Plan de sauvegarde de l’emploi

Un rôle de plus en plus central pour les directeurs financiers

Publié le 22 janvier 2016 à 15h41    Mis à jour le 22 janvier 2016 à 16h56

Arnaud Lefebvre

Pour améliorer leur PSE, certaines entreprises tendent désormais à élargir les prérogatives confiées aux directeurs financiers. Une mission qui implique notamment de rassurer les créanciers et les partenaires commerciaux de l’entreprise, mais qui nécessite aussi de veiller à désamorcer les tensions en interne.

Récemment mandaté comme conseil par les instances représentatives du personnel d’une ETI industrielle qui venait de lancer un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE, voir encadré), cet expert en dialogue social n’en est toujours pas revenu. «Alors que j’ai participé, lors d’une de mes dernières missions, à de nombreuses réunions organisées par la direction générale, je n’ai jamais eu l’occasion d’échanger sur les difficultés financières de la société avec… le directeur financier, absent lors de chaque rendez-vous. Ma surprise a été d’autant plus totale quand, en croisant par hasard ce directeur financier quelques semaines plus tard, celui-ci m’a précisé n’avoir quasiment pas été sollicité pour définir le PSE !»

Un gage de crédibilité

Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce cas de figure est relativement fréquent.

«A la différence du directeur général et du directeur des ressources humaines, qui se retrouvent toujours aux avant-postes de la gestion des salariés, le directeur financier est souvent laissé en retrait durant la procédure, témoigne Bénédicte Haubold, fondatrice du cabinet Artélie Conseil, spécialisé dans les risques humains dans le cadre de projets stratégiques, dont les PSE. Dans de nombreux dossiers, nous constatons que son intervention n’est sollicitée qu’en fin de processus pour chiffrer les mesures arrêtées par sa hiérarchie, le réduisant souvent au rôle de simple exécutant.» Cette situation peut s’expliquer par différents facteurs, en particulier par le fait que la procédure relative à un PSE revêt un caractère essentiellement juridique. Mais ses conséquences peuvent se révéler dramatiques pour la société.«J’ai déjà été confronté à des situations dans lesquelles le directeur financier n’avait pas été impliqué dans la phase d’établissement du PSE, ce qui s’était traduit par une multiplication par trois du coût final du plan par rapport aux hypothèses initiales, illustre Thierry Grimaux, associé chez Valtus Transition. Or des divergences de ce type sont susceptibles de mettre l’entreprise dans son ensemble sur le tapis !»

Conscients des répercussions éventuelles d’un mauvais chiffrage ou échaudés face à des annulations de PSE découlant d’une insuffisance de justifications, de plus en plus d’actionnaires commencent donc à impliquer le directeur financier davantage en amont dans la procédure. Un choix qui se révèle généralement concluant pour le groupe. «Dans les PSE, il est courant que les causes inhérentes à l’érosion du chiffre d’affaires et aux difficultés financières du groupe soient très peu développées, ce qui jette mécaniquement de la suspicion autour du bien-fondé du plan, souligne Renaud Nègre, directeur associé de Soxia, cabinet d’expertise comptable dédié aux comités d’entreprise. A l’inverse, quand le directeur financier est partie intégrante du processus et commente la situation financière de la société, la démarche gagne incontestablement en crédibilité. Dans les faits, il conviendrait donc que celui-ci occupe constamment une place centrale dans le PSE et s’impose comme l’un des interlocuteurs centraux.»

 

Un périmètre d’intervention à bien baliser

Une position que certains managers de l’entreprise concernée ne perçoivent pas toujours d’un bon œil. «Lorsque mon directeur général de l’époque m’a demandé de participer à la définition du PSE, j’ai dû faire face dans un premier temps à une levée de boucliers de la part du responsable en charge des ressources humaines, qui était persuadé que je voulais le délester de ses prérogatives, témoigne un directeur financier. Au départ, son hostilité était telle qu’il était impossible de mener avec lui un dialogue constructif. C’est seulement après lui avoir assuré que je ne comptais m’impliquer que sur l’aspect purement financier de la procédure que les tensions se sont progressivement apaisées.» Ce genre de clarifications est tout aussi essentiel vis-à-vis des salariés. «Soit ces derniers vous considèrent, en tant que directeur financier, comme le principal responsable de leurs malheurs, soit, parce qu’ils vous connaissent bien, attendent au contraire de vous que vous sauviez leur poste, poursuit ce directeur financier. Notre rôle consiste simplement à décrire de manière objective la situation financière de l’entreprise afin de proposer des mesures correctrices adaptées. Il est donc primordial de faire comprendre d’emblée aux collaborateurs que notre seul objectif est de préserver l’intérêt général de la société.» De quoi contribuer, d’après plusieurs spécialistes, à désamorcer un certain nombre de conflits naissants.

Pour s’atteler, une fois cette mise au point préliminaire effectuée, au chiffrage précis du PSE ainsi qu’à la rédaction du volet financier de ce dernier, les directeurs financiers doivent s’assurer, dès les toutes premières réflexions, d’être au courant de l’ensemble des pistes envisagées par le management, ce qui n’est pas toujours évident dans des groupes de taille importante. «A défaut, il y a de fortes probabilités que le coût du PSE soit minimisé, prévient Bénédicte Haubold. Cela implique pour les responsables financiers de maintenir des discussions permanentes avec tous les départements de l’entreprise, de sorte à rester informés des derniers développements.» Bien que nécessaire, ce rôle privilégié dans la définition du PSE peut cependant être de nature à compliquer leur tâche lors des discussions avec les instances représentatives du personnel et les pouvoirs publics, chargés de valider le PSE. «Ces derniers nous assaillent littéralement de questions, parfois sur un ton agressif, poursuit le même directeur financier. Alors que nous ressortons épuisés de la première phase de chiffrage, il est parfois compliqué, en répondant du tac au tac, de bien faire le tri entre les informations que nous pouvons communiquer et celles devant demeurer confidentielles, sous peine notamment de pouvoir être exploitées par des concurrents.» Pour parvenir à conserver leur sang-froid, certains directeurs financiers choisissent alors de se préparer très en amont, en organisant par exemple de fausses séances de questions. D’autres effectuent tout simplement une pause avant chaque rendez-vous, le temps de recouvrer au maximum leur lucidité. Des instants de répit jugés d’autant plus importants par les spécialistes qu’en parallèle du PSE, le directeur financier est souvent envoyé en première ligne face aux fournisseurs, clients et créanciers de l’entreprise dans le but de les rassurer. «Même si le PSE est chronophage, il est déterminant de ne pas délaisser cette étape, insiste Bénédicte Haubold. C’est dans ce type de période difficile pour la société que la parole du responsable financier doit être forte vis-à-vis des partenaires externes.»

Particulièrement éprouvante, cette expérience est vécue différemment par les directeurs financiers, selon à la fois leur personnalité et l’issue du PSE. Pour certains d’entre eux, elle se traduit par la manifestation de troubles psychosociaux (voir encadré), pouvant aller jusqu’au déclenchement d’une dépression.«Il n’est également pas rare que des responsables financiers décident de démissionner à la suite d’un PSE, sans même avoir retrouvé un nouveau poste», signale Bénédicte Haubold. Pour d’autres, la participation active dans cette procédure peut à l’inverse créer des opportunités professionnelles, surtout quand la mise en œuvre du PSE a permis de préserver un maximum d’emplois. «Une fois ce chantier bouclé, j’ai reçu plusieurs propositions d’embauche de la part d’entreprises de la région, souligne un directeur financier. Plusieurs cabinets de recrutement m’ont aussi contacté.» Dans un environnement économique toujours morose en France, marqué par l’homologation de plusieurs centaines de PSE chaque année, ce type de profils est actuellement très recherché, en particulier par les fonds de capital-investissement et les cabinets spécialisés en management de transition.

Une procédure très encadrée

  • Dès qu’une entreprise de 50 salariés et plus envisage d’en licencier au moins 10 sur une période de 30 jours, elle a l’obligation de mettre en place un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Dans le cadre de cette procédure, qui vise à préserver un maximum de postes, différents types de mesures doivent être prévus, comme par exemple des actions destinées au reclassement interne ou externe des salariés, des créations d’activités nouvelles ou encore des actions de formation.
  • Une fois le PSE lancé, les instances représentatives du personnel (IRP) doivent recevoir de la part de la société un «livre I», qui détaille les conditions de départs et les mesures envisagées, ainsi qu’un «livre II», qui explique le motif économique du projet. L’entrée en vigueur du dispositif nécessite enfin une validation de la part de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte).
  • Si le PSE n’est pas homologué ou si les IRP n’ont pas été consultées préalablement, la nullité des licenciements est prononcée. Dans certains cas, l’entreprise peut également être condamnée à verser des indemnités aux salariés concernés.

Des risques psychosociaux à ne pas sous-estimer

  • Forte pression de la part des actionnaires, frictions avec les autres salariés, tensions avec les pouvoirs publics… Pour des directeurs financiers rarement exposés à un environnement aussi hostile, la mise en œuvre d’un PSE peut rapidement provoquer l’émergence de risques psychosociaux. «Même s’il peut être rassurant de se dire que nous ne sommes pas responsables des suppressions de postes entrant dans le cadre d’un PSE, le fait d’être partie prenante à la procédure génère mécaniquement un sentiment de culpabilité, de nature à susciter une forte anxiété», reconnaît un directeur financier confronté il y a quelques années à une telle situation.
  • Dans certains cas, la fragilisation de l’état psychologique des responsables financiers est telle qu’elle contraint les directions générales à prendre des mesures d’urgence. «Il n’est en effet pas rare que ces dernières décident de recruter un directeur financier de transition en appui de l’habituel titulaire du poste, de crainte que celui-ci n’explose en vol sous la pression», constate Bénédicte Haubold, fondatrice du cabinet Artélie Conseil. Selon plusieurs spécialistes, beaucoup de responsables financiers ayant dû conduire un PSE décident également de démissionner par la suite.

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