à six usines par an sur le marché chinois.

Si comme Faurecia, les équipementiers travaillant directement avec les constructeurs – dit de rang 1 – se sont très vite positionnés sur ces nouveaux marchés, les équipementiers de rang 2, qui travaillent pour les sous-traitants directs des constructeurs, suivent désormais le mouvement.C’est le cas de Delfingen, un équipementier dans les systèmes de protection des réseaux électriques et de fluides embarqués (128,7 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2013).«Nos clients américains, japonais et allemands se développent en Asie, précise Christophe Clerc, vice-président exécutif, en charge de la finance, des ressources humaines, du juridique et des systèmes d’information du groupe. Pour prendre une longueur d’avance sur nos concurrents, et remporter les contrats, nous avons décidé de faire une acquisition en Inde en septembre 2013 et en Chine en décembre 2013.» Ces acquisitions ont permis à l’entreprise de se déployer sur ces marchés plus rapidement que cela n’aurait été le cas avec une création d’usine ex nihilo. «Pour encadrer cette croissance, nous avons également créé un poste de directeur financier en Asie et avons étoffé les équipes de financiers sur place pour accompagner la croissance de ce marché», précise Christophe Clerc.

Encadrer son développement, pour éviter une croissance non rentable

En effet, si la croissance est au rendez-vous, s’installer sur ces nouveaux marchés ne va pas non plus sans difficulté. Le groupe Montupet en sait quelque chose. «Nous devions suivre Peugeot lors de son accord avec Dongfeng, en réalisant une joint-venture en Chine et en créant une usine sur place, poursuit Marc Majus. Cependant, les termes du contrat ont changé après accord : nos partenaires nous demandaient non seulement de travailler en rognant nos prix de 20 % mais également de passer d’une production de 500 000 à 80 000 pièces !» Le groupe s’est donc désengagé. Par ailleurs, d’autres groupes évitent la Chine car les transferts de technologie y sont nombreux. Si ces derniers peuvent être encadrés, un risque demeure, surtout pour les plus petits acteurs !

Mais plus généralement, c’est la volatilité des marchés émergents qui pose le plus de problèmes aux équipementiers et aux constructeurs. «Cet eldorado de croissance est mis à mal par les crises économiques et politiques successives», confirme Yann Lacroix. Si ces pays ont été fortement porteurs de croissance ces dernières années, l’année 2014 prouve qu’ils demeurent erratiques. «Sur les neufs premiers mois de cette année, les ventes ont baissé de 14 % en Russie, de 10 % au Brésil, de 30 % en Argentine et de 36 % en Thaïlande !», illustre Yann Lacroix.

Afin de pouvoir s’adapter à ces marchés incertains, les équipementiers cherchent avant tout à limiter les investissements lors de l’ouverture d’une nouvelle usine. Concrètement, leur objectif est de rendre la structure de coûts fixe la plus faible possible en s’assurant que la démarche lean est bien appliquée. Cette dernière, née dans le secteur automobile, a pour but d’encourager l’amélioration continue des processus et d’éliminer tout ce qui n’est pas essentiel à la production. «Notre structure lean permet d’avoir une structure de coûts allégée et nous offre de la flexibilité, témoigne Christophe Clerc. Grâce à cela, nous sommes capables de nous adapter rapidement aux aléas du marché comme ça a été le cas lors des printemps arabes.»

Contenir son besoin en fonds de roulement, pour limiter les risques

Si les démarches lean permettent déjà de réduire les stocks en aval, le véritable défi pour les directeurs financiers sur les marchés émergents consiste à limiter le risque d’investissement.

Deux moyens peuvent alors être mis en œuvre dès la signature du contrat avec le constructeur, français ou étranger. Le premier levier consiste à bien veiller à aligner paiement et production. «L’une des difficultés réside dans le fait qu’entre le lancement de projet ou de l’usine et les premières recettes, nous devons souvent attendre un à deux ans, explique François Sordet. Nous essayons ainsi au maximum de réduire le besoin en fonds de roulement via l’optimisation des investissements et d’optimiser l’alignement des conditions de paiement et la montée en production, afin de limiter au maximum un niveau trop haut de stocks.» Pour y parvenir, la direction financière s’investit, aux côtés des équipes commerciales, pour négocier avec les grands comptes.

Les équipementiers les plus gros peuvent également activer un deuxième levier : celui d’un accord de co‑investissement pour les projets les plus ambitieux. Faurecia, par exemple, s’est fixé une limite annuelle d’investissements de 800 millions d’euros, en 2013 et 2014. Afin de rester dans ce cadre, le groupe a mis en œuvre une politique commerciale sélective qui l’a amené à faire des choix sur les programmes qu’il développe. Faurecia peut alors renoncer à un programme mais aussi, pour des projets conséquents, négocier avec le client les modalités de financement de l’usine. «Au-delà de cette somme, et pour des projets spéciaux bien identifiés, le groupe propose alors au constructeur une approche de co‑financement», précise Michel Favre.

Le développement de telles négociations est peut-être l’élément de plus marquant de l’évolution du secteur, longtemps dominé par un rapport de force favorable aux grands donneurs d’ordre. Alors que les efforts de trésorerie ont longtemps reposé sur eux, un changement s’observe. Les équipementiers s’étant adaptés plus vite que les constructeurs européens, ces derniers ont désormais besoin d’eux pour achever leur mue, et sont prêts à faire des concessions !

Cash management à l’international, un défi encore actuel

Alors que les groupes français de l’automobile produisent et vendent de plus en plus à l’international, les directions financières ont dû s’adapter et progresser en matière de cash management. «Nous sommes particulièrement présents dans des pays comme le Brésil, la Chine, l’Inde et le Maroc où les rapatriements de capitaux sont complexes, souligne Christophe Clerc, vice-président exécutif et directeur administratif et financier de Delfingen. Nous avons donc initié le lancement d’un outil de cash management avec une grande banque afin d’avoir la capacité de gérer tous les comptes en central.» Certains groupes ont même décidé de recruter pour gérer au mieux cette problématique. «Nous avons non seulement mis en place des outils de prévision mais aussi recruté des experts en interne», témoigne Michel Favre, directeur financier de Faurecia.

Les chiffres clés du secteur

  • 5,5 millions de véhicules ont été produits par des constructeurs français dans le monde en 2013.
  • Entre 2007 et 2013, la production automobile a baissé de 18 % en Europe Occidentale, mais elle a augmenté de 7 % en Amérique du Nord (Mexique compris), de 13 % dans les nouveaux Etats membres de l’Union européenne, de 26 % en Amérique latine et de 50 % en Asie-Océanie.
  • La Chine est devenue la première zone productrice au monde depuis 2010, avec 25 % de la production mondiale.

Source Comité des constructeurs français d’automobile

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