Alors que les conséquences économiques, financières et sociales de la crise sanitaire se feront sentir pendant plusieurs mois, quels sont les premiers enseignements à tirer en termes de gestion du risque client ? Quels sont les mesures et processus à mettre en œuvre et les leviers à activer pour sécuriser autant que possible le poste client et préserver les trésoreries ?
La crise est venue amplifier un contexte pré-épidémie déjà peu porteur
Valérie Attia, directrice générale d’Ellisphere : La sinistralité future des entreprises dépend de la durée de la crise que nous traversons actuellement et de l’amplitude du ralentissement, voire de l’arrêt de l’activité d’un certain nombre de secteurs durant la période de confinement et parfois au-delà. Semaine après semaine, nous mesurons, au travers des informations que nous collectons auprès des organismes publics et privés ainsi que de nos propres clients et partenaires, les secteurs d’activité et les types d’entreprises les plus touchés. Pendant le confinement, quelques secteurs seulement ont pu poursuivre leur activité. Un certain nombre d’entre eux sont encore à l’arrêt malgré la fin du confinement intervenue le 11 mai. Nous sommes donc particulièrement attentifs aux secteurs les plus touchés aujourd’hui et pour lesquels dans les semaines et mois à venir, il faudra être extrêmement vigilants sur le niveau de sinistralité. Il s’agit notamment de l’aéronautique, du commerce non alimentaire que ce soit les grandes enseignes spécialisées (habillement, ameublement, électroménager, électronique, etc.) comme les petits commerçants de centre-ville qui ont à la fois souffert des événements de la fin d’année 2019 mais aussi, depuis plusieurs années, de la concurrence du commerce en ligne. D’autre part, les activités liées aux médias, à la presse et aux activités culturelles, événementielles et récréatives, mises à l’arrêt partiellement ou complètement et dont les liquidités avant crise n’étaient globalement pas très bonnes, se trouvent aujourd’hui en très grande difficulté. Ces activités devraient enregistrer un taux de sinistralité deux à trois fois plus important que celui de la période précédente. Autre exemple, la construction, même si les chantiers redémarrent, pourrait aussi souffrir de cette crise inédite. Enfin, quel que soit le secteur d’activité, les petites entreprises seront globalement plus impactées que les grands groupes en termes de risque de crédit, voire in fine de sinistralité.
Alice de Brem, directeur commercial et marketing et membre du comité exécutif d’Euler Hermes France : D’autre part, le contexte international pré-épidémie était à notre sens peu porteur. Dès la fin de l’année 2019, nous anticipions les frémissements d’un ralentissement économique mondial, que la crise Covid-19 est venue empirer. Le choc d’offre, d’abord centré sur la Chine en janvier, a ensuite eu des incidences sur l’ensemble du commerce international et a perturbé la chaîne d’approvisionnement mondiale. Le choc s’est rapidement propagé à l’échelle mondiale, touchant la quasi-totalité des secteurs et des pays. Selon Euler Hermes, la récession économique de 2020 sera sûrement la pire enregistrée depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Nous anticipons une croissance économique à – 3,3 % contre + 2,5 % en 2019, une récession a minima deux fois plus grave que lors de la crise financière de 2009. Dans le même temps, le commerce mondial reculera cette année de 15 % en volume et de 20 % en valeur, et les défaillances d’entreprises croîtront très fortement, d’au moins 20 % dans le monde et d’au moins 15 % en France. Dans ce contexte, le risque d’impayés est au plus fort et les entreprises doivent se montrer plus vigilantes que jamais.
L’information d’entreprise est clé
Eric Scherer, credit manager Hachette Livres et président de l’AFDCC : Dans l’édition, nous avons un volet de clients assez large, intégrant aussi bien des enseignes de la grande distribution que des magasins spécialisés, des grandes chaînes et des petites librairies indépendantes. L’éventail des clients est donc très large. Nous avons donc regardé ceux qui, dans notre portefeuille, devraient pouvoir tenir le choc dans les semaines à venir et ceux qui, du jour au lendemain, ont dû baisser le rideau. Pour ces derniers, il a fallu mettre en place des mesures en leur accordant par exemple des reports d’échéances concernant les règlements des factures de mars, avril et mai dès lors que la situation n’était plus tenable pour eux. En revanche, nous avons constaté des comportements de paiement chaotiques chez certains de nos clients que nous pensions solides (grande distribution et surtout grande distribution spécialisée). Nous avons réussi finalement à les contenir et pour certains de nos confrères credit managers, nous avons notamment eu recours à la médiation et à la cellule de crise mise en place par le gouvernement dès la fin du mois de mars. L’analyse du risque et la détection des comportements anormaux s’avèrent néanmoins complexes dans la situation que nous traversons. En effet, beaucoup de retard a été pris dans la mise en place de procédures collectives et judiciaires, les tribunaux de commerce fonctionnant également au ralenti. D’autre part, juste avant le début du confinement, nous étions à la veille de connaître la situation financière de nos clients et d’obtenir leur bilan. Pendant le confinement, la communication financière n’était cependant plus leur priorité. Pour analyser notre risque client nous nous sommes donc surtout appuyés sur l’historique de nos relations avec eux, afin notamment d’identifier les plus fragiles. Nous continuons également à tenter de récupérer auprès de nos clients les plus importants des informations relatives au niveau de leur chiffre d’affaires avant la période de confinement, leurs demandes de PGE et de chômage partiel, les exonérations ou suspensions de charges obtenues, etc. Autant d’indicateurs qui, aujourd’hui, nous permettent de mieux appréhender leur santé financière et donc, leur niveau de risque. Dans certaines entreprises, les credit managers vont également suivre des indicateurs relatifs au niveau des carnets de commandes, aux partenaires commerciaux de leurs acheteurs (privés ou publics). Autant de données internes que nous croisons avec celles délivrées par les sociétés d’information d’entreprises, les assureurs crédit ou encore les prestataires du recouvrement.
Valérie Attia : La fermeture de tous les tribunaux de commerce, annoncée le 17 mars, a été rapidement suivie de la possibilité de tenir les audiences par des systèmes de visioconférence. Par ailleurs, l’ordonnance du 27 mars a confirmé la possibilité pour les débiteurs d’ouvrir une procédure collective, mais interdit aux tiers d’assigner les débiteurs en redressement ou en liquidation. Les seules procédures qui ont lieu actuellement sont donc celles ouvertes à l’initiative des entreprises pour elles-mêmes. La vague de procédures collectives n’interviendra qu’à la fin de la période d’état d’urgence sanitaire actuelle, et donc pas avant fin juillet. Chez Ellisphere, pour renforcer notre analyse du risque en dépit de ces contraintes actuelles, nous avons bâti un nouvel outil de gestion de risque : l’indice de résilience Covid. Il fournit aux entreprises un indicateur les informant du risque de crédit court terme de leur partenaire commercial, client ou fournisseur. Pour ce faire, nous avons évalué la manière dont les entreprises sont entrées dans la crise, et notamment leur niveau de trésorerie, en nous appuyant sur l’historique des données financières collectées année après année. Dans certains cas, nous n’avons pu l’évaluer. Nous recommandons alors la plus grande vigilance à nos clients. En croisant cette analyse financière microéconomique avec une approche macroéconomique sectorielle à partir du secteur d’activité de l’entreprise, nous avons pu ainsi construire cet indice de résilience Covid. Cet indice analyse donc la manière dont les entreprises sont entrées dans la crise, et évalue l’impact que cette crise peut avoir sur elles compte tenu de leur secteur d’activité et des mesures gouvernementales de soutien à l’économie.
Christel Rougier, directeur de l’information Europe de l’Ouest chez Coface : L’information d’entreprise que nous délivrons est très complémentaire de celle d’Ellisphere, avec qui nous travaillons étroitement. Les assureurs crédit et les entreprises ne peuvent aujourd’hui analyser le risque à partir des seules informations bilancielles 2019 que nous commençons tout juste à obtenir. Chez Coface, nous avons estimé qu’en grande majorité, les résultats 2019 seraient identiques à ceux de 2018 et qu’il était préférable de regarder devant et non derrière. Par ailleurs, nous portons une attention particulière aux entreprises des secteurs d’activité impactés directement ou indirectement par la crise sanitaire et nous nous assurons que les plans d’actions et dispositifs activés (tels que le chômage partiel ou les prêts garantis par l’Etat) sont bien mis en place. Notre métier, à l’information, est donc d’obtenir de l’information récente et additionnelle que nous ne pouvions obtenir qu’en appelant directement les acheteurs pour qu’ils complètent les données délivrées par notre partenaire Ellisphere.
Alice de Brem : Les assureurs crédit disposent d’informations propriétaires complémentaires obtenues, chez Euler Hermes, grâce au travail de nos 160 analystes crédit répartis en 23 délégations régionales. Nous analysons et monitorons ces données pour évaluer le risque d’impayés relatif à chaque entreprise, ce qui nous permet ensuite de déterminer les niveaux de garanties que nous accordons à nos assurés. Nous continuons notre collecte d’informations comme nous l’avons toujours fait, car c’est la base de notre métier. Néanmoins, nous complétons notre analyse de critères de capacité de résistance au choc du confinement au travers de trois points essentiels : (i) quelles seraient les projections des comptes de résultat des entreprises avec deux mois de CA ou de marge brut en moins ? (ii) L’entreprise a-t-elle les moyens de réduire ses charges fixes ? (iii) L’entreprise a-t-elle accès aux dispositifs publics actuels (PGE, report de charges, etc.), y a-t-elle fait appel et sera-t-elle en mesure de faire face aux échéances en temps voulu ? Avec cette nouvelle approche, nous apportons à nos clients une visibilité toujours plus précise sur la capacité de leur acheteur à surmonter cette crise et les aidons à poursuivre leur développement commercial sans craindre le risque d’impayés, malgré un contexte sanitaire et économique extrêmement difficile.
Christel Rougier : Cette crise a un impact sans commune mesure sur la trésorerie des entreprises, dont les plus fragiles ne sortiront pas indemnes. Certes le chômage partiel a permis de limiter l’impact à court terme sur les trésoreries. Néanmoins, concernant les autres dispositifs de l’Etat, ils conduisent, pour les entreprises qui les sollicitent, à renforcer leur endettement. Si à court terme les prêts garantis par l’Etat offrent une bouffée d’oxygène, à moyen et à long terme ils constituent cependant de l’endettement supplémentaire. Il faudra donc bien que nous intégrions dans nos analyses l’obtention par les entreprises de ces PGE et que nous mesurions leur capacité à amortir ce nouvel endettement au travers de la reprise de leur activité et de leur carnet de commandes. A cet effet, nous avons cependant besoin que le gouvernement et la banque de France nous permettent d’identifier les entreprises qui ont obtenu ce prêt. Une information dont nous ne disposons pas à ce jour.
Valérie Attia : Plus particulièrement, depuis le début du mois de mars, nous n’observons pas seulement la macroéconomie globale mais également la microéconomie et les plans de soutien à l’économie mis en place par le gouvernement (PGE, suspension du paiement des charges fiscales et sociales, chômage partiel…). De nombreuses entreprises vont ainsi bénéficier d’un accompagnement, et c’est une très bonne chose. Beaucoup vont également devoir requestionner leur chaîne clients-fournisseurs. D’autant plus que certains d’entre eux devraient malheureusement disparaître. Nombre d’entreprises ont pu se rendre compte, pendant cette période où l’activité a été quasiment à l’arrêt, de l’importance de la proximité géographique de leurs fournisseurs stratégiques, nécessaire pour éviter les ruptures des chaînes d’approvisionnement. Certes, dans le contexte de crise actuelle, l’activité s’est arrêtée simultanément dans plusieurs pays. En revanche, à l’occasion d’une autre crise, l’arrêt brutal d’une chaîne d’approvisionnement dans un pays donné peut générer des risques qu’il convient de bien appréhender et anticiper. Cette crise va probablement bouleverser les relations clients-fournisseurs notamment dans le B-to-B. Autant la période du confinement a été consacrée à du réarbitrage de crédits et à l’octroi de délais de paiement, autant la période qui va s’ouvrir dans les semaines à venir sera l’occasion pour les entreprises de se questionner sur les enjeux liés à leurs fournisseurs. Elles auront à cet effet besoin de s’appuyer sur des informations fiables et à jour sur leurs tiers actuels ou futurs.
L’assurance crédit plébiscitée
Alice de Brem : Depuis le 1er avril, nous commençons à voir des premiers signes d’un rebond des défaillances, notamment sur des entreprises de taille majeure (Péresatlys, La Halle…). Cependant, la fermeture des commerces et des tribunaux de commerce ainsi que les dispositifs d’aides de l’Etat génèrent un décalage sur les effets visibles des impacts de cette crise. Nous aurons une première vague de défaillances qui concernera les entreprises entrées dans la crise alors même qu’elles étaient déjà fragiles et qui n’auront pu absorber cet arrêt d’activité pendant deux mois, malgré la mise en place de toutes les aides de l’Etat. Nous aurons ensuite une seconde vague dans le courant de l’été qui sera constituée des entreprises dont la trésorerie a été totalement asséchée par le confinement et qui peineront à la reconstituer de manière suffisante pour satisfaire au besoin en fonds de roulement nécessaire à la reprise de leur activité. Enfin, nous anticipons une troisième vague de défaillances dans six mois avec un net rebond des dettes des entreprises au moment où il faudra rembourser les échéances fiscales et sociales dont le paiement a été suspendu pendant plusieurs mois. En qualité d’assureur crédit, nous avons déjà fait face à des crises majeures. Nous ferons face à celle-ci en responsabilité et en transparence, comme nous l’avons toujours fait. La situation actuelle requiert de notre part une vigilance accrue, car notre mission reste de protéger la trésorerie de nos assurés contre le risque d’impayés de leurs clients et leur permettre d’éviter tout effet domino. En cela, nous apportons aux entreprises de l’anticipation, de la visibilité et la confiance nécessaire pour qu’elles continuent de se développer.
Christel Rougier : Par ailleurs, nous avons tous beaucoup appris des crises précédentes. Et même si celle que nous traversons aujourd’hui est sans précédent, je suis convaincue que nous l’avons mieux gérée que celle de 2008-2009. Nous n’avons pas fait de désengagements massifs ni remplacé nos arbitres par des robots. Aujourd’hui, nos actions se font avec une grande discrimination entre les secteurs, les entreprises. Le gouvernement nous a également demandé de mettre en place des dispositifs de compensation en cas de réduction ou de résiliation d’encours garantis, en complément de nos propres garanties. L’ensemble de la profession a par ailleurs été conciliante en octroyant deux mois de plus aux assurés pour déclarer les impayés pendant la période de confinement. Force est cependant de constater que pendant cette période, les demandes en assurance crédit ont diminué, et les lignes d’encours déjà octroyées sont peu sollicitées, au regard de la mise à l’arrêt d’un certain nombre de secteurs d’activité.
Alice de Brem : Chez Euler Hermes, nous avons également pris le parti d’accorder à nos clients une prorogation sur les délais de manquements. Tous les assureurs crédit ont donc mis en œuvre un certain nombre de dispositifs pour que les entreprises ne soient pas obligées de déclarer de façon excessive des dossiers contentieux ou des retards de paiement. Nous avons également conscience que la crise actuelle est particulièrement difficile à surmonter pour les entreprises de petite taille. C’est pourquoi nous avons rapidement lancé un pack trésorerie à destination des PME, qui a permis à nos clients de ce segment de suspendre le paiement de leur prime d’assurance et de bénéficier d’une indemnisation anticipée pour leurs sinistres inférieurs à 50 000 euros.
Valérie Attia : Chez Ellisphere, dès le début de la crise, nous avons également pris la décision de ne pas durcir artificiellement les modalités de calcul de notre score de probabilité de défaillance, d’une part parce que le plan de soutien du gouvernement à l’économie est extrêmement significatif, et d’autre part pour ne pas ajouter une crise à la crise en mettant une pression plus forte entre clients et fournisseurs, ce qui pénaliserait les acteurs économiques les plus exposés. Nos clients disposent donc aujourd’hui de plusieurs outils performants leur permettant de gérer au mieux leurs risques : un score de probabilité de défaillance et un avis de crédit associé, un indicateur de comportement de paiement PayRank, ainsi qu’en complément le nouvel indice de résilience Covid.
Eric Scherer : Il faut être prudent sur certains gros dossiers qui éclatent aujourd’hui et dont certains étaient déjà particulièrement fragiles auparavant. Par exemple, Presstalis est une société qui était sous perfusion depuis 10 ans et le redressement judiciaire était programmé pour fin mars dernier (avant confinement/avant la crise). Dans le cas de La Halle, la crise a anéanti les efforts mis en place par l’entreprise pour restaurer sa situation financière. Avant la crise, un certain nombre d’entreprises étaient déjà fortement endettées (certaines qualifiées de «zombies») et pourraient ne pas s’en sortir.
Christel Rougier : Aujourd’hui l’information est plus difficile à analyser. Il y a beaucoup de volatilité et il faut être souple. Une entreprise a même déclaré dans la presse qu’un plan de sauvegarde sert aux entreprises saines. Il y a donc fort à méditer sur le sujet et il faut questionner la pertinence d’avoir fait entrer certaines entreprises en plan de sauvegarde. Si nous prenons un cas plus récent paru dans la presse, celui d’un groupe de magasins de meubles appartenant à une grande entreprise familiale française, nous pouvons nous dire qu’aujourd’hui même le capitalisme français commence à en prendre un coup. Dans ce contexte et alors même qu’aucune entreprise n’est plus à l’abri d’une défaillance, le rôle de prévention de l’assurance crédit est d’autant plus primordial.
Alice de Brem : Des entreprises en phase de redressement n’ont pas eu accès au PGE ou aux prêts court terme, ce qui pourrait accélérer leur défaillance.
Eric Scherer : Hachette Livre n’a pas recours à l’assurance crédit sur le marché domestique. Cependant, avec les IFRS 9, nous avons eu la possibilité de provisionner et de constituer des coussins pour des risques dénommés. Comme les assureurs crédit, nous espérions néanmoins ne pas avoir à faire face à des défaillances de nombreux clients en même temps et partout dans le monde. Or là c’est un peu ce qui risque d’arriver. D’où l’intérêt d’avoir un mixte entre l’autoassurance et une assurance excess qui nous couvre sur des catastrophes par définition limitées en nombre.
Le gouvernement réactive les dispositifs CAP
Christel Rougier : L’Etat a bien compris que le crédit interentreprises était particulièrement important et a souhaité mettre en place un dispositif assez proche de ce qu’il avait fait en 2008 en réactivant les systèmes CAP, CAP+ et CapFranceExport. Il s’agit d’un dispositif de top cover, activable en cas de réduction ou de résiliation des garanties des assureurs crédit. Ce dispositif présente néanmoins quelques limites. A l’heure actuelle, les entreprises ont des problématiques de trésorerie et toutes ne sont pas en mesure de régler leurs primes d’assurance en temps et en heure. Or le coût des systèmes CAP est élevé et nécessite de payer une prime additionnelle. D’autre part, toutes les entreprises n’y sont pas éligibles. Les acheteurs français qui réalisent plus de 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires n’y ont pas accès, de même que les assurés grands comptes à l’export. Par ailleurs, ce dispositif couvre essentiellement le marché domestique (10 milliards d’euros) et encore trop peu les échanges commerciaux à l’export (5 milliards d’euros). Certes ce dispositif a le mérite d’exister, mais il aurait pu être plus souple. Pour autant, tous les assureurs crédit de la place se sont mis en ordre de marche pour pouvoir le proposer.
Alice de Brem : La réactivation de CAP/CAP+ est une bonne chose car le dispositif apportera indéniablement de l’oxygène dans la reprise des échanges et nous le déployons activement auprès de nos clients. Mais ce dispositif comporte toutefois des limites : Il repose sur la décision des entreprises assurées crédit d’activer ou non ce mécanisme de protection et ne concerne surtout que les transactions à venir, et non les transactions engagées qui elles, sont déjà fortement en risque. Vu l’onde de choc de la crise actuelle, de nombreuses livraisons faites avant le confinement et arrivant à échéance auront du mal à être réglées. Face à la vague d’impayés qui se profile, des discussions se poursuivent avec Bercy sur un dispositif complémentaire de soutien au crédit interentreprises.
Christel Rougier : Les systèmes CAP sont pour le moment mis en place pour la période du 6 avril au 30 décembre 2020. Nous pourrions imaginer des aménagements dans le dispositif, par ligne et par sinistre, car il est parfois insuffisant pour certaines catégories d’assurés. Le bon fonctionnement de ce dispositif repose également sur le dialogue entre l’assureur et son assuré. D’autant que le juridique relève toujours de l’interprétation. Il nous revient donc de bien comprendre ce dispositif et les demandes de nos assurés, afin d’être très transparents avec les caisses de réassurance qui les réassurent et d’éviter tout litige sur ces dossiers.
Les problématiques de recouvrement de créances
Eric Scherer : Nous avons également dû adapter nos processus de recouvrement au contexte. Alors qu’un certain nombre de mesures telles que les clauses de garanties ou les pénalités de retard de paiement ont été suspendues, nous nous sommes concentrés sur les dettes échues avant mi-mars. Nos recours étaient encore possibles et nous avions un intérêt immédiat à récupérer de la trésorerie et du cash, sachant qu’un certain nombre de nos clients, en difficulté pendant la période de confinement, ne pourraient pas nous régler. Aujourd’hui, nous sommes en période de transition. Nous avons temporairement accordé des délais supplémentaires de paiement. Nous avons eu des résultats contradictoires sur les échéances de mars et d’avril. Celle de mai sera pour nous cruciale pour voir si nous tendons plutôt vers une amélioration du comportement payeur, compte tenu de l’ensemble des aides et dispositifs mis en place par les fournisseurs d’une part et le gouvernement d’autre part ou, au contraire, si certains n’ont pas pu surmonter l’arrêt brutal de leur activité et la non-récupération de chiffre d’affaires. Nous nous attendons à des défaillances et pensons devoir continuer à aider certains de nos clients pendant quelque temps.
Alice de Brem : Notre manière de recouvrer doit aussi s’adapter à cette période. En période de crise, la trésorerie est plus vulnérable et plus mise à mal. Il est important de trouver un équilibre entre la relance et le recouvrement. Certaines entreprises vont plus rapidement faire appel à nous pour préserver leurs droits et recouvrer leurs créances mais nous devrons nous attacher malgré tout à préserver la relation qu’elles entretiennent avec leurs acheteurs. Nous allons devoir ajuster nos façons de travailler pour optimiser les chances de récupération de créances et ce, encore plus en période de crise. Nous allons renforcer nos processus de vérification de l’identité du client, définir les limites de crédit, faire fonctionner les CGV et nous rapprocher de notre assuré pour préserver ses intérêts en fonction de sa stratégie commerciale avec son client tout en optimisant les chances de récupération.
Christel Rougier : Grâce à la masse d’informations dont il dispose, l’assureur crédit peut ajuster l’intensité de ses actions de recouvrement en fonction de la santé financière de ses acheteurs. Aujourd’hui, il faut être particulièrement réactif, rester dans les processus amiables autant que possible et éviter le recours au judiciaire.
Alice de Brem : Les entreprises ont aujourd’hui beaucoup de choses à gérer : elles doivent aller chercher du chiffre d’affaires et du financement, mettre en place les mesures de protection sanitaire, gérer leurs problématiques RH. Or le recouvrement est complexe, chronophage et stressant. C’est une activité qui demande beaucoup de ressources, en matière de temps comme de compétences et d’effectifs. Faire appel à un tiers expert du sujet, comme un assureur crédit, pour recouvrer ses créances, est donc aujourd’hui encore plus stratégique qu’en temps normal.