Face à la succession de crises que nous traversons depuis deux ans, les risques, pour les entreprises exportatrices, tendent à se renforcer et surtout à se diversifier. Dans ce contexte, les entreprises disposent de différents outils pour piloter et maîtriser ces risques. Une démarche qui passe également par leur capacité à faire preuve d’agilité et à adapter leur gestion du poste clients à l’export en fonction de l’évolution de la nature des risques mais également des zones géographiques vers lesquelles elles exportent.
- Explosion des risques liés aux approvisionnements
- Les coûts du transport explosent
- Les devises et taux de change surveillés de près
- Les risques de compliance reviennent en force avec la crise ukrainienne
- Les risques d’approvisionnement exacerbés
- Le reverse factoring outil de sécurisation de la chaîne d’approvisionnement et de financement
- Les sources de financement à l’export
- Accélérer les rentrées de cash
- La data au cœur de la gestion du risque
- L’ESG s’inscrit peu à peu en toile de fond
- Recouvrer des créances à l’export
Explosion des risques liés aux approvisionnements
Frédérique Vernerey-Alliaume, directrice commerciale et marketing, Allianz Trade en France : En ce début d’année, dans le cadre de notre Allianz Trade Global Survey, nous avons interrogé plus de 3 000 exportateurs européens. Cette enquête s’est divisée en deux phases : une avant l’invasion de l’Ukraine, l’autre ensuite. Le premier constat, c’est que le top trois des risques évoqués par les exportateurs est le même avant et après l’invasion de l’Ukraine : la hausse des prix de l’énergie en premier lieu, la résurgence de risques politiques ensuite et les pénuries et hausses des prix des matières premières enfin. Mais la principale conclusion de cette enquête, malgré une prévision de croissance de + 4 % du commerce mondial en volume, c’est que la crise ukrainienne a clairement tempéré l’optimisme des exportateurs français : neuf exportateurs sur dix étaient, avant la crise ukrainienne, optimistes sur leurs perspectives de croissance à l’export, alors qu’un exportateur sur quatre pense désormais que son chiffre d’affaires à l’export reculera en 2022. Peu d’entreprises françaises ont été directement menacées par cette crise. Ce sont plutôt les effets indirects qui les menacent, en matière d’impacts sur les chaînes logistiques et sur les coûts des intrants et de l’énergie. Autant de facteurs qui pourraient peser sur les perspectives de développement international des entreprises françaises, mais également sur leurs marges et leur trésorerie.
«Nous constatons actuellement au sein des entreprises assurées une plus grande prudence pour ne pas dépasser les lignes d’encours garanties.»
Jean-Mathieu Sahy, président associé fondateur de Capital Export : Selon le baromètre Capital Export Opinionway, 63 % des PME confirment ne pas être touchées, ou que faiblement touchées, par le conflit en Ukraine. Les PME françaises exportent principalement vers les pays d’Europe occidentale, qui est la destination « naturelle ». Les ventes dans la zone Russie, CEI, et pays baltes sont négligeables de par la structure et la taille des marchés en question. Nous accompagnons également des entreprises en Amérique du Nord et en Asie.
Le baromètre témoigne d’une réelle vivacité internationale chez les PME : le nombre d’entreprises exportatrices a augmenté de près de 25 % entre 2021 et 2022, et leur chiffre d’affaires export a pour sa part augmenté de 50 %. Cela corrobore notre expérience depuis plus de 10 ans : l’international est un puissant levier de croissance, de pérennité et de gisements commerciaux pour les entreprises françaises.
Alex Lhéritier, directeur du développement des offres BFR, Kyriba : Les exportateurs français peuvent être touchés par la crise ukrainienne de manière indirecte, par effet ricochet. Un risque sur un pays peut se propager sur un autre pays, par le jeu des supply chains (chaînes logistiques) intégrées entre lesdits pays. Par exemple, une part majeure de la production d’engrais provient de Russie. Les sanctions empêchent les pays acheteurs, qui sont des producteurs agricoles, de se les procurer, pouvant provoquer à terme une réduction de leur propre production agricole, et ainsi une réduction de leurs exportations. Plus la supply chain est complexe, plus il peut y avoir d’impacts indirects et étendus géographiquement. D’où la nécessité d’avoir une vision d’ensemble de la chaîne et des risques qui peuvent y être associés.
Jean-Mathieu Sahy : C’est le vrai sujet. Qui touche l’ensemble des entreprises, exportatrices ou non. Les problématiques d’approvisionnements risquent d’être aggravées par les confinements durs de la zone économique majeure de Chine depuis plusieurs mois. La crise en Ukraine exacerbe par ailleurs la tension sur les prix des matières premières, de l’énergie ou des coûts logistiques. Alors qu’autrefois, les exportateurs étaient surtout confrontés à des risques de paiement, de droits de douane, etc., aujourd’hui, ces enjeux sont complètement surpassés par les risques en matière d’approvisionnement.
«Pour des pays émergents, le risque est aussi sur les devises. »
Frédérique Vernerey-Alliaume : Il convient également d’ajouter à cette problématique d’approvisionnement, l’inflation que nous connaissons actuellement, qui engendre directement une hausse des coûts pour les entreprises. Selon les prévisions d’Allianz Trade, l’inflation atteindra 6 % à l’échelle mondiale et 6,5 % en Europe en 2022. De quoi peser sur la rentabilité des entreprises, d’autant plus que bon nombre d’entre elles ne pourront pas répercuter l’intégralité des hausses de coûts subies sur leurs prix de vente.
Les coûts du transport explosent
Maud Duchet, credit manager, groupe Interparfums : Pour notre part, nous sommes particulièrement vigilants sur le risque géopolitique, le risque souverain. Nous voyons d’ailleurs bien qu’en raison des pénuries, ce risque se propage dans d’autres pays comme le Sri Lanka tout récemment. Nous sommes également en flux tendu en matière d’approvisionnement. La hausse des coûts de l’énergie a par ailleurs généré un risque en matière de transport, avec des coûts en la matière qui ont doublé voir triplé. L’inflation sur les containers s’est d’ailleurs accentuée avec la crise en Ukraine. Nous l’avons vu avec l’acheminement de marchandise devenu très difficile depuis le début du conflit. Le système routier était engorgé et indisponible. Tout le transport s’est détourné sur le maritime, créant en goulet d’étranglement ce qui joue sur l’inflation, la disponibilité des containers et l’acheminement des marchandises. In fine, cela impacte indirectement les paiements. Par exemple chez Interparfums, nous avons d’ordinaire des délais de règlement très courts. Le contexte actuel nous pousse à adapter nos délais de règlement en vertu des délais d’acheminement. Nous avons donc un risque en qualité d’exportateurs car nous sommes présents dans 165 pays.
«Nous sommes particulièrement vigilants sur le risque géopolitique, le risque souverain. »
Frédérique Vernerey-Alliaume : Depuis 2020, suite aux nombreuses pénuries de containers et à la perturbation des chaînes d’approvisionnement internationales qui ont découlé de la crise Covid-19, le coût du transport maritime a été multiplié par cinq. Il s’agit d’une hausse conséquente, d’autant que le fret maritime est un moyen de transport essentiel pour bon nombre d’exportateurs.
Les devises et taux de change surveillés de près
Maud Duchet : Nous sommes également très vigilants sur les risques de non-transferts et de volatilité des devises. Notre travail, au credit management, consiste donc à gérer ces risques et à nous en préserver, afin de sécuriser notre chiffre d’affaires, tout en accompagnant notre croissance sur ces pays.
Jean-Mathieu Sahy : Pour des pays émergents, le risque est aussi sur les devises. Nous recommandons donc aux entreprises de se faire payer dans des devises de référence. C’est pour cette raison que les entreprises que nous accompagnons sont peu présentes dans ces marchés-là.
Maud Duchet : Nous travaillons pour notre part avec le GDP, l’USD, l’euro et le yen.
Cédric Dondain, credit manager, groupe Servier : La compression des marges représente actuellement pour nous un véritable enjeu. Sur le marché du médicament de prescription, les prix sont en effet, généralement, fixés par les autorités de santé. Nous sommes tributaires des prix de marché qui peuvent bénéficier de hausses mais en général, elles arrivent avec un effet retard. Donc, nous avons une problématique de réduction de marge avec des entrants qui ont tendance à augmenter. Pour les médicaments sans prescription médicale, nous sommes en revanche davantage libres sur les prix.
D’autre part, le risque politique est constant chez Servier car nous avons une présence en direct ou via des distributeurs dans de nombreux pays. Nous avons ainsi aujourd’hui des problématiques de paiement dans certains pays qui, comme la Tunisie, passent par des acteurs publics. Dans d’autres pays comme le Sri Lanka ou le Liban, la problématique du paiement avec les acteurs privés porte sur le contrôle des changes (sortie de devises limitées…).
Par ailleurs, aujourd’hui, les paiements prioritaires portent davantage sur les denrées alimentaires et les céréales que sur les médicaments.
Dans certains pays comme la Tunisie, il y a également des velléités protectionnistes pour favoriser les acteurs locaux dans la santé de médicaments génériques, au détriment de laboratoires français, par exemple. Nous avons donc des allongements de délais de paiement dans ces pays. Les assureurs crédit ne suivent plus ou suivent beaucoup moins, du fait du risque politique très sensible dans certains pays.
Les risques de compliance reviennent en force avec la crise ukrainienne
Maud Duchet : Il faut également veiller au risque d’image. Nous ne pouvons pas vraiment le mesurer. Pour notre part, nous sommes assujettis à la fois aux sanctions européennes et aux règles d’extraterritorialité des Etats-Unis car nous sommes un groupe coté à la fois à New York et à Paris. Dans le respect des sanctions connues à ce jour, nous continuons de travailler avec notre distributeur en Russie (même si nous avons réduit de façon conséquente notre volant d’affaires avec lui), car il s’agit d’un partenariat de très longue date (trois décennies), que nous avons accompagné dans son développement et ses crises. Une collaboration qui se fait dans le respect des règles fixées par l’Europe et les Etats-Unis suite à la crise ukrainienne. Certaines marques avec lesquelles nous travaillons ont néanmoins refusé de nous suivre en Russie, ce que, bien entendu, nous respectons.
Cédric Dondain : Depuis quatre ans, nous avons une présence aux Etats-Unis, ce qui soulève des sujets de compliance et de conformité assez importants. Etant exportateurs de produits pharmaceutiques, nous ne sommes pas soumis aux embargos qui concernent d’autres secteurs d’activité. Donc nous pouvons vendre en Iran, en Irak, en Syrie, en Lybie. En revanche, avec notre département compliance, nous nous repositionnons en interne pour savoir s’il est légitime de le faire au regard de notre présence aux Etats-Unis et des règles d’extraterritorialité. Certes, nous allons plutôt raisonner en devise de facturation euro, mais nous essayons de monter en puissance sur nos due diligences constantes pour ne pas prendre davantage de risques, tout en continuant de soigner nos patients qui utilisent nos médicaments. Sur les flux financiers venant d’Iran, d’Irak, de Lybie et de Syrie, nous constatons que même nos partenaires historiques sont de plus en plus frileux. Nous avons donc approché de nouveaux partenaires bancaires. Récemment, nous avons aussi été conseillés par des cabinets spécialisés pour continuer de travailler avec ces pays en prenant le moins de risques possible.
Les risques d’approvisionnement exacerbés
Alex Lhéritier : Les tensions actuelles sur les supply chains ont démontré une nouvelle fois que l’absence de certaines pièces clés, telles que les semi-conducteurs dans le secteur automobile, peut réduire ou stopper toute une ligne de production. Mais cela n’est pas tout. Il convient de distinguer la partie approvisionnement (c’est-à-dire pour produire) et la partie commercialisation. Un producteur peut en effet être impacté par les difficultés de ses fournisseurs ainsi que celles de ses clients. Au final, les deux côtés peuvent impacter sa liquidité et ainsi sa survie. Au cours des 50 dernières années, nous avons bâti des chaînes d’approvisionnement longues et complexes dans le but de réduire nos coûts de production. Nous réalisons aujourd’hui que ce modèle a une contrepartie majeure : il est bien plus difficile à maîtriser, d’où les tensions actuelles. Nous voyons donc de plus en plus d’entreprises commencer à envisager un transfert de cette chaîne de valeur de pays lointains vers des pays plus proches, comme ceux du Maghreb. Il ne s’agit pas d’un phénomène de déglobalisation mais de régionalisation des supply chains. En revanche, lorsque nous basculons du côté des débouchés, les entreprises ne peuvent procéder de la même manière et opérer un « transfert » de clients. Nous retombons alors sur des problématiques liées aux transports, aux délais de livraison, à la protection des marges. C’est ce que je nomme les risques de DDI : défaut, délais, inflation, qui peuvent mettre en péril la profitabilité et la liquidité des entreprises. D’où la nécessité de mettre en place des solutions de protection, telles que le reverse financing et le receivables financing.
«Un risque sur un pays peut se propager sur un autre, par le jeu des supply chains (chaînes logistiques) intégrées entre lesdits pays.»
Frédérique Vernerey-Alliaume : Le risque d’approvisionnement a été exacerbé, dans un premier temps, par la crise Covid-19, du fait des nombreuses mesures sanitaires appliquées qui ont indéniablement perturbé les échanges commerciaux. La crise ukrainienne et les incertitudes qui l’entourent, notamment au niveau des sanctions appliquées à l’économie russe, tendent à renforcer ces pressions. Du côté des débouchés commerciaux, l’information en temps réel sur la situation financière des contreparties est indispensable pour se prémunir contre le risque d’impayés et protéger leurs marges.
Le reverse factoring outil de sécurisation de la chaîne d’approvisionnement et de financement
Alex Lhéritier : Le lien que l’on peut avoir avec certains de ses partenaires et la nécessité de les soutenir, notamment lorsque nous traversons des périodes difficiles, est important. Aujourd’hui, de nombreux fournisseurs ou distributeurs se retrouvent eux aussi sous une plus grande pression. En effet, les PME ont un accès à la liquidité beaucoup plus difficile que des sociétés cotées. Par ailleurs, le fournisseur est souvent le client d’un autre fournisseur et il a, lui aussi, besoin de financer son BFR. Un grand groupe a généralement et structurellement un très bon accès à la liquidité, ce qui n’est pas forcément le cas de ses partenaires. Tout l’enjeu consiste à voir comment une entreprise peut soutenir sa supply chain, ou au moins ses partenaires stratégiques, pour leur permettre de survivre et ainsi d’assurer sa propre pérennité à long terme. Elles peuvent à cet effet s’appuyer sur différents types de solutions, de type reverse factoring, supply chain finance, etc. Ces solutions permettent de prêter aux fournisseurs, sans pour autant générer de la dette sur le bilan de l’acheteur, et en améliorant leur profitabilité opérationnelle. Le fournisseur, quant à lui, améliore sa liquidité tout en réduisant son coût de financement.
Jean-Mathieu Sahy : Il s’agit néanmoins de quelque chose qui devient difficile dans l’environnement actuel. Beaucoup d’entreprises ont des profils de risque qui risquent d’être limités ou exclus lorsqu’il s’agit de financer des clients ou des fournisseurs dans des pays parfois difficiles à couvrir ou dans lesquels la sécurité juridique n’est pas assurée.
Alex Lhéritier : L’avantage du reverse factoring tient au fait que c’est le risque crédit de l’acheteur qui est pris en compte par les banques, et non celui du fournisseur. En revanche, il ne permet pas de couvrir les risques de pays sous sanction.
Les sources de financement à l’export
Frédérique Vernerey-Alliaume : Selon notre Allianz Trade Global Survey, la première source de financement à l’export est le crédit bancaire. Viennent ensuite la trésorerie (fond propre et capital), puis les soutiens étatiques, et enfin le crédit fournisseur. Il est important de noter qu’aujourd’hui, l’ensemble de ces sources de financement vont se retrouver sous une plus grande pression que lors des dernières années. D’une part, l’accès au crédit bancaire, qui était artificiellement illimité en 2020 et 2021 grâce aux PGE, va se resserrer avec des taux qui devraient repartir à la hausse. Sur la trésorerie, nous voyons déjà depuis 2021 des délais de règlement à l’export qui ont tendance à s’allonger, et des marges mises sous pression par le contexte inflationniste actuel et la hausse des coûts qui en découle. Enfin, concernant le crédit fournisseur, le risque d’impayés se renforce : selon les dernières prévisions d’Allianz Trade, les défaillances d’entreprise devraient croître à l’échelle mondiale de + 10 % en 2022 et + 14 % en 2023. Cette résurgence du risque d’impayés est un phénomène global, puisque nous estimons que les défaillances d’entreprise retrouveront leurs niveaux d’avant crise en 2022 dans un pays sur trois, et en 2023 dans un pays sur deux. Autant d’éléments qui pourraient freiner le développement des entreprises à l’export, ou en tout cas inciter les exportateurs à plus de vigilance dans le choix de leurs partenaires commerciaux.
Jean-Mathieu Sahy : Pour les entreprises de taille intermédiaire, il existe d’autres outils encore trop peu connus et qui pourraient leur donner accès à des sources de financement et des subventions pour prospecter et acquérir de nouveaux marchés. Plus l’entreprise est en risque, plus elle a de pression sur les marges, plus c’est un marché de fonds propres et non de dettes. Pour notre part, nous apportons des capitaux pour les aider à se développer. Plus l’entreprise aura de capitaux et de fonds propres, plus elle sera armée pour avoir des politiques offensives de développement.
Accélérer les rentrées de cash
Maud Duchet : Pendant la crise Covid, nous avions mis en place des comités de crédit hebdomadaires pour récupérer le cash dehors le plus rapidement possible. Les résultats ont été excellents. Nous avons aussi accompagné la croissance et le redéploiement des marchés par des expéditions de marchandises. Nous avons sensibilisé davantage l’équipe export par des process crédits très limités et stricts. Après une période d’euphorie post-Covid sur les marchés, le poste clients et le poste stock sont actuellement de nouveau très tendus. Sur la partie client, nous regardons donc de très près nos lignes crédit auprès de notre assureur. Nos encours garantis tendent à diminuer en raison de la crise actuelle ukrainienne. Nous essayons donc d’apporter des informations à notre assureur pour lui permettre de se positionner et d’avoir un arbitrage au plus près de la réalité. Nous veillons également à ce que les lignes de crédit en auto-arbitrage ou adossées à notre assurance crédit soient respectées. Nous demeurons vigilants sur le comportement de paiement de nos distributeurs : les commandes ne sont pas débloquées dès lors que notre client a du retard dans le paiement de ses factures.
Cédric Dondain : Pour notre part, comme nous sommes dans la santé, nous avons été préservés par rapport à d’autres secteurs d’activités. Nos clients, grossistes et distributeurs pharmaceutiques, sont récurrents, donc ils ont tout intérêt à nous régler leurs factures dans les délais impartis. Nous sommes néanmoins vigilants sur le risque distributeur, ou risque corporate et le risque pays. Globalement, nous n’avons pas eu à provisionner pendant la période Covid. Aujourd’hui, nous restons vigilants avec les mêmes principes qu’auparavant. Dès lors que nous ou notre assureur crédit ne connaissons pas le client, alors nous imposons un prépaiement pour démarrer, notamment dans les géographies compliquées. Ensuite nous avons des lignes de crédit que nous nous fixons soit en autonome soit avec l’aide de notre assureur crédit, qui sont bloquantes. Cette démarche est d’ailleurs assez efficace car elle implique des discussions au moins trimestrielles entre l’administration des ventes et les commerciaux pour comprendre pourquoi nous avons atteint des limites bloquantes : est-ce parce que nous avons atteint la limite de crédit ou en raison de la croissance des ventes ou en raison d’impayés ? Nous sommes donc vigilants et nous nous réservons le droit de refuser d’exporter vers un client dont la limite de crédit est justement atteinte et le compte client bloqué.
Alex Lhéritier : 1 150 milliards de dollars d’assets qui ne seraient pas monétisés par les entreprises occidentales cotées, soit une opportunité majeure de financement. Ces assets, ce sont les factures émises et ou reçues. La question est alors : comment peut-on les monétiser ? L’assurance est très importante à ce niveau-là, car, dès lors qu’elle couvre les factures, l’accès au crédit bancaire et en particulier à l’affacturage est beaucoup plus facile. La cession de factures (c’est-à-dire via le receivables financing) permet d’obtenir des liquidités, à moindre coût, mais aussi de gérer de façon beaucoup plus dynamique son compte client.
Frédérique Vernerey-Alliaume : Pendant les deux années de Covid, le besoin de souscrire de l’assurance crédit s’est ralenti. Les soutiens étatiques ont renforcé la trésorerie des entreprises, masquant ainsi le risque d’impayés, et freinant le recours à l’assurance crédit. A l’inverse, aujourd’hui, nous avons de nouveau des prospects qui s’intéressent à l’assurance crédit, notamment sur l’export, avec un cycle de vente raccourci. Nous constatons également que nos propres clients, face au contexte économique et politique actuel, ont des besoins supplémentaires en termes d’assurance crédit. Nous sommes prêts à les accompagner, à favoriser leur développement commercial, et avons en ce sens revu à la hausse nos garanties. Au-delà de l’appétence pour l’assurance crédit qui se renforce actuellement, on constate au sein des entreprises assurées une plus grande prudence pour ne pas dépasser les lignes d’encours garanties. Les entreprises ont vraiment besoin du réajustement de nos lignes par rapport au risque réel. Nous échangeons donc avec elles ou leurs courtiers pour être sûrs qu’elles ont bien la bonne garantie, sur la bonne entité au bon montant, tout en se gardant de la souplesse pour notamment être capables de stocker.
La data au cœur de la gestion du risque
Alex Lhéritier : la baisse de la consommation va générer d’autres problèmes. Le taux d’inquiétude du monde corporate tend d’ailleurs à augmenter face aux risques de récession. En effet, de nombreuses entreprises s’attendent à une baisse de la consommation des ménages et sont sur le qui-vive. A partir de ce constat, elles se demandent d’ailleurs comment anticiper cette phase de grand bouleversement. A cet effet, la data est fondamentale. Or, au regard du niveau de volatilité des données et leur quantité croissante, c’est une tâche de plus en plus complexe. Il est donc important d’automatiser la gestion de cette donnée, pour gérer le risque client et fournisseur, monitorer les encours au quotidien et, in fine, obtenir des financements. Pour cela, des solutions SaaS sont idéales pour utiliser tout le potentiel de la data et ainsi optimiser la gestion du BFR, et plus généralement de la liquidité.
Frédérique Vernerey-Alliaume : La donnée, c’est le moteur de l’assurance crédit. Sans elle, il est impossible d’évaluer la santé financière d’une entreprise, et donc de projeter sa solvabilité présente et future. Chez Allianz Trade, nous suivons l’évolution de la santé financière de 83 millions d’entreprises dans le monde, grâce à notre réseau de plus de 1 000 experts du risque implantés dans 52 pays. Ces experts sont en contact régulier avec les entreprises et échangent avec leurs dirigeants sur leurs perspectives, leurs problématiques, leurs projets. Dès l’instant où nous disposons de la donnée, nous l’analysons de manière dynamique afin de disposer d’une vision prospective de la solvabilité de l’entreprise concernée. Il faut la mettre en perspective avec des projections, afin notamment de savoir si, en fonction du contexte de hausse des matières et du risque de pénurie, l’entreprise concernée est en capacité de résister ou non. Nous nous appuyons à cet effet sur toute une grille d’analyses, que nous avions déjà avant les crises. Néanmoins, nous intégrons les données dans ces grilles d’analyses beaucoup plus rapidement qu’avant, notamment au regard de la multiplication des incertitudes. Nous avons différentes sources de données, dont la principale est l’information propriétaire, collectée par nos experts du risque comme expliqué auparavant. Il existe aussi des sources d’informations publiques, mais dans de nombreux pays, l’accès à ce type d’informations reste difficile, d’où notre choix d’aller au contact direct des entreprises.
Alex Lhéritier : La rapidité d’accès à la data est fondamentale. Nous avons développé à cet effet des solutions en API, afin que les entreprises accèdent à la data (qu’elle soit interne ou externe) en temps réel, pour faciliter leur prise de décision. C’est aussi l’opportunité de ramener la gestion des différents programmes de financement bancaire du BFR à un seul processus, et par là même de permettre un meilleur arbitrage tarifaire entre les banques.
Jean-Mathieu Sahy : Notre position consiste à travailler sur des éléments plus fondamentaux et d’orienter les entreprises vers l’Europe occidentale et les Etats-Unis, marchés profonds et sûrs. D’autre part, nous avons environ 350 relais dans les 15 premières zones économiques du monde et qui ont, sur des grands distributeurs ou grands clients, la possibilité de récupérer des données. Des évolutions telluriques vont s’opérer. Les « pays du Sud » au sens large vont voir leur part dans les portefeuilles clients se réduire, car le niveau de risque est difficilement tenable, prenable et assurable, notamment sur le moyen-long terme qui est l’horizon décisionnel des entreprises qui travaillent à l’export. D’autre part, les chaînes d’approvisionnement vont se redessiner par la relance ou la création de sites de production en Europe de composants électroniques, de batteries, de matériaux composites, d’aciers spéciaux, de matériaux de construction, de chimie fine et de pharmacie… Nous sommes à l’orée d’une reconfiguration très profonde du commerce international, la mondialisation poussée à son extrême a probablement vécu. La physionomie du commerce international pourrait être beaucoup plus « multirégionale », avec une prime pour les zones les plus profondes et développées.
L’ESG s’inscrit peu à peu en toile de fond
Maud Duchet : La régionalisation des marchés est également portée par des intérêts environnementaux, notamment sur les approvisionnements.
Alex Lhéritier : De plus en plus de parties prenantes (banques, fonds d’investissements…) demandent aux entreprises quel est leur impact ESG, scopes 1, 2 et 3. Ce dernier couvre notamment l’impact ESG de la supply chain, notamment en bilan carbone de chaque entreprise. L’objectif est néanmoins d’avoir de la donnée sur l’ensemble des composantes ESG, ce qui reste compliqué car l’accès à ladite donnée est inégal selon les pays et que, d’autre part, la réglementation ESG n’est pas encore suffisamment standardisée. Tout le challenge aujourd’hui consiste ainsi à récupérer ces données, y compris auprès des petites entreprises, pour pouvoir qualifier leur performance ESG et continuer à travailler avec elles. Telle est également notre tâche dans l’élaboration de ces solutions data pour nos clients, couplées à des solutions de reverse factoring pour financer la transition ESG des fournisseurs mêmes de nos clients.
Jean-Mathieu Sahy : Lorsque nous investissons, nous analysons les critères ESG notamment en termes de zones d’approvisionnement, avec par exemple le travail des enfants, le respect de l’environnement, le risque de corruption, etc. Nous avons un questionnaire de 80 paramètres sur l’ESG que nous déployons à toutes les entreprises qui sollicitent nos fonds. Les pays émergents ne sont pas du tout équipés pour répondre à ces questionnaires, n’ont pas la data. Ils deviennent à ce titre excluants pour nous.
Frédérique Vernerey-Alliaume : Nous prenons déjà en compte les critères ESG dans notre évaluation du risque pays depuis 2020, et sommes en train d’étudier la possibilité de les intégrer à nos notes de risques sectoriels. Pour ce qui concerne notre notation de la solvabilité des entreprises, nous travaillons également sur le sujet, et les données ESG sont déjà intégrées à certaines de nos analyses, sur des cas spécifiques.
Recouvrer des créances à l’export
Cédric Dondain : Nous avons des flux export départ France où nous avons alors un risque pays et un risque client. Sinon, la majorité de notre risque client est portée par nos filiales de distribution qui facturent à des clients domestiques. Elles n’ont donc pas de problématiques de flux export ou de risque pays. En 2016, nous avons fait le choix de souscrire une police d’assurance groupe. Aujourd’hui, nous avons 26 polices d’assurance dans 28 pays. La plupart des ventes sont censées être couvertes. Nous achetons à notre assureur l’information commerciale, l’indemnisation en cas d’impayés mais aussi le recouvrement de créances. Pour les ventes qui ne sont pas ou ne sont que partiellement sécurisées, et sur lesquelles nous pouvons avoir du risque, nous procédons à du recouvrement en direct, via téléphone, mail voire visite sur place des débiteurs. Le recouvrement reste chez nous une problématique heureusement assez limitée, d’où l’absence d’équipe dédiée. Nous nous préservons surtout en amont en essayant d’être assez stricts sur notre politique de crédit. Sur des marchés compliqués comme la Russie, nous avons une filiale de distribution dont le chiffre d’affaires est sécurisé à 100 % par un panachage d’assurance crédit, de prépaiement et de garanties reçues du client. La seule menace d’appel de garantie étant en général très efficace.
Maud Duchet : Sur la partie qui n’est pas assurée, notre assureur dispose d’un service de recouvrement auquel nous pouvons faire appel, si nécessaire. Nous avons aussi des avocats implantés dans les pays où nous sommes présents. Généralement nous avons toujours une phase amiable puis si besoin, nous passons en contentieux. Soit le dossier est confié à notre assureur, soit à un avocat. Sur l’ensemble de nos clients, nous avons des comptes avec des paiements d’avance, d’autres sont assurés et, plus récemment, nous avons mis en place du crédit documentaire et des garanties bancaires (notamment sur un nouveau client en Azerbaïdjan).