Transformation digitale 

La transformation digitale, une opportunité pour les directions financières

Publié le 1 décembre 2017 à 12h27    Mis à jour le 27 juillet 2021 à 11h36

Propos recueillis par Anne del Pozo

Ces dernières années, la dématérialisation et l’automatisation des processus de la fonction finance ont fait couler beaucoup d’encre. Les technologies sont matures mais qu’en est-il des entreprises et en particulier de la fonction finance ? A l’heure où d’autres technologies innovantes commencent à émerger (analytics, intelligence artificielle, robotique, machine learning, etc.), où en est véritablement la fonction finance dans sa transformation digitale ? Comment et pourquoi concilier les technologies et organisations structurantes (la legacy) avec les technologies «intelligentes» et créatrices de valeur d’aujourd’hui ?

La définition du digital pour la fonction finance

Cyrille Breucq, associé, June Partners : Démarrons peut-être par une définition du «digital» pour la fonction finance. Le digital est l’agrégation de technologies au sein de plateformes de services, plateformes elles-mêmes en mode cloud. Certaines des technologies embarquées dans ces plateformes sont anciennes (OCR, EDI), d’autres beaucoup plus récentes (RPA, Analytics), voire encore en développement (blockchain, AI). Il peut s’agir d’OCR (pour scanner des factures) ou d’algorithmes très simples qui permettent par exemple de faire du rapprochement de commandes et de factures. D’autres technologies embarquées dans les plateformes vont émerger, comme la blockchain ou l’intelligence artificielle ; elles permettront d’enrichir ces plateformes de nouveaux services comme la sécurisation et la décentralisation des échanges ou encore la recommandation. Cette agrégation de technologies permet ou permettra de rendre un certain nombre de services aux différentes fonctions de l’entreprise, dont la direction financière. Aujourd’hui, ces technologies plus récentes, sur la partie finance, sont encore au stade expérimental et n’ont que peu de réalité commerciale.

Bertrand Allard, directeur  associé en charge de l’offre finance et performance chez  Argon Consulting : La transformation digitale consiste à bénéficier de l’ensemble de ces leviers digitaux. A cet effet, il est important de dépasser le seul périmètre des usages liés à la direction financière. Par exemple, l’Internet des objets (IoT) est un véritable levier digital. Certes, pour le moment, nous n’avons pas d’applications directes de cette technologie dans les directions financières. Néanmoins, en plaçant de l’IoT sur des objets, nous améliorons la traçabilité des flux en logistique ou en supply chain, ce qui permet d’optimiser le besoin en fonds de roulement (BFR) de l’entreprise. Le directeur financier ne doit donc pas appréhender les leviers digitaux sous le prisme de sa seule fonction pour en mesurer les bénéfices sur la performance financière de l’entreprise.

Damien Palacci, responsable groupe de l’expertise finance & réglementaire chez BearingPoint :

Le directeur financier a longtemps été perçu dans l’entreprise comme un frein à l’innovation. Cependant, la révolution digitale et l’émergence de nouveaux business models sont aujourd’hui une réalité pour la plupart des entreprises. Or, pour améliorer la performance de l’entreprise, assurer sa pérennité et garantir l’exécution de sa stratégie, le directeur financier a un double rôle : accompagner la mutation de l’entreprise en tant que membre actif de son comité de direction et transformer la fonction finance, d’autant que cette dernière a pris du retard en la matière par rapport à d’autres fonctions dans l’entreprise.

Bertrand Allard : Le cœur de la transformation digitale est très longtemps resté centré sur l’expérience client. Les directions financières ne sont pas les seules à être en retard. C’est également le cas des autres fonctions supports ou opérationnelles de l’entreprise. Aujourd’hui, tout l’enjeu pour les fonctions supports consiste à capitaliser sur ces nouveaux leviers digitaux et à accélérer leur mutation digitale.

Bruno Leblanc, managing director de Sigma Conso France :

Sur le sujet de la transformation digitale de la fonction finance, un certain nombre de freins subsistent. Par exemple, la consolidation et la comptabilité sont focalisées sur les contraintes réglementaires comme dernièrement, les IFRS 16 sur les contrats de location. En janvier, les fonctions finances pensaient s’en sortir seules pour se mettre en conformité. Aujourd’hui, elles cherchent toutes des outils pour digitaliser les processus qui entourent cette réglementation, car elles s’aperçoivent que la réglementation est beaucoup plus complexe que ce qu’elles pensaient. Elles viennent, empiriquement et devant l’échéance, de considérer les outils informatiques qui peuvent automatiser pour le présent et préparer de façon pérenne le futur.

La réglementation, accélérateur de projets digitaux

Bertrand Allard : La réglementation est d’ailleurs un important facteur d’accélération de la transformation digitale de la fonction finance. Dès lors qu’il y a plus de contraintes, il faut mettre en place des solutions très agiles avec un retour sur investissement intéressant pour répondre à ces nouvelles exigences. Le levier digital trouve alors tout son intérêt. Un de ses principaux avantages repose sur l’accessibilité élevée qu’il apporte. Par ailleurs, les outils digitaux ne nécessitent pas d’investissements aussi importants que ceux consentis par exemple sur les ERP. Les ROI sont donc beaucoup plus rapides. C’est la raison pour laquelle certains projets remportent un franc succès, à l’instar de ceux portant sur la «robotisation» des processus dans le secteur bancaire, extrêmement contraint en termes de compliance.

Cyrille Breucq : Les plateformes digitales ont cet avantage de se greffer sur les systèmes d’informations en place. Elles ne sont donc pas intrusives et se veulent en même temps agiles. Par ailleurs, elles ne représentent pas un capex conséquent d’autant qu’elles ont la plupart du temps un pricing model de «pay per use».

Souvent entrée dans la direction financière par la recherche d’un levier de réduction de coût ou la contrainte réglementaire (la télétransmission il y a quelques années et maintenant la dématérialisation), ces plateformes et outils digitaux permettent de gérer à moindre coût des tâches qui ont une faible valeur, permettant aux ressources de la direction financière de se concentrer sur des sujets à plus forte valeur. Il s’agit d’ailleurs d’un sujet de transformation important pour les différentes compétences qui composent dans la direction financière. Une fois que les équipes finance sont arrimées à de telles plateformes, elles modifient profondément les tâches de certaines fonctions de la direction financière. C’est la raison pour laquelle la conduite du changement est, dans le cadre de ces projets, une démarche importante. Accompagner les membres des équipes avec de la formation et de la reconversion devient indispensable.

Le digital pour renforcer l’attractivité de la fonction finance

Damien Palacci : L’attractivité de la fonction finance est également l’un des objectifs de ces projets de transformation digitale. La finance a aujourd’hui un problème en la matière. Elle attire beaucoup moins les jeunes talents qu’auparavant et doit développer de nouvelles compétences. Le socle de compétences financières reste indispensable mais il faut le conjuguer avec une capacité, pour la fonction finance, à être architecte de l’entreprise de demain : architecte de ces nouvelles plateformes, des nouveaux flux, des données qui sont de plus en plus transverses et de plus en plus complexes... Les managers ont besoin d’avoir à côté d’eux des professionnels très complets combinant les compétences d’hier et celles de demain.

A titre d’exemple, les contrôleurs de gestion passent aujourd’hui une majorité de leur temps à des tâches à faible valeur ajoutée comme le rapprochement de données, la production de tableaux Excel, la préparation de supports PowerPoint, ou encore la réponse à des questions simples des opérationnels. Ces activités à faible valeur ajoutée sont automatisables alors que la fonction en elle-même peut être créatrice de valeur, notamment en s’appuyant sur une data plus qualitative, qu’elle va piloter différemment. Les nouvelles technologies vont en effet lui permettre de créer des algorithmes, de faire du prédictif et des analyses avancées, et d’accompagner ainsi la mutation de l’entreprise. Grâce au digital, le métier de contrôleur de gestion évolue vers des tâches à forte valeur ajoutée.

Bertrand Allard : La finance est une fonction régalienne essentielle. Le digital va être à la fois une opportunité et une menace pour cette fonction. En effet, le digital oblige la direction financière à repenser les métiers au sein de son équipe et à les faire monter en expertise. Par exemple, le contrôle de gestion doit gagner en expertise et dialoguer davantage avec les métiers pour identifier des leviers de performance opérationnels et financiers. Lorsqu’elle envisage sa transformation digitale, la fonction finance doit davantage se focaliser sur les impacts qu’elle aura sur ses métiers, sur l’évolution des compétences, et sur l’attractivité qu’elle va ainsi générer auprès des jeunes talents, plutôt que sur l’angle purement technologique.

Le cloud facilitateur de transformation digitale

Bruno Leblanc : Nous voyons de plus en plus d’entreprises qui digitalisent certaines fonctions métiers avec l’aide de la finance. Le cloud et l’un des éléments déclencheurs de cette démarche. Il permet de mettre en œuvre très rapidement des technologies standards là où, auparavant, il fallait parfois plusieurs années pour le faire. Pas besoin d’attendre que la DSI achète des serveurs, se forme et mette en place le logiciel, et qu’un long projet prenne place. Avec le cloud, il ne faut plus attendre de longs mois pour que les métiers en voient le résultat. C’est l’ensemble de l’entreprise qui devient consommatrice d’information. A partir du moment où la finance devient une aide, elle est intégrée dans leur projet. Désormais, la plupart des projets que nous menons en Europe sont ainsi dans le cloud.

Damien Palacci : Les services cloud participent à l’intégration des processus de bout en bout («end-to-end»). Elle contribue notamment à transformer toute la partie planification : elle facilite par exemple la collaboration avec les équipes commerciales dans leurs prévisions de vente, qui servira ensuite de point de départ à la prévision financière. La capacité de la finance à supporter ce processus va contribuer à faire tomber des silos dans l’entreprise et à améliorer la qualité de la prévision.

Bruno Leblanc : Le cloud participe à la création de valeur, mais pose néanmoins un problème avec la DSI. Jusqu’à présent, les directions financières se tournaient vers leur DSI pour faire face à leurs enjeux tels que les contraintes réglementaires et leur demander de trouver une solution. Aujourd’hui, elles tendent à se tourner davantage directement vers le fournisseur externe, qui supporte les risques pour son client, en garantissant la sécurité, et ce souvent même mieux que le DSI. Et en tout cas avec plus de moyens, en faisant bénéficier son client d’infrastructures mutualisées auxquelles il n’aurait pas accès autrement.

Bertrand Allard : Le cloud apporte beaucoup d’agilité avec des ROI intéressants mais amène également un certain nombre de questions, notamment sur la gouvernance. Tout l’enjeu pour le directeur financier aujourd’hui consiste à définir avec la DSI la roadmap de sa transformation digitale. Cette roadmap doit partir du besoin, définir l’architecture fonctionnelle et technique puis les étapes de mise en place. Cette approche est importante car de tels projets soulèvent des enjeux de sécurité, de maintenance, de référentiels de données, d’intégrations avec les autres applications.

Damien Palacci : Travailler avec la DSI est important pour que l’entreprise reste maîtresse de ses data et qu’elle puisse les exploiter efficacement. Travailler sur la data suppose en effet préalablement de pouvoir en disposer. La DSI est un partenaire incontournable pour construire des data centers, une gouvernance et des applications adaptées aux différents usages.

Bertrand Allard : Le processus de gestion du prévisionnel (gestion, forecast) est également assez laborieux dans les entreprises. Il s’avère que des solutions de type machine learning basées sur du big data permettent d’améliorer le prévisionnel. En général, un budget ou un forecast se font sur la base de données très opérationnelles ou de marché, qui seront traduites en données financières. Aujourd’hui, le DAF peut améliorer la fiabilité de ces forecasts en capitalisant sur ces nouvelles technologies qui permettent d’analyser un grand volume de données et de dégager des tendances. Il s’agit là d’un processus critique dans l’entreprise qui peut être amélioré grâce au digital.

Bruno Leblanc : Nous assistons actuellement à l’augmentation permanente de la volumétrie des données que les directeurs financiers ont du mal à appréhender. En matière de consolidation, il y a notamment les flux, comme à titre d’exemple les rapprochements intragroupes qui peuvent être chronophages, allant parfois jusqu’à 300 000 flux par mois, sans forcément une grande valeur ajoutée : les équipes financières perdent encore trop de temps à centraliser et à rapprocher des fichiers Excel sans se rendre compte de la faible productivité de leurs tâches alors qu’il existe aujourd’hui des mécanismes et des algorithmes qui permettent de le faire, beaucoup plus rapidement et mieux. Sur le prédictif, il s’agit en revanche véritablement d’une tendance de fond. Quelques acteurs (dont Sigma Conso) ont mis en place des algorithmes de prévision et de probabilité notamment selon la méthode Monte Carlo. Cela semblerait logique que l’ensemble des entreprises retiennent ces innovations faciles à utiliser et qui permettent de sécuriser leurs prévisions. Néanmoins, nous avons encore du mal à le vendre car les directeurs financiers ont du mal à comprendre l’intérêt d’intégrer dès le départ de leurs modèles prévisionnels des logiciels qui prennent en compte et qui chiffrent le risque. L’innovation leur donne la possibilité de mieux qualifier et d’anticiper les risques et de n’avoir, en fin de période, que de bonnes nouvelles à annoncer : le risque n’a pas eu lieu et donc le réalisé est meilleur que prévu initialement. Dès lors qu’il y a une incompréhension, il y a une crainte de perte de contrôle sur le process et une hésitation à adopter la technologie.

Renforcer les fondamentaux

Damien Palacci : Aujourd’hui, les nouvelles technologies (robotisation, machine learning, intelligence artificielle) sont sorties des laboratoires. Elles sont en expérimentation sur des cas pratiques, créateurs de valeur. L’adoption de ces technologies est d’ailleurs beaucoup plus rapide que celle des technologies précédentes, ce qui illustre la forte réceptivité des entreprises à leur égard. L’enjeu aujourd’hui consiste à les intégrer complètement dans les processus de l’entreprise.

Par exemple, nous avons travaillé avec un grand transporteur logistique allemand sur la gestion des réclamations clients dont certaines ont trait à la facturation ou au traitement de leurs dossiers. Chaque jour, cela génère la réception de milliers de demandes. Nous avons mis en place un dispositif de reconnaissance, de compréhension et de traitement algorithmique des messages ainsi qu’un machine learning pour que l’outil apprenne et augmente son taux de couverture. Nous sommes également sur des processus à mi-chemin entre de la relation client et du traitement très administratif.

Tout l’enjeu maintenant consiste à aller au-delà d’initiatives qui restent ponctuelles et à s’en servir comme amplificateur d’une capacité des fonctions et d’une équipe. Par exemple, les centres de services partagés intègrent progressivement ces technologies dans leur manière de travailler. Néanmoins, pour que ça marche, il faut que le socle de processus, d’organisation et de technologie de l’entreprise soit bien en place.

Bertrand Allard : Les technologies sont désormais matures. Il y a des entreprises qui sont très avancées et d’autres encore au stade d’expérimentation. Certaines technologies sont de plus en plus courantes, comme la dématérialisation des factures dont la démocratisation devrait s’amplifier au regard des évolutions réglementaires actuelles favorables sur le sujet. Le machine learning et la robotisation, et leurs applications dans le domaine de la finance, sont plus récents. Nous voyons des DAF faire le pari de ces nouvelles technologies tout en les conciliant avec leurs solutions historiques (tels qu’un ERP). Le DAF, qui a le poids de l’historique à gérer, va alors utiliser ces leviers digitaux en complément des outils historiques pour atteindre ses objectifs de productivité, d’efficacité ou encore de performance. D’autres vont profiter de ces nouveaux leviers digitaux pour abandonner leurs anciennes solutions de gestion et refondre leur système d’information finance à partir d’une solution cloud publique. Après les données clients et les données RH, ce sont désormais les données finance des entreprises qui arrivent dans le cloud. Nous pouvons alors véritablement parler de révolution digitale dans la fonction finance car nous sommes sur des plateformes très modernes qui apportent encore plus d’agilité aux DAF. Si en plus, elles sont complétées par du machine learning ou de la robotisation, alors nous pourrons parler de DAF 4.0 !

Cyrille Breucq : La legacy (ERP), à savoir les systèmes d’information historiques autour desquels les entreprises ont structuré leurs processus end-to-end et la donnée (référentiel d’achat, de vente, de production, etc.), va être augmentée par ces plateformes digitales. Ces plateformes sont utilisées par de nombreuses personnes dans l’entreprise et permettent à des non-financiers de participer aux processus finance. Elles contribuent à atteindre un premier niveau de digitalisation et d’agilité, à moindre coût. Certains profitent également de cette opportunité pour aller plus loin et faire disparaître tout ou partie de la legacy. La stratégie de digitalisation du système d’information historique et des processus doit être en réalité fonction d’une roadmap technologique issue de la déclinaison d’une stratégie établie en amont.

Les nouvelles technologies dans la finance

Bertrand Allard : Le machine learning a déjà investi la fonction finance, par exemple au travers du processus de digitalisation des factures fournisseurs. Aujourd’hui, les solutions du marché permettent de numériser les factures papiers, d’extraire de la donnée et de la traiter dans les systèmes d’information de l’entreprise. Toutes les solutions de dématérialisation actuelles ont toujours le même problème : le taux de reconnaissance. A la place de saisir une facture, le comptable va maintenant vérifier ce que le logiciel a pu extraire comme données et corriger dans une interface ces différentes données. Le poste de comptable n’a pas été supprimé. Nous avons déporté une charge sur un poste de vidéocodage. Il va corriger le fait que la machine ne reconnaisse pas de manière optimale les données, y compris lorsqu’elles sont structurées. Aujourd’hui, des solutions de machine learning très innovantes vont observer ce que fait le collaborateur. Au bout de plusieurs centaines d’occurrences, la machine va apprendre et identifier l’algorithme adéquat pour ensuite automatiser cette tâche. L’optimisation du taux de reconnaissance des factures fournisseurs grâce au machine learning est un cas d’usage typique que nous expérimentons chez nos clients. Le machine learning peut ainsi se retrouver dans beaucoup de processus, tels que le poste client, de procure-to-pay…

Damien Palacci : La notion de chatbot est une combinaison des technologies du machine learning et de l’intelligence artificielle qui va générer une véritable rupture. Il s’agit de robots conversationnels qui permettent d’avoir une interface homme-machine extrêmement intuitive. Par exemple, un chatbot va répondre à un fournisseur qui souhaite savoir où en est le traitement de sa facture. Le chatbot qui a accès au système d’information et aux données de l’entreprise est en capacité de gérer par lui-même un processus. Quand il n’est pas en capacité de le faire, il passe le relais à un humain et observe le traitement pour améliorer ses capacités dans la durée. Nous l’avons par exemple mis en place en Suède, dans une banque digitale. Avant de lancer leur chatbot et de l’ouvrir aux clients externes, cette banque l’a mis en place en interne pour répondre à tout type de questions soulevées par les collaborateurs. Le bot avait alors accès à tout l’environnement interne de questions/réponses. L’expérience fut un tel succès que le bot a été ouvert aux clients pour gérer les déclarations de vol ou de perte de cartes : il peut à la fois traiter une mise en opposition, vérifier les opérations litigieuses et demander aux clients si les opérations sont valides ou non, jusqu’au renvoi d’une nouvelle carte et éventuellement à une offre commerciale si l’échange est positif ! Il s’agit d’un exemple de processus qui peut être géré de bout en bout grâce aux bots jusqu’à la dimension administrative et comptable. Ce qui intéressant, ce n’est pas tant la technologie comme finalité mais plutôt le «use case», à savoir : que va-t-on faire de la technologie ? La combinaison de technologies peut ainsi permettre de tous nouveaux use cases.

Bertrand Allard : Le DAF aujourd’hui a plusieurs missions dans l’entreprise : un rôle régalien vis-à-vis de l’actionnaire, de l’investisseur, des banques ; un rôle de pilotage du business (dialogue de gestion) ; un rôle de contrôle interne ; un rôle de «transformeur» des processus de l’entreprise. A ce titre, il a une vision de bout en bout des processus de l’entreprise. Il a tout intérêt à ce que les processus soient intégrés de bout en bout car il est en fin de chaîne. Si le processus n’est pas optimisé en amont, cela entraînera beaucoup de corrections et d’autres tâches ingrates à réaliser en aval. Nous l’avons d’ailleurs observé ces dernières années avec la grande tendance des entreprises à créer des centres de services partagés : il s’agit ni plus ni moins que d’une organisation, dont une des missions est de transformer les processus de bout en bout. Tous ces leviers digitaux que nous évoquions (chatbot, machine learning) sont de vrais facilitants et vecteurs de performance de ces processus qui sont intégrés de bout en bout.

Bruno Leblanc : Néanmoins, des services comme le controlling, la comptabilité ou encore la consolidation ne disposent pas de tous les leviers digitaux. Par exemple, sur la partie planning, nous constatons que plus de 60 % des entreprises continuent à utiliser Excel.

Le digital contribue à la performance des processus end-to-end

Damien Palacci : Sur le processus puchase-to-pay (de l’achat à la comptabilité fournisseur), la finance est en bout de chaîne : son premier levier d’efficacité n’est pas la reconnaissance des factures mais le taux des commandes. Parmi les factures reçues à la comptabilité, quelles sont celles qui ont fait l’objet d’une commande en amont par les métiers, validée correctement et inscrite avec tous leurs attributs dans le système, permettant ainsi une validation immédiate de la facture ? Aujourd’hui, la majorité des directions financières se préoccupent du taux de commandes et travaillent avec les directions achats à améliorer le processus «end-to-end», de plus en plus avec des solutions digitales, sur le cloud, qui se préoccupent de l’expérience de leurs utilisateurs, à l’image d’un Amazon. Pourtant un grand nombre d’entreprises continuent, pour des commandes d’achats indirects par exemple, à passer par des flux papiers ou bureautiques largement inefficaces.

Bertrand Allard : Le DAF doit être leader de la transformation digitale. Il est indispensable.

Cyrille Breucq : Il ne faut pas aborder le débat de la transformation digitale sous le seul angle de la technologie. C’est nécessaire mais pas suffisant. Il faut plutôt l’aborder par la mission des fonctions et l’efficacité des processus. En effet, les fonctions de l’entreprise collaborent et participent à des processus (P2P, O2C, etc.) ; or, la plateforme digitale est une agrégation de technologies qui permet de fluidifier un processus end-to-end. Par exemple, un chatbot permet de fluidifier des échanges de questions-réponses, une technologie de machine learning apprendra des erreurs ou des habitudes pour augmenter des taux de rapprochement ou de faire des recommandations, le cloud permet le déport de la gestion de l’application à l’extérieur de l’entreprise, une technologie de réseau permettra la suppression des échanges papier, le RPA d’automatiser des workflows, etc. Toutes ces briques technologiques cherchent à créer de la performance pour un processus donné, end-to-end. La question n’est donc pas celle de la technologie mais celle des drivers d’efficacité d’une fonction ou d’un processus donné. Certaines entreprises ont, par d’ailleurs, un CDO qui lorsqu’il travaille avec le CFO et le DSI permet d’avoir une vision à 360 degrés de l’entreprise pour digitaliser des processus end-to-end. Cette digitalisation, rappelons-le, doit être au service de la stratégie de l’entreprise.

Bertrand Allard : Il faut sortir du syndrome «solution cherche problème». Aujourd’hui, nous assistons à une prolifération de technologies. Le DAF doit prendre du recul par rapport à toutes ces technologies et revenir sur les fondamentaux et sur ce dont il a réellement besoin : accélération de la clôture ? Fiabilisation du forecasting ? Transformation des processus back-office de l’entreprise ? Ensuite, quelle sera la meilleure solution du marché qui répond à son besoin ? Faut-il coupler une legacy avec une nouvelle technologie ? Est-ce le moment de faire table rase des solutions historiques et d’investir une fois pour toutes sur des solutions complètement digitales ?

Bruno Leblanc : Le CFO ne dispose pas forcément des compétences nécessaires pour opérer ces choix. Certains consultants ou éditeurs le conseilleront, mais il ne se posera pas forcément la question de savoir si ces solutions se connectent correctement avec ses systèmes déjà en place, si la solution cloud cible peut s’intégrer avec l’environnement existant de l’entreprise ou encore s’il sera facile à maintenir… Le DSI doit alors être là pour le guider, et retrouve naturellement un rôle que les utilisateurs, du fait d’un passé douloureux, auraient tendance à lui refuser, en utilisant la facilité du cloud.

Méthodes agiles et expérimentations

Damien Palacci : Aujourd’hui, il faut que les directions financières se préoccupent de la manière dont elles vont apprendre. En effet, elles ne savent souvent pas innover et n’ont pas les compétences sur ces nouveaux sujets digitaux. Elles ne pourront réussir leur transformation digitale, si les équipes en interne ne sont pas préalablement montées en compétence. Il faut commencer par des phases d’expérimentations, accepter l’échec, faire du «test and learn». Le plus important est d’apprendre de chacune de ces expériences pour monter en compétence. Les équipes finance seront alors opérationnelles pour se lancer dans de grands chantiers digitaux (tels que ceux sur la data et la refonte du pilotage de la performance). Elles ne peuvent pas externaliser complètement ces projets à des consultants. Elles doivent le faire en maîtrisant une partie de la complexité en interne et en se faisant accompagner d’experts.

Cyrille Breucq : Il s’agit de la thématique de l’acculturation. L’acculturation au digital est un sujet de connaissance des outils et des plateformes, voire des technologies, mais consiste aussi à revisiter les modes de travail et de l’organisation. Les plateformes digitales tendent à aplatir les organisations et à supprimer des strates intermédiaires en rendant les processus viraux et collaboratifs : tout le monde participe et collabore dans l’entreprise à un processus donné. Les directions concernées vont devoir, en conséquence, se réinventer, revisiter leur organigramme, faire des expérimentations. Elles vont également réaliser que la transformation peut venir de l’intérieur ; par exemple, lorsque La Poste a décidé de se digitaliser, sa première démarche a consisté à mener un sondage en interne pour évaluer le niveau de connaissance et de culture digitale de l’ensemble de l’entreprise. Ils se sont alors aperçus que les gens les plus sachants, en nombre, dans l’entreprise étaient les postiers qui possédaient des connaissances de programmation en Python. C’est le gage que, dans l’entreprise, il existe des forces vives sur lesquelles les initiatives digitales doivent s’appuyer, faire du test and learn, constituer des groupes de travail pour mener des initiatives dans l’entreprise. Nous avons parlé des enjeux, des technologies mais il s’agit aussi de revisiter les modèles de management, d’acculturer et de sensibiliser tous les collaborateurs de l’entreprise à ce qu’est le digital. C’est là que se trouvent les plus grands freins au changement.

Bertrand Allard : L’expérimentation a son importance. Aujourd’hui la méthode agile, le test and learn, etc. sont monnaie courante, y compris dans la fonction finance.

Cyrille Breucq : La méthode agile est effectivement une des façons de mener des projets digitaux sans s’engager dans des effets tunnels qui durent 12 à 18 mois. Il s’agit de bâtir un minimum viable project (MVP), en fait un prototype inachevé mais déployable pour mener une expérience qui soit acceptable et exploitable par les clients de l’expérience, puis d’ajuster le tir, d’itérer en fonction des retours clients. C’est une méthode de projet calquée sur le modèle de développement des start-ups digitales où l’on met très vite en production un produit et où les corrections et les évolutions sont faites, en priorité, en fonction des retours clients.

Bruno Leblanc : Cela est dû au fait que maintenant, la technologie offre des plateformes cloud prépackagées qui permettent de standardiser le savoir-faire de beaucoup d’entreprises dans un modèle qui est personnalisable. Aujourd’hui, grâce au cloud, toutes les entreprises (y compris les ETI) peuvent bénéficier de grosses infrastructures, très performantes et très sécurisées. Cependant, le souci de la compétence et du travail au jour le jour demeure.

Damien Palacci : Les fonctions finance qui maîtrisent ces méthodes agiles font encore, à l’heure actuelle, figure d’exceptions.

Bertrand Allard : Ça commence néanmoins à entrer dans les mœurs. Cela nécessite, en amont de ces phases de tests, de définir le cadre dans lequel le projet va être mené, notamment pour s’assurer qu’in fine, ce projet va créer de la valeur. Nous parlons chez nous de proof of value (plutôt que de proof of concept), à savoir de démonstrateur de la valeur. Toutes ces technologies sont là pour répondre à un besoin. Il est important d’en démontrer la création de valeur. Sur quel cas d’usage va-t-on se focaliser en priorité ? Où va-t-on créer de la valeur ?

Cyrille Breucq : Il peut également s’agir de vouloir régler un problème (pain point). L’une de nos dernières expériences en la matière était chez un loueur qui historiquement recevait les factures fournisseurs dans chacune de ses agences réparties sur tout le territoire. En centralisant la réception des factures au siège, leur traitement s’est considérablement alourdi et ralenti, au regard des allers et retours entre les agences et le siège pour, par exemple, obtenir la validation du bon à payer, régler un litige, etc. Les factures se sont empilées, engendrant des retards de paiement chez les fournisseurs (qui du coup ne livraient plus les pièces détachées nécessaires à l’entretien des véhicules) et donc chez les clients dont les véhicules n’étaient pas prêts en temps et en heure. En changeant son organisation fournisseur, l’entreprise s’est retrouvée avec un problème client. Ils ont décidé d’implémenter une plateforme digitale pour fluidifier le traitement de la facture fournisseur (en la dématérialisant, en robotisant le rapprochement commande/facture, en collaborant électroniquement à la résolution des litiges, etc.) et rendre plus performant le processus P2P et ne plus perturber le processus O2C et la relation client. Ce projet aurait pu être mené au sein de la legacy mais le client a décidé d’hybrider et d’intégrer à la legacy une plateforme digitale pour pouvoir bouger plus rapidement et indépendamment de sa legacy. Aujourd’hui, beaucoup d’ETI optent ainsi pour l’hybride afin de résoudre des problèmes très concrets et précis.

Bertrand Allard : «L’épine dans le pied» est un des critères, mais pas le seul. Par exemple, dans le cadre d’un projet de robotisation de processus, on va très clairement se focaliser sur les processus qui ont le plus de volumes, sont très standards et où la machine peut imiter assez facilement ce que fait le collaborateur. Le retour sur investissements peut alors être assez significatif. Nous avons donc une liste de critères assez exhaustive dont l’analyse permettra ensuite de prioriser l’effort sur certains processus. Une fois que le besoin est fixé, on peut alors regarder quelles sont les technologies disponibles qui y répondront le mieux.

Bruno Leblanc : Tout dépend alors de la maturité des entreprises face à ces technologies. Certaines entreprises sont à la pointe des technologies et ont l’appétence et la compétence nécessaires à leur mise en œuvre, cela est souvent le reflet de leur direction générale. D’autres ne le sont pas, ce qui peut ensuite poser des problèmes de comptabilité de systèmes d’informations, notamment lorsque le projet n’est pas piloté par la DSI, et se contente généralement de ne changer que les applicatifs obsolètes.

Damien Palacci : La maturité est très variable d’une personne à une autre, d’une entreprise à une autre. Une chose est sûre, les entreprises sont progressivement en train de passer d’un modèle où elles étaient propriétaires de leurs technologies à un modèle où elles seront clientes et opérateurs multiplateformes. La finance a un rôle à jouer dans cette mutation. La plupart des dirigeants et directions financières se rendent compte de ce changement de paradigme. A nous d’aider nos clients à le mettre en pratique.

Cyrille Breucq : L’arrivée de plateformes digitales sur des processus qui étaient déjà structurés dans les ERP vient challenger l’organisation de l’entreprise qui va évoluer, s’aplatir, gagner en agilité en rendant les processus transparents et collaboratifs. Il va donc falloir accepter de partager la notion de contrôle. La digitalisation dans l’entreprise remet fondamentalement en cause les modèles d’organisation, les cultures et les modes de travail voire les modes de projets ; ces projets pouvant se mener assez rapidement. Le digital n’est définitivement pas qu’une affaire de technologie. Il s’agit également d’une façon de faire différente, dans des temps différents. La démarche d’expérimentation dans ce domaine est assez clé pour développer l’acculturation nécessaire.

Bruno Leblanc : L’expérimentation rassure car elle permet d’avoir une visibilité immédiate sur les gains que le projet permettra de dégager, en évitant également l’effet «tunnel». Une fois les gains identifiés, l’entreprise peut alors légitimement se poser la question de la mise en œuvre effective du projet et de son déploiement. Nous constatons un paradoxe dans les entreprises : les collaborateurs utilisent les nouvelles technologies à titre personnel (smartphone, tablette, réseaux sociaux) mais pas dans l’exercice de leur métier. La digitalisation n’a pas encore véritablement gagné le monde du business. Il s’agit là principalement d’une question de culture dans les entreprises.

Damien Palacci : Classiquement, un financier crée sa légitimité par son expertise.

Cyrille Breucq : Nous revenons ainsi sur le sujet de l’attractivité. Les outils vont devenir un facteur d’attractivité pour le renouvellement de la direction financière. Le directeur financier qui s’enfermerait dans un monde d’expert où la collaboration n’est pas valorisée ne va pas attirer les talents et ferait, par ailleurs, prendre du retard à son entreprise. Il faut accompagner la direction financière dans cette transformation en l’aidant à trouver les leviers de création de valeur. La valeur est dans la collaboration. Il faut diffuser une culture financière dans l’entreprise par du partage, de la collaboration et de la co-construction de l’information financière au travers des plateformes digitales, pour que la finance devienne virale !

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