L’hémorragie semble enfin stoppée sur un marché du M&A qui souffre depuis plus de trois ans, avec des volumes en légère augmentation cette année. Portés par des conditions de financement plus clémentes, les corporates continuent d’assurer l’essentiel des transactions, le retour des fonds de private equity restant timide.
Légère éclaircie sur le marché des fusions-acquisitions. Après un exercice 2023 particulièrement laborieux, les investisseurs, portés par des conditions de financement plus favorables, semblent retrouver de l’appétit. « S’il n’y a toujours pas de “mega deals” à proprement parler (plus de 10 milliards de dollars), plusieurs opérations ont dépassé les 5 milliards de dollars, ce qui est assez encourageant pour la suite », souligne Patrick Perreault, responsable fusions et acquisitions pour la France chez Société Générale et coresponsable mondial. Les rachats de Neoen par Brookfield (6,9 milliards de dollars) et d’Opella par CD&R (8,7 milliards de dollars) s’imposent ainsi comme les opérations les plus importantes cette année. Elles ont notamment permis, malgré la chute du nombre de transactions (- 23 %), de voir le volume global d’échanges augmenter de 16 %, pour atteindre 143,3 milliards de dollars, selon Refinitiv. « Néanmoins, malgré ces quelques gros deals sur des large cap qui font progresser les volumes globaux, le nombre d’opérations est assez décevant sur les autres segments », concède Pierre-Louis Cléro, avocat associé au sein du cabinet Latham & Watkins.
Notamment en ce qui concerne l’upper mid cap, dont les capitalisations sont comprises entre 500 millions et 1 milliard d’euros. « Les volumes sont restés relativement faibles sur cette taille d’entreprise, avec plusieurs opérations repoussées en raison notamment des incertitudes économiques, indique Jean-Charles Bernard, responsable fusions-acquisitions chez Société Générale pour les entreprises mid-cap en France. Le segment small et mid cap a mieux résisté, avec entre autres quelques opérations de build up effectuées part des corporates. L’activité devrait nettement s’accélérer en 2025, avec d’une part les corporates toujours actifs et d’autre part les fonds de private equity qui ont besoin d’accélérer leur déploiement. » Leur activité a effectivement été extrêmement faible cette année, le nombre de transactions impliquant un de ces fonds ayant baissé de 40 %. Le volume d’échanges impliquant un fonds de private equity a toutefois doublé grâce à leur implication dans des opérations majeures.
La tech devient un moteur du marché
Cette performance en demi-teinte du marché français s’explique notamment par un fort ralentissement à partir du mois de juin. « Après un début d’année très prometteur, l’activité a nettement ralenti à partir du mois d’avril et jusqu’en juin, où les incertitudes liées à la dissolution ont mis à l’arrêt un certain nombre de projets », souligne Alexandre Courbon, head of M&A France chez HSBC. La reprise observée en fin d’année n’a pas permis de rattraper ce retard. En Europe, la dynamique est similaire puisque les volumes ont augmenté de 19 % au sein de l’Union, alors que le nombre de transactions a reculé de 21 %. Le marché américain a quant à lui très bien fonctionné, avec une accélération assez forte du nombre d’opérations comme des volumes globaux.
«L’activité devrait nettement s’accélérer en 2025, avec d’une part les corporates toujours actifs et d’autre part les fonds de private equity qui ont besoin d’accélérer leur déploiement.»
De nombreux fonds américains ont d’ailleurs investi sur le marché européen, comme en témoignent les deux principaux deals de l’année impliquant une contrepartie française, initiées par Brookfield et CD&R dans des secteurs particulièrement attractifs (la santé avec Opella et les énergies renouvelables avec Neoen). Le secteur financier demeure toutefois le plus ciblé, représentant 16 % de l’activité globale, juste devant la tech (15 %), qui est en tête du nombre de transactions (255). « Mais désormais, c’est bien la tech qui drive le marché du M&A, souligne Denis Criton, avocat associé au sein du cabinet Latham & Watkins. Il suffit qu’il y ait quelques actifs tech à la vente pour que le marché s’active de nouveau, comme ce fut le cas après la coupure du mois de juin. »
L’instabilité politique demeure un frein
En cette fin d’année, les discussions reprennent de plus belle, et acheteurs comme vendeurs semblent converger plus facilement sur les questions de pricing. Ainsi, malgré une année relativement poussive, la majorité des experts tablent sur un important regain d’activité en 2025. « La liquidité présente au sein des fonds de private equity, les projets de consolidation en discussion et les conditions macroéconomiques qui s’améliorent, avec la baisse des taux d’intérêt et de l’inflation, sont autant de conditions favorables à une reprise accrue », estime Anne Hiebler, responsable mondiale des fusions-acquisitions chez CACIB. « De nombreux dossiers sont en préparation », confirme Patrick Perreault. Côté corporates, le marché de la dette a été particulièrement actif cette année, « ce qui a permis un certain nombre de refinancements propices au marché du M&A, dans la mesure où ils ont desserré l’étau financier des entreprises concernées, qui seront plus confortables pour se positionner sur de belles transactions en 2025, souligne un avocat de la place de Paris. Mais la clé de la reprise se situe du côté des fonds de private equity, qui après avoir retenu leurs actifs au maximum dans leur portefeuille n’ont désormais plus le choix et doivent s’en séparer. »
Cependant, de nombreuses incertitudes demeurent. « La pression sur la dette française et l’instabilité politique chronique de notre pays depuis plusieurs mois sont de nature à inquiéter les investisseurs et à retarder les transactions, reconnaît Alexandre Courbon. A cela vient s’ajouter une situation géopolitique qui reste tendue et la montée du protectionnisme dans des régions économiques clés, à commencer par les Etats-Unis. » Avec l’investiture de Donald Trump et les espoirs de cessez-le-feu en Ukraine comme au Moyen-Orient, le premier trimestre sera capital pour donner le ton d’une année 2025 qui suscite de grandes espérances.