Selon l’OCDE, le montant cumulé des dettes publiques et des dettes obligataires émises par des entreprises culminait, fin 2023, à 100 000 milliards d’euros dans le monde. Or la proportion de celles levées sous un format durable reste réduite.
« Sur ce total, on recense moins de 10 % de dettes à dimension durable », précise Alexandre Gautier, directeur général adjoint de la stabilité financière et des opérations à la Banque de France. Un constat décevant de prime abord, que le responsable de l’Eurosystème relativise toutefois : « Avec une multiplication par près de cinq en l’espace de cinq ans, ce type d’encours enregistre une très forte croissance. »
Des volumes tirés par les émetteurs émergents
Cette dynamique est principalement alimentée par les émetteurs situés dans les économies émergentes. « Depuis le début de l’année, environ 30 % des émissions obligataires qui y sont réalisées sont soit durables, soit vertes, contre 4 % seulement aux Etats-Unis », relate Lisa Turk, gérante de fonds de dette émergente chez Edmond de Rothschild Asset Management. Au total, les pays émergents représentent environ 25 % du marché mondial des obligations durables et vertes. « C’est un marché liquide et profond », juge ainsi Lisa Turk. Cela tombe bien. « Les obligations vertes ont encore plus d’impact dans les économies émergentes, où les besoins sont substantiels », poursuit la gérante. Celles-ci pourraient en effet représenter 66 % des émissions de CO2 d’ici 2030, tandis que leur demande énergétique devrait suivre une croissance exponentielle d’ici 2050. Dans ce cadre, « les green bonds ont un rôle important à jouer », conclut Lisa Turk, d’autant qu’ils apportent des bénéfices appréciables aux emprunteurs. Parmi eux, on peut citer un élargissement de la base de prêteurs et un coût de financement minoré par rapport à une obligation conventionnelle. « Appelée “greenium”, cette prime s’établit en moyenne à 2 ou 3 points de base pour les Etats, et dans une fourchette de 7 à 15 points de base pour les corporates », calcule Alexandre Gautier.
Une obligation de fléchage précieuse
Pour tout investisseur soucieux de faire de l’impact, ce type d’instrument se révèle également attractif, en dépit de ce greenium. « Avec une obligation durable, l’émetteur a une obligation de fléchage ex ante et ex post que l’on n’a pas forcément avec une obligation classique », explique Nathalie Beauvir-Rodes, senior impact bond analyst chez Ostrum Asset Management. En termes d’impact, cette caractéristique ne fait toutefois pas tout. « Nous avons la conviction que l’on peut faire de l’impact avec les obligations durables, mais pas avec toutes », estime Nathalie Beauvir-Rodes, qui s’appuie sur des grilles compilant une dizaine d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs pour chaque classe d’actifs afin de s’assurer que les trois piliers de l’impact sont respectés (intentionnalité, additionnalité et mesure).
Vers un décollage des obligations Transition ?
Parmi les promoteurs de la finance durable, l’optimisme demeure pour les mois à venir. « Après un peu plus de 900 milliards de dollars d’obligations durables émis en 2023 dans le monde, 900 à 1 000 milliards sont attendus en 2024, dont 500 à 600 milliards de green bonds. L’Europe occupe une place centrale, avec environ 40 % des émissions », informe Alexandre Gautier, qui considère que l’entrée en vigueur imminente d’un standard européen pour les obligations vertes (European Green Bond Standard) contribuera à soutenir le développement de l’instrument. D’autres produits pourraient, du reste, amplifier le mouvement, à l’instar des obligations sustainability-linked. Certes, cet instrument a été moins utilisé durant les derniers mois, « mais il s’agit d’un outil d’avenir », estime Lisa Turk. Outil controversé, les obligations Transition pourraient aussi émerger, alors que le gouvernement japonais a émis en février le premier climate transition bond souverain. « Il est important de soutenir les secteurs émetteurs de CO2 dont nous aurons besoin après 2050 et qui ne disposent pas encore des solutions leur permettant de se décarboner », insiste Nathalie Beauvir-Rodes.