Si l’on en parle moins que des soignants, les professionnels des services funéraires ont eux aussi été lourdement mis à contribution depuis le début de la crise sanitaire. Traditionnellement discret, le groupe OGF, leader du secteur en France, a ainsi dû faire face, en avril 2020, à un pic de mortalité jamais vu, allant parfois jusqu’à une augmentation de plus de 80 % dans certaines régions. Une suractivité brutale d’autant plus complexe à gérer que le groupe a, dans le même temps, enregistré un fort taux d’absentéisme au sein de ses effectifs. Fabienne Ménard, directrice financière du groupe, explique à Option Finance comment OGF a réussi, malgré les restrictions sanitaires imposées par l’Etat et les difficultés d’approvisionnement en équipements de protection, à assurer sa mission tout en parvenant à boucler ses comptes.
En tant que leader des services funéraires en France, vous avez fait partie des entreprises en première ligne dès le début de la crise sanitaire. Comment cette crise a-t-elle affecté vos activités ?
Fabienne Ménard, directrice financière : Nous opérons sur un secteur qui est relativement saisonnier. En temps normal, nos équipes savent gérer des pics d’activité, généralement entre les mois de décembre et mars.
Mais le virus de la Covid-19 a bouleversé notre organisation. Dès avril, nous avons, sur ce seul mois, enregistré une augmentation de plus de 40 % de notre activité au niveau national par rapport à avril 2019. Ce pic a parfois atteint plus de 80 % localement, comme en Ile-de-France par exemple. Cette suractivité brutale a été d’autant plus complexe à gérer que la France entière, au même moment, était totalement confinée. Parmi nos 5 800 salariés, certains pouvaient eux-mêmes être contaminés ou subissaient des situations personnelles compliquées. A cette hausse brutale de la mortalité s’est ainsi ajouté un fort taux d’absentéisme.
Face à cette situation, la force de notre groupe intégré a permis de nous organiser très rapidement. Nous avons fait appel à la solidarité en organisant une mobilité volontaire, pour permettre aux collaborateurs des régions moins touchées par le virus de venir prêter main-forte à leurs collègues en Ile-de-France ou dans l’Est. Nous avons également eu recours à de la sous-traitance logistique spécialisée (pour les convois funéraires par exemple), pour pallier notre manque de personnel.
De plus, grâce à nos deux usines de production implantées en France, nous n’avons pas eu de pénurie de cercueils. Nous avons su réorganiser nos chaînes de production pour nous concentrer sur les quatre modèles les plus demandés par les familles. Nos stocks ont quant à eux été gérés au niveau de nos structures centrales et non plus localement, ce qui nous a permis d’avoir une vision d’ensemble sur les besoins de tout le territoire.
Votre secteur a connu de nombreuses restrictions sanitaires, notamment quant à l’organisation des obsèques. Quelles ont été les conséquences sur votre chiffre d’affaires ?
En effet, nous avons eu et nous avons toujours aujourd’hui à respecter des protocoles sanitaires très contraignants qui ont complètement bouleversé la façon de travailler des équipes opérationnelles, alors même que notre profession est déjà naturellement très réglementée. Nous avons donc dû faire preuve d’une grande réactivité et d’une grande agilité pour prendre en compte et appliquer l’évolution quasi quotidienne des directives gouvernementales en ce qui concerne notamment la mise en bière, le transport de corps, les soins de thanatopraxie… Des réunions de crise étaient organisées au moins une fois par jour au début de la pandémie.
En temps normal, une même équipe peut être amenée à organiser deux obsèques par jour. Cela nécessite une parfaite organisation pour coordonner les différentes étapes. Avec la crise sanitaire, certains cimetières sont restés fermés, d’autres étaient ouverts mais les hommages y étaient interdits ou limités à cinq personnes. Toutes ces restrictions sanitaires ont eu des conséquences contrastées sur notre activité et nos ventes. D’un côté, nous avons pu organiser un volume d’obsèques plus important, ce qui a mécaniquement été favorable à notre chiffre d’affaires, mais de l’autre, nous ne pouvions pas proposer aux familles nos prestations habituelles. Par mesure de sécurité, les actes de thanatopraxie (soins de corps) étaient, par exemple, interdits sur les défunts.
La fourniture d’équipements de protection à vos salariés a-t-elle engendré une augmentation de vos coûts ?
La presse n’en parle pas mais au même titre que le personnel soignant, nos salariés sont eux aussi très exposés au virus. Le conseiller funéraire qui reçoit une famille en deuil, le personnel qui manipule des corps ou un cercueil… sont en première ligne. Nous avons connu en début d’épidémie des difficultés d’approvisionnement en EPI (équipement de protection individuelle – gants, masques, combinaisons et housses pour les défunts). Le sourcing et le dédouanement dans les aéroports ont notamment retardé l’arrivée de certains équipements. Ces EPI ont engendré un surcoût important pour notre activité, de quelques millions d’euros.
Pour autant, nous n’avons jamais revu nos tarifs à la hausse et aucun EPI n’a été facturé sous forme de frais de dossiers. Il s’agit d’un sujet de trésorerie et, par respect pour les familles endeuillées, il aurait été inconcevable de le leur faire supporter.
Dans ce contexte, la direction financière a-t-elle dû prendre des mesures particulières ?
Dès que nous avons pris conscience de la mise en place à venir d’un premier confinement, nous avons décidé, en février dernier, de tirer notre ligne de crédit revolving de 60 millions d’euros qui était à notre disposition auprès de notre pool de prêteurs. Nous n’avions pas de problème de trésorerie mais nous savions que des coûts fixes seraient à régler : en tant que société de services, 40 % de nos coûts sont des coûts de personnel. De plus, nous avions mis un point d’honneur à régler dans les temps nos fournisseurs pour protéger l’ensemble de notre écosystème.
Cette ligne constituait pour nous un filet de sécurité car même si nous nous attendions à un pic d’activité, nous ignorions à quel rythme nous allions pouvoir encaisser notre chiffre d’affaires facturé. Nous redoutions une situation de tension sur la rentrée de cash.
En effet, notre secteur présente quelques spécificités. La moitié de notre chiffre d’affaires est payée en chèque par les familles. Pendant le confinement, il était techniquement très difficile pour nos clients de nous faire parvenir ces règlements, les services de la Poste étant très ralentis. Nous craignions donc de ne pas percevoir le règlement de nos factures. C’est également pour cette raison que nous avons lancé, à la même époque et de manière un peu artisanale dans un premier temps, la possibilité de paiement en ligne sous forme d’un lien de carte bancaire. Nous travaillions sur ce projet depuis le mois de décembre 2019 et nous avions prévu de le déployer à l’été 2021. Pour pallier d’éventuels retards d’encaissements, nous avons accéléré le processus en l’espace d’un mois. Il fallait rendre ce service disponible le plus rapidement possible afin de permettre aux familles de régler les frais d’obsèques à distance.
Par ailleurs, la seule raison légale de prélever de l’argent sur le compte bancaire d’une personne décédée est l’organisation des obsèques. En période normale, les services succession des banques nous versent les sommes directement. Or, dès le début du confinement, de nombreuses agences bancaires ont fonctionné au ralenti. En conséquence, une bonne partie de nos encaissements a mis beaucoup de temps (plusieurs semaines à plusieurs mois) à arriver sur nos comptes. Malgré cela, nous avons toujours payé nos salariés et nos fournisseurs dans les temps. Dans certains cas, nous avons même versé des acomptes ou réglé le paiement directement à la commande pour aider ces derniers. Nous n’avons pas non plus utilisé cette ligne de crédit qui a été intégralement remboursée dès le mois de juin dernier.
Avez-vous eu recours aux aides d’urgence mises en place par Bercy ?
Nos salariés n’ont pas été placés en chômage partiel. Certains ont été indemnisés dans le cadre d’arrêts de travail pour garde d’enfant autorisés pour le secteur privé par le ministère du Travail. Le seul dispositif que nous ayons utilisé aux mois de mars et avril 2020, par précaution, a été la possibilité de reporter le paiement des cotisations sociales (Urssaf et retraite). Toutefois, nous avons régularisé notre situation dès le mois de juin.
Comment votre direction financière s’est-elle organisée depuis le début de la crise sanitaire ?
Les 90 salariés de la direction financière ont réussi un véritable exploit ! En effet, notre clôture annuelle était fixée au 31 mars 2020. Or, le premier confinement a démarré quelques jours plus tôt seulement, le 17 mars. Nous avons très vite réfléchi à la meilleure manière pour nous de procéder afin de parvenir à la clôture tout en respectant les consignes gouvernementales. Les équipes du contrôle de gestion ont été placées en télétravail à 100 %. En revanche, les équipes comptables, trésorerie et recouvrement ont fonctionné en rotation, les salariés se sont relayés pour venir travailler au siège, soit pour une journée complète, soit pour récupérer des factures et les traiter depuis chez eux. Nous gérons environ 150 000 factures papier par an, nos process et facturations n’étant pas dématérialisés. La direction informatique a, en 48 heures, donné à l’ensemble des salariés de la direction financière un accès à notre système Oracle de gestion financière et au logiciel Sage pour la trésorerie.
Finalement, la clôture annuelle a pu se dérouler à distance sans que nous ayons à modifier la date prévue. L’audit des commissaires aux comptes s’est également fait en distanciel dans son intégralité via Teams, tout comme notre assemblée générale. Par ailleurs, comme les autres années, le conseil d’administration a pu arrêter les comptes la première semaine de juin.
Quels sont vos principaux chantiers financiers dans les semaines à venir ?
La crise n’a pas remis en cause nos projets de développement. Ceux concernant de nouveaux outils destinés à améliorer la vente ont été poursuivis. C’est le cas du paiement en ligne évoqué précédemment, et de la signature électronique de la commande et de la facture, par exemple. Par ailleurs, depuis quinze mois, nous travaillons sur un projet de purchase-to-pay (digitalisation de nos processus d’achat et de règlement) sur l’ensemble de l’entreprise.