Lancé en 2012, le programme Pass’Compétences permet notamment aux cadres financiers de grands groupes d’être détachés au sein de PME pendant deux ans, tout en restant salariés de leur entreprise. Encore peu utilisée, cette solution présente des intérêts en termes de perspectives professionnelles. Un responsable financier de Thales a notamment fait cette expérience.
C’est une expérience atypique que vient de mener Marc Villemain, cadre financier chez Thales. Il vient en effet de passer deux ans au sein d’une PME indépendante tout en restant salarié du groupe d’électronique spécialisé dans la défense et l’aéronautique. «J’ai en effet occupé entre 2012 et 2014 le poste de directeur administratif, financier et ressources humaines au sein de l’éditeur de logiciels Systar (17,49 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014), témoigne-t-il. A l’issue de cette mission, j’ai réintégré, comme prévu initialement, Thales au poste de contract manager.» Cette situation, Marc Villemain n’est pas le seul à l’avoir vécue. Une quinzaine de professionnels exerçant chez Thales, Alcatel-Lucent et Schneider Electric ont en effet choisi d’être «détachés» au sein de PME entre six et vingt-quatre mois, dans le cadre d’un dispositif novateur nommé Pass’Compétences.
Un partage de compétences entre grands groupes et PME
L’idée de ce programme est née en 2011 au sein du Club des industriels acteurs du développement économique local (CIADEL), dont font partie ces trois entreprises, ainsi que Sanofi, DCNS, Air France et Lafarge, entre autres. «Nous sommes partis d’un double constat, confie Jean-François Houée, directeur général de Géris, filiale de Thales, qui a participé au lancement du projet. D’un côté, les PME ont d’importants besoins en matière de profils expérimentés pour accélérer leur développement, mais elles y ont difficilement accès par manque d’attractivité et de visibilité. De plus, elles n’ont pas toujours les moyens de leur offrir des rémunérations compétitives avec celles qu’offrent les grandes entreprises. De l’autre, certains salariés de groupes se retrouvent parfois exceptionnellement en situation de sous-charge de travail, suite, par exemple, à un retour d’expatriation. Nous avons donc décidé de lancer un programme qui permettrait à ces derniers de rejoindre temporairement des petites et moyennes entreprises, tout en prenant des mesures pour que leur rémunération ne constitue pas un problème (voir encadré).»
Porté par Géris, l’Agence régionale de développement de Paris (devenue Paris Région Entreprise), le pôle de compétitivité Systematic et la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) d’Ile-de-France, le Pass’Compétences a donc été créé en 2012. Destiné en priorité aux profils séniors, il est toutefois ouvert à tous les cadres salariés des groupes participant au programme, de l’ingénieur au contrôleur de gestion, à condition qu’ils puissent démontrer lors d’un entretien individuel leur capacité à mener à bien un projet structurant au sein d’une PME, comme la refonte de processus de production ou la structuration d’une fonction finance. Les entreprises situées en Ile-de-France souhaitant accueillir ces salariés détachés peuvent quant à eux prendre contact directement avec Géris.
«Je venais de rentrer au siège social de Thales après deux ans d’expatriation en Turquie où j’étais directeur de projet pour le groupe, lorsque j’ai entendu parler de ce dispositif en interne, se souvient Marc Villemain. J’ai tout de suite été intéressé car c’était l’opportunité d’endosser une fonction aux prérogatives plus étendues que les postes auxquels je pouvais alors prétendre au sein de la société.» Faisant part de son intérêt aux ressources humaines, il est mis en contact avec le président-directeur général de Systar. Ce dernier lui propose alors de prendre le poste, inexistant jusqu’alors, de directeur administratif, financier et ressources humaines, afin de structurer un département dédié à ces fonctions.
Des missions structurantes et transversales
Une mission qui s’est révélée enrichissante à plusieurs titres. «J’ai dû m’adapter rapidement au fonctionnement d’une PME de 150 personnes, explique-t-il. Alors que j’ai été habitué à travailler au sein d’équipes financières comprenant plusieurs dizaines de collaborateurs, les finances de Systar étaient jusqu’à mon arrivée uniquement gérées par le président-directeur général et la chef comptable à partir d’outils informatiques aux capacités limitées.» Cette situation a permis à Marc Villemain d’appliquer à un nouvel environnement les compétences qu’il avait acquises au fil de ses vingt-quatre années passées chez Thales, notamment comme contrôleur de gestion et responsable financier de filiales à l’étranger. «Je me suis inspiré de mes précédentes expériences pour mettre rapidement en place un nouveau système de reporting financier et de nouveaux processus, devant notamment permettre un meilleur suivi du budget de l’entreprise», souligne-t-il. Ces mesures lui ont ensuite permis d’identifier des sources d’économies potentielles, entre autres concernant les pratiques commerciales des fonctions opérationnelles. «Comme je l’avais précédemment fait au sein d’une filiale de Thales, j’ai créé et partagé des tableaux de bord afin de donner aux équipes de Systar des indicateurs pouvant améliorer leurs performances, notamment en matière de négociation tarifaire avec leurs clients», détaille Marc Villemain.
Au-delà de ces chantiers structurants, il a aussi utilisé ses compétences en matière d’opérations de financement, acquises notamment lorsqu’il a négocié la relation bancaire d’une filiale de Thales au Pakistan en 1997, pour piloter la levée de fonds propres de 2,35 millions d’euros que Systar a réalisée en mars 2013, sous la forme d’un placement privé. «J’ai par exemple participé à la rédaction de la documentation nécessaire à cette augmentation de capital et j’ai accompagné le président-directeur général à plusieurs roadshows avant l’opération», précise-t-il.
Des changements de culture d’entreprise
En matière de management, la valeur ajoutée pour les collaborateurs «détachés» des grands groupes est aussi significative. «Au départ, j’ai eu du mal à faire adopter les nouveaux processus au sein de toutes les équipes car elles étaient habituées à opérer de manière moins formalisée, illustre Marc Villemain. Par exemple, certains commerciaux étaient réticents à l’idée de me consulter systématiquement avant de conclure de nouveaux contrats. J’ai donc mené différentes négociations avec eux pour définir des processus répondant à la fois aux exigences de reporting d’une direction financière et au besoin de réactivité des opérationnels. Cela a contribué à renforcer mes capacités de management.»
Pour s’assurer que les travailleurs détachés s’adaptent bien à leur nouvel environnement, ainsi que pour répondre à leurs éventuels problèmes, les responsables du Pass’Compétences leur assurent un suivi régulier. «J’ai participé à des réunions trimestrielles et à des ateliers de coaching avec d’autres salariés détachés, poursuit Marc Villemain. Cela nous a permis d’échanger sur nos expériences respectives et de comparer, entre autres, nos techniques de pilotage du changement.»
Après deux ans passés chez Systar, Marc Villemain a finalement réintégré le groupe Thales, il y a un an environ. Il tire un bilan positif de cette expérience. «Je suis parti en laissant derrière moi des outils et des processus de contrôle de gestion et de reporting financier bien plus structurés qu’à mon arrivée, affirme-t-il. Le président-directeur général m’avait confié lors de mon départ que le pilotage de ses finances s’était grandement amélioré grâce à cela. A titre personnel, cette expérience m’a permis d’étoffer mes compétences en matière de gestion d’équipes, ce qui me sert déjà dans le cadre de mes fonctions chez Thales et ne manquera pas de m’être utile dans la suite de mon parcours professionnel.»
Si Marc Villemain est le premier responsable financier à avoir participé au programme Pass’Compétences, il ne sera probablement pas le dernier. «Les fonctions financières et celles liées aux ressources humaines sont des profils que nous réclament particulièrement les PME, constate Jean-François Houée. Nous démarchons donc activement ce type de collaborateurs.» Alors que le dispositif n’existe actuellement qu’en Ile-de-France, il doit être déployé d’ici un an sein de la région Rhône-Alpes. Les conseils régionaux de Midi-Pyrénées et d’Aquitaine sont aussi intéressés par ce dispositif.
Qui paie le salaire des collaborateurs détachés ?
Lors de leur détachement au sein de PME, les salariés de grands groupes continuent de percevoir une rémunération constante. Cette somme n’est toutefois pas laissée entièrement à la charge des entreprises, ces dernières n’ayant souvent pas les moyens de les payer.
· «Le groupe qui emploie le collaborateur assure 40 % de sa rémunération, tandis que la PME s’acquitte de 60 % de celle-ci, explique Armelle Jamault, chef de projet au sein du pôle de compétitivité Systematic. Lorsque la mission dure plus de douze mois, la PME peut aussi demander à ce que 20 % du salaire à sa charge soit réglé par le dispositif Pass’Compétences.»
· Cette dernière partie de la rémunération des collaborateurs est financée par des subventions publiques provenant de fonds de revitalisation et d’aides européennes.
