En rendant difficile le maintien de beaucoup d’activités, le confinement a contraint toutes les entreprises à prendre des dispositions financières d’urgence. Compte tenu du caractère exceptionnel de la période, la tâche est encore plus vaste et plus compliquée pour les directeurs financiers que lors de la crise de 2008. C’est pourquoi Option Finance a décidé de leur permettre, dans le cadre de la rubrique dédiée notamment au management, de faire part chaque semaine de leur expérience en temps de crise. Une façon de partager les problèmes, mais aussi, et surtout, les solutions…
Présent en Chine où il réalise un quart de son chiffre d’affaires, le groupe Seb a été très tôt affecté par la crise du Covid-19. Dans ce contexte, le spécialiste du petit équipement domestique, dont une grande partie des usines est aujourd’hui fermée à l’international, est amené à accorder une attention renforcée au suivi du cash de manière à s’assurer que sa trésorerie et ses rentrées de liquidités (une partie de ses ventes se poursuivent notamment en ligne) lui permettront de faire face aux sorties d’argent (paiement des salaires, des fournisseurs, etc.). Une mission que les neuf membres de la direction financement et trésorerie se voient contraints de piloter depuis leur domicile, confinement oblige.
Comment la crise du Covid-19 a-t-elle affecté le groupe Seb ?
Environ 60 % des produits ménagers que nous commercialisons sont fabriqués en Chine, la moitié dans nos propres usines, l’autre moitié dans celles de nos fournisseurs. Afin d’assurer la santé de nos collaborateurs, nous avons dû procéder à la fermeture de nos sept usines locales en janvier. Six d’entre elles ont pu rouvrir mi-mars. Nous observons depuis peu un redémarrage de la consommation en Chine, ce qui constitue une excellente nouvelle. D’une problématique d’offre, la crise s’est transformée en une problématique de demande. D’après nos évaluations, l’impact de la crise sur nos ventes dans le pays devrait être de l’ordre de 250 millions d’euros au premier trimestre 2020 (sur un chiffre d’affaires annuel d’environ 1,5 milliard d’euros réalisé en Chine). Face à la propagation du virus en Europe, puis aux Amériques, nous avons ensuite dû stopper nos activités en France, en Italie, aux Etats-Unis, en Colombie, au Brésil… A ce stade, il est encore trop tôt pour mesurer précisément les conséquences sur les résultats du groupe pour l’exercice 2020 sachant que nos ventes se poursuivent, par exemple en France via les canaux du e-commerce et des hypermarchés.
Vous êtes trésorier depuis une vingtaine d’années. Cette période vous rappelle-t-elle les crises que vous avez connues jusqu’alors, en particulier la grande crise financière de 2008-2009 ?
Après 2008-2009, je pensais que nous avions, en tant que financiers d’entreprise, tout connu. Force est de constater que la situation actuelle est inédite. Cette fois, nous ne sommes pas plongés dans une crise financière «provoquée» par le secteur financier qui, en aboutissant à une raréfaction de la liquidité disponible, met à mal l’appareil productif, mais dans une crise sanitaire qui affecte directement l’ensemble des chaînes de production et la demande. Autre différence majeure, les instances politiques et financières, banques centrales en tête, font dorénavant preuve de réactivité et ont déployé les moyens nécessaires pour assurer l’accès des entreprises aux financements. Après avoir dit cela, les enjeux pour les membres de direction financière demeurent toutefois les mêmes aujourd’hui qu’à l’époque : afin de payer les salaires, de rembourser les emprunts arrivant à échéance et de régler ses fournisseurs dans les temps pour ne pas les fragiliser, la priorité reste d’assurer la liquidité du groupe.
Les réactions des autorités vous paraissent-elles satisfaisantes ?
En engageant de nouveaux programmes d’injection de liquidité d’une ampleur historique, les banques centrales, notamment la BCE, ont permis aux entreprises de revenir rapidement sur les marchés de capitaux. Les gouvernements ont eux aussi été à la hauteur, en apportant des réponses adaptées à l’ampleur de la crise que nous vivons. C’est en particulier le cas de la France, dont l’action en matière d’accès des TPE-PME au crédit – via la garantie publique à 90 % des emprunts – et de prise en charge du chômage partiel est à saluer. La disposition visant à reporter le versement des cotisations fiscales et sociales est également très positive pour la trésorerie des groupes. Pour autant, nous avons décidé au sein du groupe Seb de ne pas en profiter, afin de laisser les entreprises qui en ont le plus besoin en bénéficier.
Compte tenu des circonstances exceptionnelles, votre quotidien se trouve-t-il bouleversé ?
Globalement, mes missions ainsi que celles de mes huit collaborateurs n’ont pas changé depuis le début de la crise, même si certaines d’entre elles nécessitent un pilotage renforcé. De quoi aboutir, de facto, à une surcharge de travail pour tous. C’est le cas, en particulier, du suivi des encaissements clients et de l’évolution du profil de risque de nos partenaires. Il en va de même concernant l’analyse des positions de cash. Nous avons l’habitude traditionnellement de vérifier quotidiennement la position globale au niveau du groupe. Aujourd’hui, il est nécessaire d’avoir une vision beaucoup plus fine et de connaître les soldes de trésorerie de chacun de nos comptes pour s’assurer notamment que des poches de liquidités ne sont pas immobilisées dans certains pays, avec le risque d’y rester bloquées. Dans la mesure où nous détenons près de 800 comptes bancaires à l’international, cette tâche est chronophage. La gestion des risques est également prégnante en ce moment. Cela concerne bien évidemment le risque de change car de nombreuses devises émergentes se sont dépréciées au cours des dernières semaines, à l’instar du rouble, du réal brésilien et du peso mexicain. Ces mouvements impliquent de notre part une surveillance des expositions encore plus forte, mais pas forcément la mise en place d’instruments de couverture supplémentaires. D’expérience, je considère en effet que ce n’est pas dans ces périodes de forte volatilité qu’il faut se couvrir. L’autre préoccupation de taille a trait au risque de fraude. Les fraudeurs, conscients du fait que les organisations sont en ce moment déstabilisées avec le confinement, se montrent plus actifs que d’ordinaire. Dans ce contexte, nous avons dû adapter certaines de nos procédures internes, dont celles applicables aux paiements. Par exemple, une transaction dont l’exécution implique habituellement une signature en nécessite désormais plusieurs.
Comment la direction financement et trésorerie de Seb travaille-t-elle aujourd’hui ?
Au même titre que la plupart des services du groupe, nous sommes tous en télétravail. Sur le plan technologique, nous étions prêts puisque chaque collaborateur disposait déjà d’outils de mobilité professionnels (ordinateurs portables, tablettes, etc.). Et comme la plupart de nos logiciels sont en mode «SaaS», c’est-à-dire sur le cloud, nous pouvons y accéder à distance directement et avec des normes de sécurité éprouvées. Au final, le fait de ne pas être présents physiquement au bureau ne nous empêche pas de réaliser la quasi-totalité de nos missions classiques. Pour autant, cette organisation ne constitue pas la panacée puisqu’elle entraîne inévitablement des pertes de temps. De plus, le fait que chacun se retrouve isolé peut représenter un facteur de démotivation et/ou de stress. Dans ce contexte, il est primordial pour un manager de maintenir un lien étroit entre ses équipes.
Comment procédez-vous justement pour entretenir cette animation ?
En plus d’être en contact régulier, par téléphone ou par email, avec chacun de mes collaborateurs directs, je veille à organiser tous les jours une conférence vidéo réunissant l’ensemble de l’équipe. A titre personnel, j’apprécie également de pouvoir discuter avec mes confrères membres de l’Association française des trésoriers d’entreprise (AFTE). De tels échanges par courriel, messages ou conversations téléphoniques sont un moyen de se tenir informé de l’actualité, des bonnes pratiques mises en œuvre par chacun, des difficultés rencontrées au quotidien…
Selon vous, y aura-t-il pour les trésoriers d’entreprise un «avant» et un «après» crise du coronavirus ?
Depuis que la BCE s’est lancée dans une politique non conventionnelle (QE, etc.) essentiellement, la liquidité n’était quasiment plus un sujet pour la plupart des ETI et des grands groupes qui pouvaient accéder aux financements très facilement. De ce fait, il était généralement d’usage d’appliquer ce précepte dispensé aux trésoriers durant leur formation : une bonne trésorerie est une trésorerie proche de zéro. Le fait que les marchés de capitaux aient connu des phases de fermeture récemment et que les entreprises se retrouvent dans une situation dans laquelle l’argent ne rentre plus devrait conduire certains professionnels à être plus regardants quant aux réserves de cash disponibles. Cette crise tend en effet à prouver qu’il peut être salvateur de détenir de la trésorerie au bilan.