Stratégie

Une direction financière à la loupe : Groupe Armor

Publié le 24 novembre 2017 à 11h09    Mis à jour le 24 novembre 2017 à 17h26

Arnaud Lefebvre

Spécialisée dans les technologies d’impression, l’ETI nantaise Armor réalise 80 % de son chiffre d’affaires à l’international. Afin d’accompagner ce développement, sa direction financière a dû structurer ses outils et ses pratiques, de manière notamment à gérer efficacement le risque de change ainsi qu’à assurer un suivi de la rentabilité des investissements effectués. Une condition d’autant plus impérieuse que le groupe compte des fonds parmi ses actionnaires.

Le groupe Armor n’en finit pas d’imprimer sa marque à l’international. Après avoir représenté la France lors du G7 des ministres de l’Environnement début juin à Bologne, l’ETI nantaise (245 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2016) vient d’étendre sa présence sur plusieurs de ses marchés. Spécialisée dans les technologies d’impression, elle a inauguré au printemps une nouvelle usine en Inde, agrandi ses capacités de production en Afrique du Sud et ouvert, début juillet, une nouvelle filiale de découpe de rubans au Canada. De quoi renforcer son poids à l’export, où elle réalise déjà 80 % de ses revenus, et ainsi conforter ses positions de leader : en tête des ventes de cartouches laser remanufacturées en France, le groupe est également le numéro 1 européen de la production de cartouches jet d’encre en Europe et le numéro 1 mondial dans l’enduction des rubans transfert thermique pour l’impression sur emballage ainsi que sur étiquettes code-barres.

Un fonctionnement décentralisé

Une telle réussite n’était pourtant pas assurée. Juste avant l’arrivée de Marc Jacobs à la tête de la fonction finance du groupe en 2005, Armor, en difficultés, souffrait notamment d’une faible rentabilité. «Mais en misant en particulier sur l’innovation et la croissance externe lors de l’arrivée d’un nouveau directeur général, Hubert de Boisredon, en 2004, l’entreprise a rebondi, gagnant parts de marché sur parts de marché, témoigne le directeur administratif, financier et des ressources humaines. Désormais, nous sommes implantés dans 26 pays, contre 16 auparavant.» Cette stratégie s’est révélée d’autant plus payante que le groupe a déployé un modèle de «co‑industrialisation» : «Chaque ouverture de filiales à l’étranger se traduit par un accroissement d’activité pour nos équipes basées en France car, dans le cadre de notre activité de rubans transfert thermique, la totalité des rouleaux utilisés par les usines est fabriquée près de Nantes.»

Pour accompagner ce développement et, surtout, assurer sa soutenabilité, une transformation de la fonction finance a alors été nécessaire. Certes, son organisation a peu évolué dans sa forme et sa logique. «Nous avons par exemple choisi de laisser aux mains des équipes locales les prérogatives et les niveaux de décisions qui n’impliquent pas directement le groupe, comme c’était le cas auparavant. Ce modus operandi permet à la fois de renforcer leur implication et d’éviter les lourdeurs d’une grande structure centralisée, ce qui est bénéfique pour tout le monde.» Le travail des collaborateurs financiers, le plus souvent au nombre de trois dans les filiales, est supervisé dans chaque pays par des responsables administratifs et financiers, lesquels rapportent, le cas échéant, à un directeur financier continent. «Celui basé à Cincinnati s’occupe des Etats-Unis, du Mexique et du Brésil, précise Marc Jacobs. Quant à l’Europe, l’Asie et l’Afrique du Sud, ces zones sont gérées depuis le siège.» En revanche, une vaste refonte des outils et des process a dû être opérée à compter de 2005. Il faut dire qu’en la matière, le groupe partait de loin. «Mes prédécesseurs ne s’appuyaient sur aucun instrument de gestion de la dette ou de prévision de trésorerie, et ne produisaient aucun reporting, illustre Marc Jacobs. La priorité avait alors consisté à bâtir avec le directeur du contrôle de gestion une direction financière qui tienne la route.» Une tâche qui a impliqué plusieurs recrutements, le déploiement d’un outil de reporting commun à l’ensemble des entités, la production de reportings détaillés et un suivi strict de nombreux indicateurs comme les flux de trésorerie par activité et l’évolution de l’endettement. Un tel dispositif s’est révélé d’autant plus utile qu’à la suite de la vente des parts détenues par la famille Rufenacht en 2008, Armor est passé sous LBO (voir encadré).

Une exposition au dollar et à la livre sterling

Regroupant aujourd’hui vingt membres, la direction financière centrale couvre cinq domaines. Le département en charge de la trésorerie est dirigé par Véronique Morel-Hamelin. Classiques, ses attributions n’en revêtent pas moins pour Armor une importance capitale. C’est d’abord le cas de la gestion de la dette. Disposant, dans le cadre du dernier montage financier mis en place en 2014, notamment d’une dette senior, la trésorière suit ainsi l’évolution des frais financiers avec attention. Actuellement, la direction financière travaille à sa renégociation. «Même si les échéances restent éloignées (2021 et 2022), nous souhaitons profiter à la fois de l’environnement de taux attractif et du fait que nous affichons dorénavant un profil “corporate” – notre dette est tombée à deux fois l’Ebitda – pour abaisser notre coût d’emprunt», signale Marc Jacobs. Ce dossier devrait être finalisé d’ici la fin de l’année. L’autre sujet sensible a trait à la gestion des risques. Exposé au risque de taux en raison d’une dette exclusivement bancaire, Armor a choisi de le couvrir à 60 % via des produits principalement vanille. S’agissant du risque de change, le groupe va encore plus loin, avec une couverture comprise entre les deux tiers et 75 % des flux. Deux devises en particulier attirent la vigilance de cette direction. «Chaque mois, nous sommes exposés à la monnaie britannique à hauteur de 600 000 livres sterling et à la monnaie américaine à hauteur de 2,5 millions de dollars, des montants significatifs à notre échelle. En effet, une variation du dollar de l’ordre de 10 centimes face à l’euro a un impact de 4 millions sur notre résultat !» De quoi justifier un monitoring extrêmement fin des fluctuations de change…

Avec au total cinq collaborateurs, le service comptabilité générale et comptabilité fournisseurs est quant à lui piloté par Tristan Chancerelle. Outre ses prérogatives traditionnelles de clôture mensuelle des comptes, il est en ce moment mobilisé sur deux thématiques, en collaboration avec le contrôle interne. La première concerne le volet de la loi Sapin 2, adoptée en décembre dernier, relatif à la lutte contre la corruption. La seconde problématique est liée aux prix de transfert. «A compter de cette année, nous devons rédiger une documentation à l’intention de l’administration fiscale (master file), dans laquelle la méthodologie de calcul des marges doit être expliquée et la responsabilité de chaque filiale définie. Un chantier complexe eu égard à la sensibilité de nos marges aux évolutions de change, qui implique de réviser fréquemment nos prix de transfert.» Celui-ci est toutefois en passe d’être achevé.

Un suivi régulier du poste clients

Troisième composante de la fonction finance, avec quatre membres, le service credit management et comptabilité clients est chapeauté par Brigitte Poinsot. Avec un délai de paiement moyen avoisinant 65 jours au niveau mondial, «les retards de paiement ne représentent pas un sujet pour le groupe», admet certes Marc Jacobs. Pour autant, la constitution d’un tel département est apparue essentielle à plusieurs titres. D’abord, elle permet de placer Armor dans une relative position de force face à son assureur crédit. «Nous travaillons avec Euler Hermès, dont nous rencontrons les spécialistes deux fois par an. Ces échanges sont l’occasion de partager des informations sur la solidité de nos clients et des acteurs du secteur, mais aussi de discuter de l’analyse portée par l’assureur sur quelques-uns de nos comptes clés : en effet, pour ces derniers, nous parvenons à obtenir un niveau de couverture limité, alors même que leur situation financière nous semble solide.» Ensuite, cette équipe a vocation à jouer le rôle de garde-fou auprès des commerciaux. «Certains d’entre eux ont tendance à octroyer des baisses de tarif en contrepartie d’escomptes de paiement, pointe Marc Jacobs. Or nous cherchons à supprimer cette pratique, qui correspond de fait à une remise commerciale, compte tenu de son coût élevé.»

Au cœur de cet ensemble, la direction du contrôle de gestion et de la planification stratégique (six personnes) constitue également un maillon stratégique, comme en témoigne la présence de Wouaïd Nouri, son responsable, au sein de l’équipe de direction. Cette position tient en partie à l’activité d’Armor, qui nécessite d’investir en permanence. «Pour être en mesure par exemple d’enduire d’encres industrielles nos produits (films photovoltaïques, etc.) à vitesse élevée et en couche fine, nous devons innover constamment. A ce titre, nous dépensons en moyenne 20 millions d’euros par an pour moderniser nos outils et process ainsi que pour élargir nos offres.» Dans ce contexte, il revient notamment aux contrôleurs de gestion de préparer les dossiers d’investissement en amont, et de calculer a posteriori le retour sur investissement dégagé. A cette tâche s’ajoutent les missions traditionnelles, comme l’analyse des résultats activité par activité, qui demeure centrale. «Afin d’optimiser les performances du groupe, nous avons souhaité que les contrôleurs de gestion soient au plus près des opérationnels : suivi des nouveaux clients et des procédures d’appel d’offres, élaboration de plan d’actions, etc.», soutient Marc Jacobs. Cette logique de «business partners» se perçoit d’ailleurs jusque dans l’organigramme d’Armor : parallèlement à ses fonctions, Marc Jacobs exerce en effet un poste opérationnel, celui de responsable de l’activité de la business unit Armor Office Printing Retail.

Une rémunération variable pour les responsables

Enfin, la direction en charge du contrôle interne, conduite par Isabelle Burban, complète le périmètre d’intervention de la fonction finance. Parmi ses dossiers du moment : la lutte contre la fraude (voir encadré), la mise en conformité par rapport à la loi Sapin 2, le suivi de la documentation des prix de transfert dans l’ensemble des filiales du groupe ainsi que des aspects de gouvernance. «Dans la mesure où nous ne disposons pas d’une cartographie très claire des responsabilités des dirigeants locaux, nous veillons notamment à nous assurer que ces derniers ne jouissent pas de pouvoirs plus importants que le président-directeur général lui-même», prévient Marc Jacobs. L’instauration d’un cadre général est également en cours d’élaboration, visant à définir le niveau maximal de responsabilités correspondant à chaque fonction hiérarchique.

Sur ce sujet, la recherche d’un juste milieu s’impose comme un objectif de premier ordre. Car si, d’un côté, il en va d’un impératif de bonne gouvernance et de maîtrise des risques, le management veut veiller, d’un autre, à laisser aux collaborateurs des marges de manœuvre suffisantes. «L’une des clés du succès d’Armor tient au turnover extrêmement faible des équipes, en particulier financières, insiste Marc Jacobs. Or si nous enregistrons une telle fidélité, c’est en partie parce que ces dernières se voient attribuer des responsabilités et qu’elles bénéficient d’une autonomie dans leur travail. Il convient de ne pas bouleverser ce mode de fonctionnement.»Cette approche s’inscrit dans une politique de ressources humaines voulue comme… responsable. «Tandis que nous impliquons directement nos salariés dans le développement du groupe, en les tenant par exemple constamment informés de notre actualité, des projets en cours et des besoins à venir, nous leur proposons régulièrement des formations destinées à actualiser ou à enrichir leurs connaissances.» En termes de rémunération, chaque responsable bénéficie d’une part variable, dont l’octroi est conditionné à l’atteinte d’objectifs communs et individuels. Mais il n’y a pas que sur le plan individuel que cette démarche globale est répliquée. Afin de renforcer les liens au sein de la communauté financière d’Armor, un séminaire rassemblant l’intégralité de ses membres est en effet organisé chaque année. «Même si ces rendez-vous sont avant tout l’occasion de réfléchir sur des thématiques professionnelles, nous profitons de ces manifestations pour entretenir la cohésion d’équipe. Récemment, nous avons par exemple offert aux collaborateurs français et étrangers un rallye en Citroën 2 CV à la Baule.» Armor a beau s’internationaliser à vitesse grand V, ses managers n’en oublient pas ses racines locales.

Le parcours de Marc Jacobs

Diplômé de l’Essec, Marc Jacobs exerce à compter d’octobre 1978 la fonction de responsable administratif et financier d’une filiale de sous-traitance industrielle du groupe Degussa-Evonik. En juillet 1983, il devient responsable du contrôle de gestion au sein de la société Continentale Parker, avant de rejoindre quatre ans plus tard le producteur de panneaux de particules et de contreplaqué Isoroy. En juillet 1988, il est nommé directeur financier-financial controller de filiales au sein d’Alusuisse Lonza en France et en Allemagne, puis, sept ans plus tard, directeur administratif et financier de Seb en Allemagne, où il est ensuite promu directeur général. Après avoir occupé le poste de directeur financier de Manitou entre février 2001 et octobre 2005, il a été recruté par le groupe Armor en tant que directeur administratif, financier et ressources humaines. En parallèle, il supervise depuis 2014 l’activité de la business unit Armor Office Printing Retail.

Un LBO secondaire

  • Repris par le fonds d’investissement Orfite en 2008 (environ 90 % du capital), Groupe Armor a fait l’objet d’un second en LBO en février 2014. Lors de cette opération, Arkéa Capital Partenaire, Ouest Croissance, Siparex et Amundi Private Equity Funds sont entrés au capital de la société nantaise, mais en tant qu’investisseurs minoritaires. En effet, le management et les salariés détiennent 57 % du capital (et 73 % des droits de vote). «277 collaborateurs sont aujourd’hui actionnaires du groupe, via soit un fonds commun de placement d’entreprise, soit une holding ad hoc», explique Marc Jacobs.
  • Afin de financer ses investissements matériels et son innovation (plan de 100 millions d’euros sur la période 2014-2018), le groupe applique une gestion stricte de ses liquidités. «Si une partie de nos revenus remonte au niveau de la holding de tête (EN4) pour rembourser notre dette bancaire, nous ne versons aucun dividende à nos actionnaires», signale le directeur administratif et financier. Une politique déjà appliquée lors du LBO primaire, les profits étant réinvestis en totalité.

Les parades contre le risque de fraude

 Comme beaucoup d’entreprises, Groupe Armor est victime de tentatives de fraude. Afin de s’en protéger, la direction financière a mis en place plusieurs dispositifs.

– Fraude au président : «Déjà, nous rappelons régulièrement à nos équipes financières qu’il est impossible que notre président les contacte en direct pour faire une demande de virement, indique Marc Jacobs. En outre, dès qu’une tentative est repérée au niveau des filiales, leurs responsables ont pour consigne de le remonter au siège en expliquant le modus operandi. L’ensemble des entités sont ensuite prévenues.»

– Cyber-attaques : «Pour nous prémunir notamment contre un ransomware (réclamation d’une rançon pour récupérer des données volées), nous opérons des sauvegardes de nos systèmes toutes les deux heures en journée et toutes les quatre heures la nuit sur des serveurs externes. Par ailleurs, nous avons installé sur nos postes un fichier leurre, sur lequel sont immédiatement dirigées les attaques de pirates. Ce faisant, un mécanisme d’alerte se déclenche, permettant de détecter immédiatement la fraude et d’annihiler la menace.»

Les partenaires de la direction financière

Les banques

Groupe Armor entretient des relations avec BNP Paribas, Crédit Agricole (CA CIB, CA Atlantique Vendée, CA Centre-Est et LCL), BPCE (Natixis, Banque Populaire Atlantique et Caisse d’Epargne) et Arkéa Banque.  Outre une dette senior mise en place dans le cadre du second LBO début 2014, l’entreprise dispose d’une ligne de capex de 33 millions d’euros, d’une ligne revolving de 15 millions d’euros ainsi que d’un programme d’affacturage en mode confidentiel de 22 millions d’euros. Dans les pays, la société s’appuie le plus souvent sur des établissements locaux pour les tâches classiques, comme le paiement des salaires et le règlement des fournisseurs.

Les commissaires aux comptes

Deux cabinets accompagnent la société, parmi lesquels Mazars. «Il était important de nous appuyer sur un partenaire implanté dans la plupart des pays où nous sommes présents car cela permet d’avoir une vision homogène sur nos comptes», justifie Marc Jacobs. Présent historiquement et spécialisé sur les problématiques sociales, Caelis complète le co-commissariat.

Les cabinets de conseil

Sur les aspects juridiques, comme par exemple la prestation de services entre les holdings du groupe, la rédaction du pacte d’actionnaires ou encore la gestion des procès-verbaux d’assemblées générales, Groupe Armor collabore avec le cabinet nantais LB Avocats. Même s’il gère en interne le processus de due diligence dans le cadre d’acquisitions, le groupe se fait parfois accompagner dans ce type d’opérations. «Nous optons alors pour des conseils locaux, qui sont généralement PwC et Mazars lorsqu’il n’y a pas de conflit d’intérêt», précise Marc Jacobs. Enfin, EY conseille actuellement le groupe dans sa réflexion sur la mise en place d’outils de bonne gouvernance.

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