Depuis dix ans, la loi encadre, au sein des organisations financières, la part variable de la rémunération des "material risk takers", une catégorie qui englobe les dirigeants à hauts revenus et les salariés qui font courir un risque financier à l’entreprise. Mais entre les directives européennes, leur transposition en droit national et le droit social qui s’applique aux salariés, il est parfois difficile pour les entreprises d’y voir clair.
Bien que la flexibilité des conditions de travail et la quête de sens prennent de plus en plus de place dans les critères de sélection d’un salarié, la rémunération reste l’un des principaux leviers d’attractivité professionnelle. S’agissant des entreprises financières, la rémunération des traders, des gérants de fonds ou des dirigeants doit désormais respecter un certain nombre de règles, afin d’encourager une gestion raisonnée et prudente du risque. « La réglementation mise en place pour encadrer la rémunération des material risk takers (MRT) fait suite à la crise des subprimes, rappelle Emilien Bernard-Alzias, avocat associé au sein du département droit des services financiers de Simmons & Simmons. L’objectif était de réduire la prise de risque de ces salariés, car les régulateurs se sont rendus compte que ceux qui étaient à l’origine des décisions catastrophiques ayant provoqué la crise avaient très bien gagné leur vie et n’avaient absolument pas été sanctionnés. »
En 2013, le législateur européen fait donc figure de précurseur lorsqu’il met en place un encadrement transverse afin qu’aucun organisme financier n’échappe à la réglementation. En première ligne lors de la crise de 2008, ce sont d’abord les banques qui ont vu leur politique salariale encadrée. Mais très vite, les sociétés de gestion, les entreprises d’investissement et les établissements de crédit ont également dû intégrer ce corpus législatif au sein duquel ils ont parfois encore du mal à naviguer. « Nos clients ne sont pas très à l’aise avec l’interprétation de ces règles, leur signification et leur impact sur la réglementation, indique Emilien Bernard-Alzias. C’est parfois compliqué pour eux de concilier les nouvelles exigences de la réglementation financière et les dispositions protectrices des salariés relevant du droit du travail. » D’autant que la transposition des règles européennes en droit français pose régulièrement des difficultés d’interprétation, comme en témoigne la décision de la Cour de cassation en date du 15 mars dernier (arrêt no 212 F-D), dont le noeud du litige a trait à la période de transition dans l’application des règles de la directive AIFM, relative aux gestionnaires de fonds alternatifs. Pour autant, en cette période de forte tension sur le marché du travail, les questions de rémunération constituent un levier d’attractivité indispensable dans l’optique de remporter la guerre des talents. Mais pour se démarquer de ses concurrents, encore faut-il bien maîtriser les principales règles en la matière.
Une politique de rémunération à bien définir dans l’entreprise
La première d’entre elles consiste à rédiger une politique de rémunération pour les salariés identifiés comme MRT. Une sorte de feuille de route que l’entreprise s’impose à elle-même et qui doit répondre aux exigences légales. C’est même l’une des conditions d’agrément des entreprises financières qui doit être validée par l’AMF pour leur permettre d’exercer leur activité. « Cette politique s’inscrit dans un cadre réglementaire, mais son concepteur dispose tout de même d’une part de liberté dans son élaboration, ce qui permet à l’entreprise de se différencier de ses concurrents, explique Julien Vandenbussche, avocat en gestion d’actifs chez Stephenson Harwood. Les règles varient aussi en fonction de la taille et de la nature de l’entreprise, en vertu d’un principe de proportionnalité. Logiquement, les règles sont moins contraignantes pour les entreprises les plus modestes. »
Une fois les dirigeants et preneurs de risque identifiés (voir encadré), le concepteur de la politique de rémunération doit veiller à respecter le cadre posé par le législateur européen et intégré au Code monétaire et financier. Ce cadre concerne uniquement la part variable de la rémunération. « Le montant de cette dernière est lié à la performance du salarié, de son équipe ou de l’entreprise, et a poussé certains salariés motivés par l’appât du gain à prendre des risques inconsidérés, explique Emilien Bernard-Alzias. C’est pourquoi le législateur a décidé de plafonner cette part variable à 100% de la rémunération fixe pour les banques, sauf exception. Il n’y a pas de seuil fixé par la règlementation pour les sociétés de gestion mais les parts variables doivent tout de même être «équilibrées» au regard de la rémunération fixe. »
«Au maximum 60 % de la rémunération variable peut être perçue d’un coup, le reste doit être échelonné. »
La rémunération variable comme levier d’attractivité
En outre, et pour les mêmes raisons, le législateur a également posé l’obligation de délivrer une partie de ce salaire variable de manière échelonné dans le temps. « Au maximum 60 % de la rémunération variable pourra être perçue d’un coup, indique Julien Vandenbussche. Le reste sera octroyé au fil du temps, à raison de 10 % par an, par exemple. » Cependant, des clauses de « claw back » peuvent être intégrées à la politique de rémunération, de sorte que la partie variable non encore perçue peut toujours faire l’objet d’un malus. « Il s’agit ici de sanctionner les salariés dont la performance sur l’année N paraissait très bonne mais s’est ensuite démentie en N +1 ou N +2 », précise Emilien Bernard-Alzias.
Paradoxalement, la manière dont les entreprises rédigent ces clauses de claw back va influer sur leur attractivité. « Avant la réglementation sur les MRT, les critères d’attribution des bonus étaient uniquement financiers, mais, désormais, des critères qualitatifs peuvent être intégrés, ajoute Emilien Bernard-Alzias. Liés au respect des règles de conformité, à la pratique du feedback de clientèle ou au taux de réclamation des clients, ils permettent de délier en partie l’attribution des bonus des seules performances financières des placements. » Dès lors, lier les clauses de claw back à des critères qualitatifs – plutôt que quantitatifs – permet d’assurer au salarié rigoureux une meilleure rémunération, même si ses performances financières se révèlent dans le temps moins bonnes que prévu.
C’est donc en jouant sur le montant de la part fixe et les conditions d’attribution et de retrait de la part variable du salaire que les entreprises vont pouvoir se distinguer de leurs concurrents français. Néanmoins, la transposition du droit étant différente pour chaque pays de l’Union, le problème d’attractivité se pose différemment au niveau européen. « Certains pays européens ont opté pour une application beaucoup plus souple des règles en matière de MRT, alerte Julien Vandenbussche. Comment rester compétitifs malgré cette “concurrence réglementaire” ? C’est le défi lancé à l’AMF et aux associations professionnelles concernées.
Identifier les material risk takers
- Avant d’établir cette politique de rémunération, il convient tout d’abord de déterminer qui sont les MRT au sein de l’entreprise, afin de savoir à qui ces règles vont s’appliquer. « Les critères posés par le régulateur sont sujets à interprétation, mais globalement il s’agit des salariés dont la prise de risque est inhérente à leur activité, ou ceux qui perçoivent un salaire significatif, indique Julien Vandenbussche, avocat chez Stephenson Harwood. C’est une définition plutôt large choisie dans le but d’englober, au-delà des dirigeants et gérants financiers, également certaines fonctions de contrôle ou de support, comme le directeur de la conformité ou le directeur juridique. » Mais sans établir de montant minimal, la notion de « salaire significatif » souffre d’un manque de clarté et reste sujette à interprétation. « On définit généralement un salaire significatif comme un salaire qui se situe dans la même tranche de rémunération que la direction générale et que celle des preneurs de risque », ajoute l’avocat. « Généralement, il s’agit des salaires supérieurs ou égaux à 500 000 euros par an, précise Emilien Bernard-Alzias, avocat chez Simmons & Simmons. Mais l’appréciation doit être pondérée en fonction de la taille de l’entreprise concernée. »