Entreprises Françaises

Les financiers des pays émergents ont la côte

Publié le 17 octobre 2013 à 14h38    Mis à jour le 24 juillet 2014 à 15h54

Morgane Remy

Pour accompagner leur développement à l’étranger, les grandes entreprises françaises cherchent à internationaliser leurs équipes financières. Elles recrutent pour ce faire des candidats dans les pays émergents, qu’elles veillent à faire progresser en interne… y compris jusqu’au plus haut niveau de la direction financière du groupe

Si, dans le cadre de leur développement international, les entreprises cherchent très tôt à recruter des candidats locaux pour les postes opérationnels, la fonction finance a mis un peu plus de temps à suivre cette tendance. Toutefois, ce retard tend à se combler. Les groupes français embauchent en effet de plus en plus de financiers au Brésil, en Russie, en Inde et en Chine. A tel point, que chez Alstom, précurseur en la matière, les professionnels venant de pays en dehors de l’Europe représentent 45 % de la fonction finance. «Grâce à l’accent mis ces trois dernières années sur le recrutement de financiers dans les pays où se développe l’activité du groupe et en particulier dans les marchés émergents, 20% des collaborateurs sont désormais issus de l’Asie et 10% de l’Amérique du Sud», explique Mark Deery, directeur des ressources humaines Finance du groupe spécialisé en solution énergétique et de transport. 

Une internationalisation des directions financières de filiales

Ce mouvement d’internationalisation assez large a d’abord commencé dans les filiales des grands groupes français pour des raisons de coûts : ces derniers souhaitaient en effet réduire le nombre de contrats d’expatriation, jugés trop onéreux. «Un financier dans les pays émergents coûte trois à quatre fois moins cher qu’un Français expatrié, car ce dernier bénéficie de prestations annexes, comme la scolarisation des enfants ou la prime d’éloignement, affirme Valérie Kolloffel, associée du cabinet Nicholas Angell. Même si les compétences ne sont pas toujours comparables, cette différence n’est pas négligeable alors que les entreprises essayent de réduire leurs dépenses.»

Si cette question de coût du travail a souvent été le déclencheur de l’internationalisation des directions financières de filiales, elle n’est toutefois plus la première motivation. D’une part, les Français se voient de plus en plus proposer des contrats locaux, moins avantageux. D’autre part, les différences de salaires entre les pays émergents et l’Europe se réduisent désormais très sensiblement. Les financiers de hauts niveaux, comme des directeurs financiers de filiales, travaillant à Moscou, à Singapour ou en Chine se voient offrir des rémunérations significativement plus élevées car beaucoup de multinationales ont actuellement besoin de leurs compétences.

En Inde, les salaires sont toujours plus bas qu’en France mais progressent très rapidement. Ils devraient bientôt rattraper leur retard. Le recrutement de financiers locaux est donc surtout motivé par leurs connaissances de la culture et des pratiques en vigueur sur place. «Nous pouvons désormais recruter des financiers très bien formés et qui ont une compréhension poussée du marché», ajoute Mark Deery.

Les auditeurs ayant une double culture sont très recherchés

Les entreprises cherchent à recruter pour la direction financière du siège des auditeurs internes venant des pays dans lesquels ils se développent, afin d’améliorer leur contrôle. Dans l’idéal, les groupes français privilégient des candidats possédant une double culture et souhaitant retourner dans le pays où se situe la filiale. Ainsi, les professionnels ayant étudié en France sont très courtisés et peuvent prétendre – à poste égal – à des salaires plus élevés de 10 à 20 %, à la moyenne pratiquée dans les pays concernés.

«Nos clients souhaitent embaucher des candidats des BRICS, et travaillant dans des grands cabinets d’audit, témoigne Johann Van Nieuwenhuyse. Mais ces derniers représentent moins de 1 % des effectifs. Nous avons donc lancé une nouvelle stratégie de repérage de jeunes diplômés d’écoles de commerces ou de MBA que nous suivons pendant deux ou trois ans de leur carrière, pour pouvoir leur proposer ensuite des postes d’auditeurs internes de grands groupes.»

Un mouvement qui s’étend également au siège

Toutefois, le nombre de ces profils disponibles restant encore limité, les entreprises mettent en avant, pour être attractives, les évolutions de carrière qu’elles peuvent proposer aux professionnels des BRICS. Cette stratégie a également pour avantage de les fidéliser. Pour y arriver, les groupes du SBF 120 tentent d’accompagner les financiers juniors recrutés dans les filiales des pays émergents, dans le but de leur donner l’expérience nécessaire à l’exercice de fonctions managériales. Afin de les former, des postes en audit interne au sein de la direction financière centrale sont souvent proposés, afin de transmettre à ces collaborateurs une connaissance plus large de l’entreprise. De ce fait, l’audit interne s’est fortement internationalisé ces dernières années.

Une dynamique qui a eu pour conséquence  d’améliorer la qualité du contrôle mené au siège. En effet, les auditeurs étrangers apportent leur connaissance de la culture et des pratiques du pays dans lequel est implantée la filiale, et peuvent mieux analyser certains dysfonctionnements. Devant ce gain qualitatif, les entreprises cherchent d’ailleurs à recruter désormais des financiers étrangers directement pour ce poste d’auditeur interne (voir encadré). Outre l’audit, les départements des fusions-acquisitions, de la trésorerie et du fi nancement forment également un tremplin pour ces financiers étrangers.

Après deux à quatre années passées à ces fonctions, ces derniers se voient souvent offrir un poste de cadre intermédiaire au sein de la direction financière de la filiale. «Nous essayons de fédérer les talents des pays émergents et pour cela nous devons leur prouver qu’ils ont la possibilité de progresser dans le groupe, dans leur pays ou ailleurs dans le monde», témoigne Mark Deery. Le seul poste qui résiste encore – un peu – à cette tendance est celui de directeur financier de la filiale.«Dans un premier temps, quand la fi liale vient de s’implanter, le directeur général est souvent choisi localement, car il doit accompagner le développement de l’activité, souligne Valérie Kolloffel. En revanche, le directeur financier est français, pour s’assurer du respect des politiques internes du groupe.»

Mais désormais les filiales commencent à devenir plus matures et les financiers issus des pays concernés disposent d’une expérience reconnue au sein du groupe.«Ces derniers gagnent de plus en plus de responsabilités, ce qui permet de leur donner une autonomie et de montrer la confiance du groupe envers la filiale, confi rme Johann Van Nieuwenhuyse. Et un nombre certain de financiers, après huit à dix années dans le groupe, est promu au poste de directeur financier de filiale.»

Toutefois, si ce poste peut encore représenter un aboutissement pour un cadre financier local, il pourrait bientôt ne représenter qu’une étape au sein de leur carrière. En effet, dans les groupes les plus avancés dans l’internationalisation de la fonction finance, des professionnels issus des pays émergents ont atteint des postes de collaborateurs directs du directeur financier. «Par exemple, un contrôleur financier d’une business unit en Inde vient juste d’être nommé responsable de l’audit interne groupe», illustre Mark Deery. Un mouvement qui pourra peut être aller un jour jusqu’au poste de directeur financier !

Une concurrence mondiale pour les financiers français

L’internationalisation des directions financières a eu pour effet de renforcer la concurrence que rencontrent les candidats français expérimentés. «Aujourd’hui, pour les postes à responsabilités, le recrutement concerne de plus en plus de profils européens, explique Pierre-Antoine Bouillet, associé de Paul Walkers International. Il est fréquent pour un groupe français, d’embaucher des candidats allemands, hollandais ou anglais.» Cette tendance va même s’élargir au reste du monde, puisque les groupes favorisent, en termes de carrière, les financiers venant des marchés vers lesquels ils exportent. Dans les années à venir, la compétition sera donc plus large.

«À l’avenir, les cadres qui voudront atteindre le comité de direction devront non seulement parler parfaitement l’anglais mais également connaître une troisième langue, de préférence rare», ajoute Pierre-Antoine Bouillet, associé de Paul Walkers International. Mais la bonne nouvelle est que les jeunes financiers possèdent désormais une maîtrise de l’anglais bien plus poussée qu’ils ne l’estiment eux-mêmes, de l’avis des chasseurs de tête. Les Français ont également pour eux une très bonne réputation dans la finance : ils sont à la fois très bons techniquement et créatifs, c’est-à-dire qu’ils ont la capacité de prendre du recul sur une situation et l’analyser de façon critique.

«Néanmoins, ils ont plus de diffi culté que leurs homologues anglo-saxons à se mettre en valeur, ce qui peut être préjudiciable en termes de carrière», note Johann Van Nieuwenhuyse. Mais, pour être compétitifs, les financiers français devront se construire un parcours international, souvent dans des conditions moins confortables qu’auparavant. En effet, les entreprises, dans une optique d’optimisation des coûts, réduisent drastiquement les contrats d’expatriation et privilégient les contrats locaux.

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