S’ils continuent de collecter les chiffres et de participer à l’établissement des budgets, les contrôleurs de gestion sont également de plus en plus souvent amenés à accompagner les équipes opérationnelles dans l’atteinte de leurs objectifs. Une tendance qui requiert chez les intéressés d’autres qualités que celles liées à l’analyse et qui peut parfois compliquer le recrutement des profils idoines.
«Le contrôle de gestion, c’est le miroir de notre activité», explique Rim Ennajar-Sayadi, directrice du contrôle de gestion vie, banque et consolidation chez Axa France. A l’ère de la digitalisation des processus et de la volonté de privilégier un modèle de management plus collaboratif, de nombreuses entreprises ont connu de profondes transformations au cours des dernières années. Celles-ci ont eu pour visée principale de rendre les organisations de moins en moins cloisonnées afin d’amener les équipes du back-office à travailler plus étroitement avec les opérationnels. Des évolutions face auxquelles les départements en charge du contrôle de gestion ont mécaniquement dû s’adapter. «Il fut un temps où le contrôle de gestion travaillait “en chambre” et fixait des objectifs de façon quasi régalienne, rappelle Rim Ennajar-Sayadi, qui anime une direction de 15 personnes. C’est terminé. Aujourd’hui, nous faisons des prévisions et fixons des objectifs de façon concertée. Nous ne sommes pas là pour censurer les directions opérationnelles mais, au contraire, pour les aider à trouver des solutions, tenir les objectifs stratégiques et créer de la valeur.» A la tête d’une équipe de huit contrôleurs de gestion en charge des frais généraux au sein du groupe de protection sociale Klesia, Amaury Bret voit, lui aussi, le contrôleur de gestion «comme un business partner».
Un exercice délicat qui peut rendre le recrutement de collaborateurs difficile. «Il n’est pas facile de trouver des contrôleurs de gestion modernes, capables d’aller au-delà des chiffres et d’intégrer dans leur analyse toutes les composantes de nos activités», observe Rim Ennajar-Sayadi. Il est en effet important de connaître le process de production et ses enjeux pour «aller chercher les données et les interpréter», confirme Pierre-Gilles Bouquet, fondateur du cabinet de recrutement Voluntae. Et Amaury Bret de confirmer. «Le maniement de la donnée est devenu crucial.» Dans ce contexte, l’émergence des nouvelles technologies peut constituer un soutien. «Les nouveaux outils permettent d’industrialiser les process et de sortir des batteries de nouveaux ratios», explique Pierre-Gilles Bouquet. Mais ils ne changent pas fondamentalement le métier : «Plus les process de calcul et de remontées des données sont automatisés, plus le contrôleur de gestion se distingue par sa capacité à comprendre et interpréter les chiffres, poursuit-il. Il faut aussi être capable de la trouver et de travailler en bonne intelligence avec les directions opérationnelles. Sinon, elles ont tôt fait de vous prendre pour un “bœuf-carottes”», allusion au surnom donné à l’inspection générale des services dans la police.
Les expériences professionnelles plus importantes que le diplôme
Lui-même ancien contrôleur de gestion, ce recruteur spécialiste des métiers du chiffre s’intéresse davantage aux expériences professionnelles et aux qualités des candidats qu’à leur formation. «Master universitaire ou école de commerce ? Je m’intéresse assez peu aux bas de CV !, avoue Pierre-Gilles Bouquet. Evidemment, le diplôme est une figure imposée. Mais les expériences font très vite la différence : un bon contrôleur de gestion doit, certes, savoir interpréter les chiffres, mais il doit aussi avoir un excellent relationnel, faire preuve de résistance au stress et d’une certaine puissance de travail, pour survivre aux épreuves des closings.» De ce point de vue, la meilleure école est à ses yeux l’audit, qui permet d’avoir «une expérience plus diversifiée et une meilleure approche du calcul des marges, estime Pierre-Gilles Bouquet. Et puis un auditeur junior n’a pas peur de monter au front et de se faire rabrouer pour récupérer les données dont il a besoin. C’est une bonne école !» Cette remarque amuse Amaury Bret, mais ne le convainc pas tout à fait : «Le métier d’un auditeur s’arrête au constat. Nous devons être capables de proposer des solutions quand la trajectoire budgétaire n’est pas respectée.»
Un tremplin à l’international
Les jeunes diplômés, qui sont plutôt attirés par les start-up, n’ont pas forcément perçu ces évolutions. «C’est vrai, le métier ne fait pas rêver !, admet Pierre-Gilles Bouquet. Dommage car il est vraiment passionnant : il permet d’entrer dans le réacteur d’une entreprise.»«Je passe 80 % de mon temps à faire de la réflexion stratégique, je donne mon avis et j’éclaire les décisions prises par ma direction, confirme Rim Ennajar-Sayadi. C’est très stimulant.» Un contrôleur de gestion junior devra évidemment mouliner des chiffres et faire ses preuves avant d’atteindre ce niveau. Mais il pourra se consoler avec son niveau de rémunération tournant autour de 35 000 euros annuels en début de carrière, montant très vite (au bout de trois à cinq ans) à 45 000 euros, voire 55 000 euros. Il aura alors de belles perspectives de carrière : «Le contrôle de gestion est un excellent tremplin, qui ouvre un très vaste champ des possibles», estime Rim Ennajar-Sayadi. Y compris à l’international : cette activité étant très normée, les techniques sont assez facilement transposables d’un pays à l’autre.
Portraits croisés
Il est contrôleur de gestion de formation ; elle a passé 15 ans au sein de directions techniques : Amaury Bret et Estelle Colcanap animent tous les deux une équipe de contrôleurs de gestion au sein du groupe de protection sociale Klesia, en charge des frais généraux pour l’un, des assurances de personnes pour l’autre.
Leur métier : «Veiller à ce que le groupe soit en capacité de tenir ses objectifs stratégiques en dotant la direction générale, mais aussi les directions opérationnelles et support, des moyens nécessaires au respect de la trajectoire de frais généraux», explique Amaury Bret. «Suivre, piloter et projeter un compte de résultat, reflet de l’ambition du groupe», répond pour sa part Estelle Colcanap en insistant sur les deux grandes échéances qui rythment son activité : la clôture en hiver, «avec des projections à cinq ans», et le budget en automne «avec des projections actualisées à deux ans».
L’un comme l’autre travaillent «avec toutes les directions de l’entreprise, explique Estelle Colcanap. Nous devons comprendre et retranscrire leur activité, en gardant un œil critique, dans des délais parfois très tendus». «Nous sommes au cœur de la prise de décision, ajoute Amaury Bret. Même si la prise de décision ne nous incombe pas.»