Du 28 mars au 1er avril se tient la semaine de l’épargne salariale. Un dispositif qui favorise le partage de la valeur et dont la promotion a fait partie des ambitions du gouvernement. Alors que ce dernier a lancé une nouvelle mission d’ambassadeurs pour promouvoir la participation et l’intéressement, confiée à Thibault Lanxade, François Perret et Agnès Bricard, quel écho ces thématiques trouvent-elles auprès des entreprises ? Les efforts de simplification de certains dispositifs et l’arrivée de nouveaux acteurs sur ce marché, depuis la loi Pacte, créent-ils les conditions favorables pour accélérer les investissements des salariés ?
- La volonté de l’Etat de favoriser les dispositifs d’épargne collective s’est notamment concentrée sur la retraite. Les entreprises ont-elles adhéré à ce produit unique et opéré une transformation de leurs anciens dispositifs retraite ?
- Vous évoquez la volonté des entreprises de récompenser l’implication de leurs salariés au cours de la crise sanitaire. Cela signifie-t-il qu’au-delà du PER, les flux sont en croissance sur l’épargne salariale dans son ensemble ?
- Vous parlez de quête de sens : l’offre d’investissement responsable s’est étoffée au sein de l’épargne salariale. Séduit-elle les entreprises et les salariés ?
- La loi Pacte a permis l’arrivée de nouveaux entrants sur le marché de l’épargne salariale. Quels sont les acteurs les mieux à même d’accompagner les entreprises dans le déploiement de leurs dispositifs et dans ce nécessaire travail de pédagogie ?
- Outre la pédagogie, l’offre financière est également importante pour déclencher l’adhésion. Aujourd’hui, la gamme de supports d’investissement proposée dans l’épargne salariale est-elle suffisamment étoffée pour répondre aux attentes des épargnants ?
- Les salariés profitent-ils de ce panel de choix, ou la tendance en faveur des fonds monétaires demeure-t-elle marquée ?
- Quel degré de diversification est-il possible et recommandé de privilégier au sein de l’allocation d’une épargne salariale ?
- Quels sont les avantages majeurs de l’épargne salariale qui mériteraient d’être mis en avant, afin de favoriser l’adhésion ?
- La pédagogie est essentielle, vous l’avez souligné à de nombreuses reprises. Qu’est-ce qui pourrait également être mis en place pour encourager entreprises et salariés à adopter des solutions d’épargne salariale ?
- Faut-il alors attendre ces réformes avant de lancer de nouveaux dispositifs d’épargne salariale ?
De gauche à droite :
- Frédéric Barroyer, directeur de l’Epargne dans l’Entreprise, Société Générale Assurances
- Santillane Coquebert de Neuville, responsable clientèle institutionnelle et entreprise, Lazard Frères Gestion
- Bruno Lourenço, directeur commercial régional, Eres Group
- Nicolas Villet, directeur, BNP Paribas Epargne Retraite & Entreprises
La volonté de l’Etat de favoriser les dispositifs d’épargne collective s’est notamment concentrée sur la retraite. Les entreprises ont-elles adhéré à ce produit unique et opéré une transformation de leurs anciens dispositifs retraite ?
Frédéric Barroyer, directeur de l’Epargne dans l’Entreprise, Société Générale Assurances : Je suis convaincu que l’épargne salariale va avoir un rôle à jouer de plus en plus important en matière de protection sociale, notamment de retraite. Concernant l’équipement en PER, nous sommes face à deux mondes, qui n’ont pas avancé à la même vitesse. Fin juin 2021, nous étions à environ 50 % de transformation sur les PER collectifs, une tendance qui s’est poursuivie au deuxième semestre. Sur les anciens articles 83, qui peuvent devenir des PER à cotisation obligatoire (PEROB), le rythme a été moins soutenu. Cela peut s’expliquer par un formalisme juridique plus complexe que pour les PERCO et la survenance de la crise sanitaire en 2020. Néanmoins, les dernières statistiques de France Assureurs faisaient état de trois fois plus d’adhérents à fin 2021 par rapport à 2020 ; deux fois plus d’encours aussi, soit près de 5 milliards d’euros.
Nicolas Villet, directeur, BNP Paribas Epargne Retraite & Entreprises : Concernant les dispositifs assurantiels, deux tiers des nouveaux flux observés sur les PERO en 2021 proviennent d’anciens contrats. Cela démontre le dynamisme des transformations, malgré un contexte de crise sanitaire qui a bouleversé les entreprises. Après cette crise, l’épargne salariale redevient pour elles une priorité et ressort d’ailleurs en tête des sujets de discussion avec les organisations syndicales. L’équipement des grandes entreprises est élevé, la question serait plutôt celle d’une révision de leurs dispositifs, notamment par l’intermédiation de courtiers. En revanche, le taux d’équipement en PER des plus petites entreprises demeure faible, environ 15 % pour celles de moins de 50 salariés.
Bruno Lourenço, directeur commercial régional, Eres Group : Les PME-TPE fonctionnent le plus souvent sur des logiques interentreprises. Pour celles qui font partie de notre portefeuille, nous avons opéré la transformation de leurs solutions en PER dès la parution de la loi Pacte. En 2020-2021, nous avons également connu, chez Eres Group, une augmentation de 20 % de l’équipement des PME-TPE en PER. Elle s’explique notamment par leur volonté de récompenser les salariés pour leur implication au cours de la crise sanitaire. Pour les grandes entreprises et ETI, qui sollicitent des dispositifs d’épargne retraite conçus sur mesure, la transformation est plus longue. Elle implique un grand nombre de parties prenantes et comprend également d’autres volets de l’épargne collective, comme l’intéressement et la participation. Il est aussi désormais possible de regrouper tous les compartiments de cette épargne collective en un seul, pour le PER et le PEE, et c’est un point à faire valoir auprès des sociétés. Il participe à la lisibilité des encours placés par les salariés et ouvre la voie à des améliorations d’ingénierie sur ces produits.
Rappelons aussi qu’anciennement, sur un PERCO, le versement personnel et non déductible donnait lieu à une imposition de 17,2 % à la sortie. Ce même versement effectué sur le compartiment 1 d’un PER souffrira d’une taxation plus forte – flat tax ou barème progressif de l’impôt sur le revenu. Modifier ce point lèverait un frein important.
Santillane Coquebert de Neuville, responsable clientèle institutionnelle et entreprise, Lazard Frères Gestion : La « lenteur » des grandes entreprises s’explique par leur volonté de repenser en profondeur leur dispositif et d’interroger divers acteurs sur leurs solutions. La loi Pacte a permis l’entrée de nombreuses sociétés sur ce marché, et donc l’apparition d’offres nouvelles. Cela apporte de la compétitivité sur la question des frais et de la pertinence des investissements financiers. Les sociétés prennent le temps de mener des appels d’offres en collaboration avec les représentants des salariés. Elles n’hésitent pas, d’ailleurs, à se faire accompagner de consultants. Les dossiers sont donc en train de se structurer et devraient être nombreux au cours des années à venir.
Vous évoquez la volonté des entreprises de récompenser l’implication de leurs salariés au cours de la crise sanitaire. Cela signifie-t-il qu’au-delà du PER, les flux sont en croissance sur l’épargne salariale dans son ensemble ?
Nicolas Villet : Les résultats cumulés des sociétés du CAC 40 sont en baisse en 2020. Néanmoins, les montants distribués par les entreprises sur les six premiers mois de 2021 au titre de 2020 sont globalement en augmentation. Il est intéressant de noter la forte progression des flux issus de l’abondement ainsi que des versements volontaires des salariés (près de 20 %), et cela à grande échelle puisque les entreprises de plus de 1 000 salariés sont équipées à plus de 90 % de dispositifs d’épargne salariale.
Santillane Coquebert de Neuville : L’épargne salariale bénéficie d’un double phénomène. D’une part, la presse s’est emparée du sujet depuis 2019 et les salariés, à l’embauche, en font un véritable critère de décision. De plus, leur intérêt est également porté par les bons résultats des marchés financiers et la hausse de la croissance mondiale depuis une décennie maintenant. L’épargne salariale procure un moyen de profiter de cette croissance. Sans oublier que les salariés sont d’autant plus enclins à ne pas percevoir les sommes issues de l’épargne salariale qu’elles ne transitent pas sur leur compte en banque.
Frédéric Barroyer : Nous avons été surpris de voir que les flux d’épargne salariale ont augmenté en 2021, sur des résultats de 2020 donc, pourtant année de crise. Les salariés ont également moins procédé à des retraits anticipés en 2021 que précédemment. Il est intéressant de voir que les versements non liés aux résultats, tel l’intéressement, ont été très dynamiques. L’épargne salariale s’est imposée comme une composante du package de rémunération des salariés et fait l’objet de réelles discussions à l’embauche. Elle devient un levier d’attractivité pour les entreprises.
Bruno Lourenço : L’épargne salariale répond aussi aux attentes des jeunes générations et à leur quête de sens. Elle renforce leur implication dans le travail et le sentiment d’une association collaborative qui contribue à la bonne marche de l’entreprise.
Vous parlez de quête de sens : l’offre d’investissement responsable s’est étoffée au sein de l’épargne salariale. Séduit-elle les entreprises et les salariés ?
Santillane Coquebert de Neuville : Les grandes entreprises manifestent une volonté de proposer une épargne salariale en ligne avec leurs engagements ESG, nous le voyons dans les consultations qu’elles mènent. En tant que société de gestion, elles nous demandent de plus en plus de fonds correspondant aux articles SFDR 8 et 9, les plus vertueux. Elles tiennent à promouvoir l’alignement entre leur stratégie et leur offre d’épargne auprès de leurs salariés.
«L’épargne salariale s’est imposée comme une composante du package de rémunération des salariés et fait l’objet de réelles discussions à l’embauche. Elle devient un levier d’attractivité pour les entreprises. »
Nicolas Villet : 58 % de l’épargne solidaire française est issue de l’épargne salariale et cela s’explique notamment par le cadre législatif pré-Pacte. L’investissement durable s’est imposé comme une condition centrale des appels d’offres lancés par les groupes. Certains témoignent d’ailleurs des effets bénéfiques de la promotion d’un investissement durable au sein de leur PEE. Ils y voient une occasion de créer un élément fédérateur.
Bruno Lourenço : Cela ne concerne pas uniquement les plus grands groupes. Les chefs d’entreprises peuvent aussi se saisir de ce sujet pour en faire un élément fédérateur, autour d’un projet commun. Les fonds ISR témoignent d’une volonté de trouver du sens dans l’épargne salariale et les sociétés de gestion doivent encore améliorer leur transparence et leur communication à ce sujet.
La loi Pacte a permis l’arrivée de nouveaux entrants sur le marché de l’épargne salariale. Quels sont les acteurs les mieux à même d’accompagner les entreprises dans le déploiement de leurs dispositifs et dans ce nécessaire travail de pédagogie ?
Santillane Coquebert de Neuville : En tant que société de gestion, nous faisons partie de ces nouveaux acteurs qui peuvent intégrer le marché de l’épargne salariale, auparavant concentré autour d’offres packagées. Néanmoins, nous ne communiquons pas directement avec l’entreprise, sauf à la demande du teneur de compte ou de l’entreprise elle-même. Les grands groupes, qui souscrivent à des offres dédiées, intègrent souvent les sociétés de gestion dans les discussions. Les canaux de communication qu’ils mettent ensuite en place pour relayer l’information à leurs salariés sont très disparates. Certains préfèrent laisser leurs partenaires communiquer en direct, d’autres vont choisir de centraliser l’information puis de la diffuser eux-mêmes via leurs canaux internes. Il y a désormais beaucoup d’information disponible, notamment de la part des gérants de fonds.
Bruno Lourenço : Du côté des TPE et PME, il y a encore beaucoup à faire en matière d’accompagnement, or ce sont justement ces sociétés qui ont le plus faible taux d’équipement. Beaucoup d’entre elles n’ont pas forcément de DRH ou de directeur financier en interne pour superviser la mise en place d’une épargne salariale. Pour les atteindre, nous travaillons donc avec des CGP, des experts-comptables et des courtiers, soit plus de 6 000 experts sur toute la France que nous formons et accompagnons. Le conseil humain constitue la pierre angulaire de cet accompagnement. Souvent, la porte d’entrée se fait par les procédés de versements volontaires, comme l’abondement, puis l’intéressement. Cela fait une réelle différence pour les salariés car les montants peuvent rapidement être importants.
Nicolas Villet : Souvent, les grandes entreprises passent par des courtiers ou des conseillers, mais nous pouvons aussi traiter directement avec elles. Notre réseau bancaire constitue un relais efficace et la communication allie évidemment relation physique et relation digitale. Nous travaillons aussi notre offre avec d’autres partenaires, par exemple des agrégateurs, afin de proposer de nombreux services.
Frédéric Barroyer : Je suis sensible à la notion de partenaire. A mon sens, au-delà de l’accompagnement précieux qu’un bancassureur peut apporter sur les deux dimensions combinées épargne retraite et épargne salariale, il ne faut pas oublier d’associer des relais internes à l’entreprise pour la réussite de tels projets, notamment les représentants des salariés. La proximité avec les salariés est une composante importante pour les faire adhérer aux dispositifs d’épargne salariale. L’intranet constitue ainsi un canal de communication très adapté.
«Les grandes entreprises manifestent une volonté e proposer une épargne salariale en ligne avec leurs engagements ESG. »
Outre la pédagogie, l’offre financière est également importante pour déclencher l’adhésion. Aujourd’hui, la gamme de supports d’investissement proposée dans l’épargne salariale est-elle suffisamment étoffée pour répondre aux attentes des épargnants ?
Santillane Coquebert de Neuville : Je pense justement que les gammes sont trop étoffées ! Nous évoquions le besoin de clarté, de communication, or une surabondance de fonds nuit à cela. Nous avons une réelle volonté de réduire le nombre de supports que nous proposons pour de l’épargne salariale et pensons qu’il est dans l’intérêt des entreprises de passer d’une trentaine à une dizaine de supports seulement. Grâce à cela, les informations reçues par les salariés sont plus resserrées et cela facilite leur choix. Car n’oublions pas que, s’il est indécis ou si l’offre lui semble trop complexe, l’épargnant aura tendance à s’orienter vers l’offre la plus sécurisée, qui n’est pas toujours adaptée à son profil ou à son horizon d’investissement. Cela ne signifie pas que nous ne sommes pas capables de présenter une offre de départ étoffée, mais qu’une réflexion doit être menée sur la liste finale de produits proposés à l’épargnant. Une liste qui va différer, d’ailleurs, en fonction du profil de l’entreprise, de sa taille, de son secteur d’activité…
Frédéric Barroyer : Les grands groupes ont en effet tendance à réduire leur offre de fonds. L’effort de simplification peut aller encore plus loin, en révisant le nom des fonds. Trop souvent, ils comportent des acronymes incompréhensibles pour qui n’est pas issu du monde financier, ou bien ils n’indiquent en rien sur quelles classes d’actifs ils sont investis. Comment, ensuite, les salariés peuvent-ils faire simplement un choix d’allocation ? Nous avons noué un partenariat avec Fidelity International en matière de gestion d’actifs et créé une gamme de fonds sous la dénomination « Mon épargne entreprise responsable ». C’est une gamme très concentrée, aux noms simples et parlants. Evidemment, l’effort ne doit pas se limiter aux seuls noms de fonds, mais aussi porter sur la documentation et la communication. Il faut, par exemple, expliquer de façon accessible pourquoi un fonds est solidaire et apporter des éléments de preuve de l’impact pour la communauté.
Nicolas Villet : Les dispositifs d’épargne salariale doivent permettre d’accéder à une palette large et diversifiée de solutions d’investissement, je vois au contraire cela comme une force. Nous avons par exemple des fonds externes, dédiés, ou encore consacrés à l’immobilier. La qualité du dialogue avec l’entreprise va ensuite permettre de réaliser une sélection au sein de ce panel, sélection qui va refléter les différents profils de salariés.
Bruno Lourenço : Il faut partir avec l’idée que les besoins en équipement financier des salariés n’ont pas été adressés. Bien souvent, l’épargne salariale est la première porte d’entrée des salariés sur les marchés financiers et leur unique source de placement. Une large palette de solutions est donc nécessaire, car leurs besoins sont très variés. Nous proposons ainsi une gamme de 60 fonds au sein de notre offre packagée en architecture ouverte et de la gestion pilotée en PEE et en PER.
Les salariés profitent-ils de ce panel de choix, ou la tendance en faveur des fonds monétaires demeure-t-elle marquée ?
Nicolas Villet : Les fonds monétaires restent indispensables dans le sens où les entreprises sont prudentes et veulent pouvoir proposer un placement sécurisé à leurs salariés, notamment en cas de retournement des marchés. Néanmoins, on remarque une appétence pour d’autres fonds, notamment les fonds ISR et solidaires, qui deviennent structurants au sein d’une allocation. Autre phénomène notable, le fait que, sur le PER, la gestion pilotée est le choix par défaut. C’est une nouveauté de la loi Pacte et cela répond à un double enjeu : augmenter la part d’actifs plus risqués dans les allocations pour profiter de l’horizon de long terme, tout en désensibilisant progressivement le portefeuille à l’approche de la retraite. La gestion pilotée se renforce donc considérablement dans les PER.
Bruno Lourenço : La dynamique s’intensifie sur les fonds solidaires, nous faisons le même constat. Selon l’AFG, les encours d’épargne salariale sur les placements ISR et solidaires ont augmenté de 18 % en un an, à fin 2020. Beaucoup a été fait ces dernières années pour guider les salariés dans leurs choix, pour définir une allocation en adéquation avec leur profil de risque et leurs projets, notamment grâce à l’utilisation de robo-advisors – ce qui n’enlève en rien une nécessaire relation humaine. La gestion pilotée gagnerait beaucoup à être plus utilisée dans les PEE, au sein desquels encore beaucoup d’épargne demeure sur des fonds monétaires.
Santillane Coquebert de Neuville : Lorsque nous faisons des formations auprès des salariés, nous cherchons à mettre en adéquation leur allocation avec leur horizon d’investissement, et ce notamment pour le PER. Nous nous appuyons sur des chiffres. Sur 20 ans, la performance moyenne des placements en monétaire a été de 22 %, contre plus de 250 % sur le MSCI World. Cette différence majeure de performance, c’est autant de capital en plus ou en moins pour la retraite. Quant à la question de l’importance accordée à la thématique ISR, elle est manifeste, du moins du côté des entreprises. Lorsque nous sommes invités dans les conseils de surveillance pour y expliquer nos allocations, il est devenu courant que l’on nous demande de justifier les analyses de performance extra-financière de nos investissements. Nous verrons si cela se traduit ensuite par de nouveaux flux d’investissement.
«L’équipement des grandes entreprises est élevé, la question serait plutôt celle d’une révision de leurs dispositifs, notamment par l’intermédiation de courtiers. »
Quel degré de diversification est-il possible et recommandé de privilégier au sein de l’allocation d’une épargne salariale ?
Santillane Coquebert de Neuville : Les audits que nous effectuons auprès des entreprises démontrent une sous-pondération des actions monde dans les allocations. Or la performance a justement été plus soutenue sur ces actions monde, car elles permettent de s’exposer à la croissance mondiale. Ainsi, sur 20 ans, le CAC 40 a progressé de 160 %, les actions européennes (Stoxx 600) de 180 % et les actions monde (MSCI World) de 265 %. Cela ne s’est pas fait au prix d’une volatilité plus élevée, puisqu’elle a été de 18 % en moyenne sur le CAC 40, contre 14,5 % sur les actions monde. La surperformance de la croissance mondiale devrait se poursuivre à l’avenir : le FMI table, pour les cinq prochaines années, sur une croissance moyenne de 2,1 % en Europe, contre 3,5 % dans le monde. Prendre du risque, sur un horizon de temps long, génère donc un surcroît de performance. Voilà pourquoi nous recommandons une diversification géographique dans les investissements. De plus, d’après nos simulations, investir 100 euros chaque mois sur le marché actions monde ou 1 200 euros en une fois chaque année ne fait pas de différence majeure sur un horizon de placement de 20 ans. En revanche, les épargnants doivent prendre conscience que nous allons faire face à un changement de paradigme, causé par une remontée des taux et un retour de l’inflation, ce que nous n’avons pas connu depuis de nombreuses années. Ils doivent comprendre que des fonds pourront désormais leur faire perdre de l’argent s’ils ne sont pas armés pour se positionner en sensibilité de taux négative. Dans cet environnement de marché, les dispositifs devraient donner accès à une gestion active, tactique et stratégique.
Nicolas Villet : La diversification est une composante très importante au sein d’une allocation. Nous offrons donc une large gamme de fonds représentatifs des principales classes d’actifs, couvrant différentes zones géographiques, ainsi que des fonds diversifiés correspondant aux différents profils d’investisseurs. Il est intéressant de noter que les dispositifs d’épargne salariale, sponsorisés par l’Etat dans le sens où ils bénéficient d’avantages fiscaux, permettent de financer le développement des PME-ETI françaises, voire européennes. Il paraît donc justifié que nous mettions en avant également des offres financières basées sur ce type d’investissements. Il est important de penser une allocation en fonction d’un horizon de temps. Celui d’un PEE est ainsi beaucoup plus court que celui d’un PER car il finance des projets à cinq ans.
Enfin, concernant les versements, il faudrait s’éloigner des pratiques actuelles qui sont trop axées sur le calendrier fiscal, or la fin d’année est rarement le moment idéal pour investir. Sélectionner le bon momentum pour se positionner sur un marché fait partie de notre métier et c’est une valeur ajoutée dont il est important de parler à l’épargnant. D’autant qu’étaler les versements dans le temps, de manière régulière, permet de lisser les soubresauts du marché. L’accompagnement que nous pouvons fournir sur ces points est un axe de développement important pour les acteurs que nous sommes.
Quels sont les avantages majeurs de l’épargne salariale qui mériteraient d’être mis en avant, afin de favoriser l’adhésion ?
Frédéric Barroyer : Au-delà de la flexibilité que l’on peut trouver en matière d’allocation, je voudrais insister sur l’importance que revêt le processus de l’épargne dans l’entreprise. L’intérêt d’un dispositif proposé par l’entreprise est qu’il est disponible dès le début d’une carrière. Ainsi, un jeune de 25 ans au début de sa vie active peut lancer une épargne retraite alors que, hors de ces dispositifs, les épargnants envisagent une épargne retraite individuelle plutôt entre 40 et 50 ans. Certes, les capacités d’épargne sont différentes entre ces deux âges, mais il ne faut pas négliger le facteur temps. Là peuvent alors pleinement se mettre en place des stratégies d’allocation, de diversification. Cela fonctionne d’autant mieux que l’épargne entreprise permet la régularité des versements, que ce soit au travers de cotisations obligatoires, via des versements mensuels ou trimestriels, ou des flux annuels d’épargne salariale. Il faut saisir l’opportunité d’un cycle d’épargne régulier.
Bruno Lourenço : La pédagogie est essentielle pour assurer le succès de ces dispositifs et elle est aujourd’hui plus nécessaire sur le PER que sur le PEE. Le PER est réellement novateur et je ne suis pas certain que les épargnants aient bien saisi toute sa portée. D’une part, il permet de regrouper tous les anciens dispositifs d’épargne retraite acquis au cours d’une carrière. De plus, il lève un de leurs freins principaux, puisque la sortie n’est plus cantonnée à la rente viagère. Des versements volontaires déductibles peuvent être sortis en capital. Cela a d’ailleurs favorisé les flux en direction du PER. On se souvient que le gouvernement avait fixé un objectif de 300 milliards d’euros d’encours placés sur ce dispositif d’ici la fin du mandat, nous ne devrions pas en être loin.
Je vois aussi les versements réguliers comme un avantage, car ils lissent l’effort de l’épargnant. Toutefois, pour susciter une réelle adhésion, la pédagogie doit aussi émaner de l’entreprise. Elle connaît ses salariés et doit leur proposer un mécanisme qui leur permette de préparer au mieux leurs projets de moyen terme et leur retraite. Elle peut aussi faire résonner ses priorités en tant qu’entreprise avec les opportunités d’investissement proposées.
Divers outils peuvent être mis en place pour aider les salariés à prendre leurs décisions, par exemple pour mettre en place des versements programmés ou comprendre les mécanismes de sortie.
La pédagogie est essentielle, vous l’avez souligné à de nombreuses reprises. Qu’est-ce qui pourrait également être mis en place pour encourager entreprises et salariés à adopter des solutions d’épargne salariale ?
Nicolas Villet : La dynamique de l’épargne salariale est bien enclenchée, malgré la crise sanitaire, et cela mérite d’être souligné. Néanmoins, pour en faire – et notamment du PER – une composante phare de l’épargne des Français, le chemin reste long. A titre de comparaison, les encours sur l’assurance vie sont supérieurs à 1 800 milliards d’euros. La pédagogie peut en effet être améliorée, en aidant les entreprises et leurs épargnants à encore mieux comprendre l’intérêt de cette épargne, que ce soit au travers d’outils digitaux ou d’un accompagnement humain en proximité. Puis, pour réussir le changement d’échelle, il reste un sujet à traiter, celui de l’attractivité des dispositifs. Elle doit être renforcée. Thibault Lanxade a émis diverses propositions en ce sens, certaines reprises par une partie des candidats à l’élection présidentielle. Tout ceci démontre qu’il va falloir aller plus loin dans le renfort de l’attractivité du dispositif, notamment sur le plan fiscal.
«La gestion pilotée gagnerait beaucoup à être plus utilisée dans les PEE, au sein desquels encore beaucoup d’épargne demeure sur des fonds monétaires. »
Bruno Lourenço : Les mécanismes d’épargne salariale ont déjà beaucoup évolué, néanmoins certaines mesures contribueraient en effet à faciliter une adhésion plus large. Citons ainsi la suppression du forfait social pour tous ou encore une simplification de la règle qui encadre la participation.
Je reste convaincu que la pédagogie peut et doit aussi se faire au travers de l’entreprise. Quand bien même le teneur de compte ou la société de gestion mettrait des outils à la disposition de l’épargnant, l’appui de l’entreprise demeure nécessaire pour cautionner et appuyer les dispositifs. Or ce manque de communication est particulièrement flagrant pour les dispositifs d’intéressement. Les entreprises communiquent très peu, au fil de l’année, sur l’avancée du projet, ne fournissent pas d’indicateurs qui permettraient de faire en sorte que le salarié se sente concerné. Les objectifs pourraient être fixés sur des échéances plus rapprochées, par exemple au trimestre, ce qui faciliterait l’implication de chacun. Il serait également intéressant pour les structures de se pencher sur d’autres formules qui ont démontré leur efficacité, comme l’intéressement de projet et l’actionnariat salarié.
De manière générale, des solutions d’épargne pour la retraite doivent être mises en œuvre. Nous avons vu qu’une réforme plus large du système n’avait pas eu lieu sous la mandature actuelle, or plus nous attendons, plus ces mesures devront être drastiques.
Santillane Coquebert de Neuville : Les grandes entreprises sont en train de remettre à plat tout leur dispositif d’épargne salariale et il est normal que cela prenne du temps, compte tenu du nombre de parties prenantes impliquées et de la possibilité de mettre en concurrence des offres plus nombreuses. Une réflexion sur leur communication en direction de leurs salariés doit faire partie de cette remise à plat, mais je pense qu’elles attendent d’avoir toutes les cartes en main pour la lancer.
Du côté des prestataires de services, des solutions existent pour les assister, notamment depuis la crise sanitaire. Dans la gestion d’actifs, par exemple, la crise a indéniablement accéléré la digitalisation.
Frédéric Barroyer : Il y a eu une réelle montée en puissance du digital en effet. Il permet de mener des actions ciblées en fonction de l’âge et des priorités de l’épargnant, car on ne parle pas de la même manière à quelqu’un de 30 ans ou à quelqu’un de 45 ans. Nous proposons ainsi un parcours de « coach retraite » complété par un accès à un expert si besoin. Nous remarquons également une très forte utilisation de nos apps : les trois quarts des actions menées par les salariés sur leur épargne collective y sont effectuées. Cela nous permet d’ailleurs de mieux analyser les données et donc d’individualiser notre approche. Nous n’en oublions pas pour autant l’importance de l’humain ; nos experts sont au service de nos clients 6 jours sur 7 pour répondre à leurs besoins toujours plus sophistiqués. Si l’on réfléchit à ce qui pourrait maintenant accélérer plus encore l’épargne salariale, une question s’impose : faut-il rendre obligatoire la participation ou les dispositifs d’épargne retraite dans les plus petites entreprises ? Beaucoup de sujets et de discussions vont s’ouvrir, notamment après l’élection présidentielle.
Faut-il alors attendre ces réformes avant de lancer de nouveaux dispositifs d’épargne salariale ?
Frédéric Barroyer : Non, bien au contraire. L’épargne salariale est un outil très puissant, encore sous-utilisé. Il est indispensable de rassembler toutes les énergies possibles pour contribuer à son déploiement auprès des salariés français. La loi Pacte a commencé à insuffler cette dynamique, il faut la préserver.
Nicolas Villet : Les entreprises ne semblent pas tomber dans l’attentisme, puisque les appels d’offres pour de l’épargne salariale ont augmenté de 40 % en 2020. Néanmoins, le taux d’équipement est effectivement encore très insuffisant. Environ la moitié des salariés en France, soit 11,5 millions de personnes, bénéficient d’une épargne salariale. Or elle représente très souvent une part importante de leur épargne financière. Cela constitue donc un vecteur unique d’épargne, d’intérêt général, pour les salariés français.
Santillane Coquebert de Neuville : Nous sommes très excités par l’évolution de ce nouveau marché de l’épargne salariale, qui est en train de connaître de grands changements. Il se structure différemment et devient ainsi plus compétitif. Cela va profiter, en termes de tarifs et de qualité de l’offre, à l’épargnant. Evidemment, le sujet est complexe pour les entreprises, mais le bénéfice de l’épargne salariale est très important, pour les entreprises comme pour leurs salariés. Nous devons tous œuvrer pour utiliser à bon escient cette offre nouvelle.