Les exportateurs français sont confrontés à des risques protéiformes : politiques, impayés ou retard de paiement, volatilité, des taux de change et des matières premières … Alors que les exportations repartent à la hausse depuis le début de l’année, comment les entreprises peuvent-elles identifier les meilleures opportunités de développement à l’international, tout en maîtrisant au mieux les risques liés à l’export ?
L’Europe, principal débouché des exportateurs français
Julien Marcilly, économiste en chef de Coface : Au niveau mondial et pour la première fois depuis 2009, les indicateurs de croissance sont plutôt positifs. Depuis la grande crise de 2008, nous avions l’habitude de revoir nos prévisions en la matière à la baisse. Cette année, nous sommes plutôt dans une tendance inverse. Nous étions partis sur un constat relativement pessimiste et prudent, notamment en raison de l’élection de Donald Trump qui laissait présager une politique économique protectionniste. Cependant à ce jour, cette analyse ne se confirme pas. Nous anticipons donc pour cette année une légère accélération de la croissance mondiale, à + 2,8 % contre + 2,5 % en 2016, même si le niveau est appelé à rester inférieur à celui d’avant-crise où la croissance était comprise entre 4 % et 4,5 %. En matière d’export, les chiffres sont également meilleurs que ceux anticipés. Les exportations mondiales devraient en effet en 2017 augmenter d’environ 2,5 % contre moins de 1 % l’année dernière. Une croissance qui, bien que mesurée et également inférieure à celles des années d’avant-crise, est plutôt de bon augure pour les entreprises françaises. D’ailleurs, l’évolution du commerce extérieur français est en ligne avec celle du commerce mondial. Depuis l’année dernière, nos chiffres exports repartent à la hausse. Cependant, la France profite moins que d’autres de cette reprise. Nous observons en effet que les entreprises françaises ont du mal à exporter vers certains pays comme ceux du Moyen-Orient, l’Amérique latine, etc. En revanche, l’exportation française est soutenue par la demande de nos pays voisins. Leurs chiffres de croissance publiés pour le premier trimestre 2017 sont en effet bons chez un certain nombre d’entre eux, dont l’Espagne, l’Allemagne et même l’Italie dans une moindre mesure. Nous constatons également que l’activité redémarre dans certaines zones émergentes comme le Brésil ou la Russie. Les seuls bémols que nous mettons depuis le début de l’année porte sur les Etats-Unis et le Royaume-Uni : le processus de reprise y ayant débuté plus tôt qu’en zone euro, la phase de ralentissement est aussi plus précoce.
Alice de Brem, directeur commercial courtage, Euler Hermes : Nous sommes également convaincus que 80 % de la demande additionnelle adressée à la France en 2017 proviendra d’Union européenne. Les exportateurs français pourront miser sur le renforcement de la croissance de leurs voisins européens : en Allemagne, où + 5,2 milliards d’euros de débouchés sont à capter, en Espagne (+ 3,9 milliards d’euros), en Italie (+ 3,4 milliards d’euros) et en Belgique (+ 2,9 milliards d’euros). C’est une bonne nouvelle, car historiquement la France est un pays qui n’a pas une culture de l’exportation très ancrée, contrairement à ses voisins allemands ou italiens par exemple. Nous avons en effet en France 125 000 entreprises exportatrices alors que l’Allemagne en compte près de 300 000 et l’Italie 200 000. Nous avons donc clairement besoin d’ouvrir ces marchés-là, d’autant qu’ils offrent des premières expériences de développement à l’international très raisonnables, dans la mesure où les entreprises s’équipent correctement pour le faire.
Alain Piou, directeur du commerce international pour la France au sein du département global transaction banking de Société Générale : Nous nous apercevons également que les exportateurs français ont de véritables opportunités à saisir dans des pays comme l’Arabie saoudite ou la Malaisie. Par exemple, suite à la baisse du cours de pétrole, un pays comme l’Arabie saoudite travaille actuellement à la réduction de sa dépendance à sa rente pétrolière en développant de nouvelles activités. Elle se tourne de plus en plus vers des secteurs pointus comme les «smart cities», un domaine sur lequel les entreprises françaises ont de réels potentiels.
Stephen Lord, responsable du département international chez Ellisphere : L’évolution des politiques économiques des pays dépendants du cours du pétrole (Arabie saoudite, Iran, etc.) offre aussi des débouchés aux exportateurs français. Par exemple, certains pays ont opéré à bon escient une diversification de leurs activités vers la construction d’infrastructures ou la production de biens de consommation pour lesquels les marchés concernés ont désormais des attentes.
Alain Piou : Certes, mais il existe aujourd’hui de nombreux outils à la disposition des exportateurs pour financer la prospection de nouveaux marchés, les aider à s’implanter, assurer le paiement de leurs créances exports…
Les risques pays en 2017
Stephen Lord : Alors que la croissance mondiale est supérieure à celle de la France, et à celle de l’Europe en général, l’exportation représente pour les entreprises françaises un véritable relais de croissance. Conséquence notable, les sociétés qui exportent se portent souvent mieux que celles qui restent sur le marché domestique. Elles sont généralement plus dynamiques, plus innovantes et plus stables, notamment en raison de leur diversification, de leur moindre dépendance au marché local, ou encore de leur capacité à aller chercher de nouveaux relais de croissance hors du territoire national. Néanmoins, il faut veiller aux risques que présentent les pays ciblés. Des risques qui évoluent constamment. Ainsi, il y a quelques années, nous parlions beaucoup des opportunités offertes par les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) aux exportateurs. Aujourd’hui, nous sommes plus prudents sur les débouchés de ces pays (problèmes financiers et instabilité politique au Brésil, complexité bureaucratique en Inde, etc.). En revanche, nous observons l’émergence de nouvelles opportunités pour les exportateurs français sur des marchés comme Cuba ou l’Iran pour lequel des sanctions économiques ont été levées, notamment grâce à l’accord sur le nucléaire. Enfin, d’autres pays restent intéressants pour nos exportateurs, telle que la Chine par la taille de son marché et sa croissance qui reste largement supérieure à celle enregistrée en Europe ou aux Etats-Unis.
Antoine Castarède, ancien DAF d’Eutelsat : Concernant les pays émergents, trois en particulier ont rencontré d’importantes difficultés même si elles tendent à s’atténuer cette année : le Brésil en raison de la décroissance du PNB d’au moins 3,5 %, de la corruption et d’une devise qui a perdu plus de 50 % de sa valeur par rapport au dollar ; la Russie où le rouble a été fortement dévalué par rapport à l’euro et qui a souffert des sanctions économiques internationales ; l’Afrique du Sud touchée par la crise des matières premières mais aussi d’autres pays tels que le Nigeria lorsque le prix du pétrole a baissé. Certains pays comme la Turquie ont également vu leur croissance ralentir et leur devise se déprécier fortement.
Stephan Haushofer, responsable grands comptes AU Group : En matière de risques pays, et au-delà des cas particuliers tels que le Brésil, la Turquie, la Russie ou encore l’Algérie, nous constatons que les cycles économiques s’accélèrent. Un phénomène qui complique la mise en place des processus nécessaires à une stratégie export. Tout l’enjeu pour les exportateurs porte donc sur leur capacité à prévoir et anticiper les différents types de risques. Par ailleurs, exporter est également une question de perspective, d’état d’esprit.
Alice de Brem : Les Français ont un travail à faire sur ce sujet. Certaines entreprises ont l’impression que la Belgique, c’est le grand export. Indépendamment de toutes les perspectives lointaines qui sont intéressantes et que certains entrepreneurs plus vaillants ou plus téméraires vont chercher, la France n’est pas, à l’export, très concurrentielle.
Stephen Lord : Les Français doivent notamment faire face à la barrière de la langue, sujet qu’ils sous-estiment. Or, il existe de nombreux moyens de contourner ce problème.
Julien Marcilly : Coface publie des évaluations pays qui visent à mesurer, chaque trimestre, le risque de crédit moyen des entreprises dans 160 pays. En 2015 et en 2016, chaque trimestre et sans aucune exception, nous avions décidé davantage de déclassements que de reclassements. Or, depuis le début de l’année, en janvier et en mars, nous avons procédé à davantage de reclassements que de déclassements. Certes, la majorité des déclassements de ces dernières années portaient sur les pays émergents, notamment en Amérique latine, en Afrique, au Moyen-Orient voire en Asie. Seule l’Europe centrale et orientale était un peu immunisée. Aujourd’hui, nous constatons que la situation cesse de se détériorer voire s’améliore dans plusieurs grands pays émergents dont la Russie et le Brésil, mais aussi en Asie. Pour autant, nous restons encore prudents sur un certain nombre de ces émergents comme l’Afrique du Sud ou le Mexique. Malgré nos reclassements, le niveau de risque demeure élevé.
Alice de Brem : Nous revoyons aussi de manière trimestrielle nos notes de risque pays. Cette évaluation repose sur une analyse structurelle (déséquilibres macroéconomiques, climat des affaires, stabilité du système politique) et court terme (cycle économique, risques de financement de l’économie). Nous avons ainsi rehaussé la note de trois pays au premier trimestre 2017 : l’Argentine, le Brésil et l’Egypte. Nous restons vigilants sur ces pays, mais leur situation tend à s’améliorer.
Des risques protéiformes
Alain Piou : Nous constatons depuis le début de l’année qu’un certain nombre d’indicateurs sont revenus dans le vert. Beaucoup de signaux sont de nouveau favorables à la reprise des exportations : les taux d’intérêt bas, la remontée des cours du pétrole, l’optimisme retrouvé des chefs d’entreprises.
Julien Marcilly : Les principaux risques portent, dans les pays émergents, sur le change, avec de plus en plus de problèmes en matière de transferts de devises dans beaucoup de pays. Même si les prix des matières premières ont un peu rebondi, les cours actuels restent souvent insuffisants pour beaucoup d’émergents qui en exportent. Enfin nous avons constaté un changement structurel de régime de croissance. L’activité a beaucoup ralenti dans ces pays-là. Par exemple en Chine, passer de 10 % à 6 % de croissance peut être préjudiciable pour les entreprises qui auraient investi en espérant bénéficier d’un taux de rendement de 10 %. Un cas de figure qui s’est multiplié dans beaucoup de pays. A ce contexte se sont associées, ces dernières années, un certain nombre de tensions politiques.
Alain Piou : Malgré une amélioration de la conjoncture, nous ne sommes en effet pas à l’abri de chocs géopolitiques dans des pays tels que la Corée, la Syrie ou encore en Iran. Quelques inquiétudes demeurent également sur les modèles de croissance de la Chine. Nous avons par ailleurs une incertitude sur le calendrier et les modalités du plan de baisse d’impôts promis par le président Trump aux Etats-Unis. Nous restons vigilants sur les ajustements progressifs des politiques monétaires, sur la remontée progressive attendue des taux du côté de la Fed et de la sortie de la politique de quantitative easing du côté de la BCE.
Alice de Brem : Nous attendons par ailleurs, alors que les défaillances d’entreprises au niveau mondial se contractent depuis 2009, une stabilisation en 2017. Néanmoins nous restons sur une dynamique économique plutôt positive. Certains secteurs sont particulièrement porteurs. Par exemple, nous avons de forts leviers de croissance sur les biens d’équipement (+ 9,1 milliards d’euros à saisir pour les exportateurs français en 2017 dans ce secteur), l’agroalimentaire (+ 5,2 milliards d’euros) sur lequel la France est très présente et très performante, ainsi que la chimie (+ 3,7 milliards d’euros) et l’automobile (+1,9 milliard d’euros). Autant de secteurs sur lesquels nous sommes très accompagnants.
Julien Marcilly : Les secteurs industriels sont les premiers à bénéficier de la reprise économique. La construction est également aujourd’hui un secteur porteur, d’autant qu’il profite des taux bas. Certains secteurs comme la métallurgie, où la situation est difficile depuis deux ans, présentent encore un niveau de risque relativement élevé notamment en raison de leur taux d’endettement, mais là aussi le pire semble derrière nous. En revanche le textile/habillement reste dans une situation difficile dans beaucoup de pays.
Stephen Lord : La préoccupation principale d’un exportateur consiste à se faire payer. Certes, les entreprises doivent faire face aux défaillances. Il est cependant indispensable qu’elles ajoutent aussi les délais de paiement dans leur analyse du risque. Ce n’est pas parce que l’entreprise est solvable qu’elle paiera dans les temps. Selon une directive européenne, les entreprises doivent désormais payer leurs créances à 30 jours fin de mois, voire 45 jours pour certains secteurs ayant des dérogations. Cette directive s’applique uniquement en Europe. Toutefois, est-elle réellement appliquée ? Une société qui exporte doit donc préalablement se renseigner sur les pratiques et législations des pays ciblés, afin de bien prendre en compte ce type de risque, et ce à quoi elle peut être exposée in fine. Aujourd’hui, nous constatons une augmentation des défaillances dans certains pays comme le Brésil ou la Chine, tandis que dans d’autres, l’évolution des défaillances est stable ; en revanche, les délais de paiements tendent à s’allonger. Défaillances et délais de paiement constituent deux risques bien distincts contre lesquels les exportateurs doivent se prémunir. Enfin, le risque de fraude est également présent, notamment dans certains pays comme le Nigeria.
Thierry Graffin, responsable de l’arbitrage grands comptes de Coface : Au-delà des risques dans les pays émergents qui sont réels, il existe également des risques importants dans les pays matures. Par exemple en Allemagne, il y a une faillite toutes les 20 minutes. Un rythme qui, bien que moins soutenu qu’en France (une toutes les 10 minutes), peut coûter très cher aux exportateurs français. L’évolution reste globalement positive mais néanmoins contrastée. Nous nous attendons en effet à une montée des faillites dans certains pays comme le Royaume-Uni ou Singapour. Dans d’autres pays, nous nous attendons certes à une baisse des faillites mais leur nombre reste néanmoins supérieur au nombre d’avant la crise, comme en Italie ou en Belgique. Il convient donc de rester attentif sur les pays proches, sachant qu’il existe aussi des risques de fraude comme nous venons de le vivre en France avec l’affaire Turenne Lafayette. Sur les pays émergents, la situation est un peu différente. Il y a moins de faillites, mais les impayés sont souvent plus imprévisibles. C’est notamment le cas en Inde où par exemple une entreprise cotée avec des comptes réguliers n’a dernièrement pas pu faire face à ses obligations et a déposé le bilan, alors que rien ne le laissait présager. Dans ces pays émergents, nous constatons également des défaillances dues aux risques politiques. La Turquie est pour sa part un exemple concret de l’imbrication des systèmes politique et économique. Certaines entreprises ont purement et simplement été confisquées par le pouvoir en place parce que leurs dirigeants étaient impliqués dans la tentative de coup d’Etat ou membres supposés de la secte Gülen. Leurs actionnaires ont été spoliés et ces entreprises ont été reprises en main par un fonds d’assurance appartenant au gouvernement. Pour les fournisseurs, la situation de ces entreprises pose un problème supplémentaire en cas d’impayés car ils pourraient être empêchés de recouvrer leurs créances.
Stephen Lord : C’est la raison pour laquelle il faut aussi être vigilant sur les conditions de paiement précisées dans le contrat de vente. Autre sujet, dans certains pays comme la Russie, il est particulièrement compliqué, voire impossible, de faire appliquer une décision de justice, par exemple concernant le recouvrement de créances.
Thierry Graffin : C’est également le cas en Chine, en Indonésie ou dans un certain nombre de pays Africains.
Alice de Brem : Le volume des défaillances dans le monde devrait se stabiliser en 2017, mais nous restons vigilants pour 2018. En effet, les défaillances pourraient croître de + 1 % l’an prochain. Les points d’attention en la matière portent plus particulièrement sur le Brésil (+ 11 % en 2017, + 7 % en 2018), la Chine (+ 10 % en 2017, + 7 % en 2018) mais aussi l’Afrique (+ 6 % en 2017 et en 2018).
Identifier et monitorer les pays porteurs
Stephan Haushofer : Les entreprises ont besoin d’avoir la visibilité la plus complète, exhaustive et synthétique sur les risques pays. Des informations sont disponibles sur Internet et de nombreux organismes publient des analyses et des notations pays ; la pertinence de celles proposées par les assureurs crédit est particulièrement importante dans la mesure où ils prennent des engagements et portent des risques réels. En revanche, ils disposent de systèmes de notations hétérogènes. Pour aider les entreprises dans l’analyse du risque pays, nous avons agrégé les évaluations des principaux assureurs crédit pour en faire une note unique, que nous avons baptisée le G-Grade.
Le G-Grade est basé sur un système de notation unique de 1 à 10, synthèse des évaluations réalisées par les différents assureurs crédit sur les risques pays. Il permet ainsi d’un seul coup d’œil d’intégrer les tendances majeures et le niveau de risque pour plus de 140 pays. En complément de la note pays, il intègre sept indicateurs clés fournis par le département statistique du FMI. Actualisé tous les trimestres, le G-Grade est en libre accès sur notre site et permet de cerner rapidement les principales tendances du risque politique par région. Les entreprises bénéficient ainsi d’un outil pragmatique d’aide à la décision.
Thierry Graffin : Entre assureurs crédit, nous n’avons pas trop de divergences entre les pays que nous couvrons et ceux que nous couvrons moins. Chez Coface, nous avons une catégorie de pays sur lesquels nous sommes complètement fermés, tels que l’Afghanistan ou le Soudan, mais finalement ils sont assez peu nombreux. Par ailleurs, dans l’appréciation d’un risque pays, il convient également de prendre en compte la possibilité d’accéder ou non aux informations financières des entreprises locales, les recours légaux si un client ne paie pas et la possibilité de faire valoir ou non ses droits en la matière.
Alain Piou : Les banques travaillent différemment des assureurs crédit. Plutôt que de dépendre d’une entreprise et du risque éventuel qu’elle représente, nous recommandons en effet aux exportateurs de transférer le risque sur la banque de l’acheteur via la technique du crédit documentaire. Dans un pays très risqué ou difficile, la banque se portera garante du paiement final de l’opération. Notre métier consiste à attribuer une note à la fois à la banque et au pays. Meilleure sera cette note, moins le risque perçu est élevé, moins l’assurance sera chère. Grâce à cette solution, nous garantissons le paiement final à notre client, y compris dans les pays les plus difficiles à assurer ! Certes, certains pays nous sont encore fermés pour des problématiques de politique de conformité (sanctions et embargos internationaux), mais nous ne désespérons pas de parvenir rapidement à y retourner pour accompagner notre clientèle, comme en Iran.
Antoine Castarède : Eutelsat dispose depuis longtemps d’une autorisation du Trésor américain et du Trésor français pour travailler avec l’Iran. Néanmoins, pour nous faire payer par notre client, nous avons mis un an pour trouver une banque qui accepte de travailler avec ce pays. Et ce, bien que nous ayons toutes les autorisations nécessaires. Seule une petite banque française, qui n’a pas d’intérêt fort avec les Etats-Unis, a accepté de travailler avec nous sur l’Iran.
Alain Piou : Le souhait le plus cher de la plupart des banques et assureurs européens est d’accompagner leurs clients en Iran. Rien que sur le secteur de l’aéronautique, plus de 100 milliards d’euros attendent d’être financés au profit des compagnies aériennes iraniennes. Cependant, toutes attendent des éclaircissements de la part des autorités européennes et américaines sur des sujets sensibles de conformité des opérations de financements et d’exportation. Les banques et les assureurs n’ont plus désormais droit à aucun faux pas dans le contrôle des opérations.
Thierry Graffin : Lorsqu’Israël était boycotté par les pays arabes, aucune banque ne voulait suivre les exportateurs français, hormis une banque locale marseillaise qui n’avait pas d’activités internationales.
Stephen Lord : Dans la liste des risques pays, nous pourrions donc ajouter la peur des autorités américaines. En effet, certaines banques étrangères aux Etats-Unis ont eu de fortes amendes pour non-respect de la législation américaine en matière de KYC (know your customer), en particulier la recherche du bénéficiaire ultime d’une transaction financière.
Identifier les risques clients
Stephen Lord : En France, la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron, du temps où celui-ci était ministre, a étendu aux petites entreprises l’option de confidentialité pour les comptes de résultat. Certes, les assureurs crédit et sociétés d’information comme Ellisphere y ont toujours accès, leur permettant d’établir leur scoring et de réaliser leur analyse financière. Néanmoins, ces prestataires ont un devoir de confidentialité et ne peuvent plus diffuser ces informations à d’autres entreprises. La France prend ainsi une position inverse de celle d’autres pays qui ont fait beaucoup de progrès en matière de transparence des données financières. Par exemple en Allemagne, il y a 20 ans, seules 15 % à 20 % des entreprises publiaient et rendaient public leur bilan, contre plus de 80 % aujourd’hui !
Stephan Haushofer : La crise a fortement accéléré cette tendance car les assureurs allemands l’ont exigé.
Thierry Graffin : Lorsqu’une entreprise prospecte, elle doit avant tout vérifier que son client existe. A cet effet, il existe dans chaque pays un identifiant. Il faut également effectuer un certain nombre de vérifications concernant les actionnaires (par exemple s’assurer qu’ils ne sont pas sur la liste noire) mais également sur le pays de destination des marchandises (pour s’assurer qu’il n’est pas sous embargo).
Stephen Lord : Identifier un client n’est pas toujours évident. Disposer du nom ou de l’identifiant de l’entreprise peut s’avérer insuffisant, il faut également connaître sa forme juridique par exemple. En France, c’est plutôt facile car nous avons les numéros Siren et de nombreuses autres informations. Cependant, dans certains pays, cette première étape essentielle est parfois compliquée. Ainsi, au Royaume-Uni, l’identifiant CRO (Company Registration Office) ne s’applique qu’aux sociétés de capitaux. En Allemagne, le numéro de registre des entreprises est fédéral, et donc pas unique sur le plan national. Dans ce contexte, un projet se met en place afin de permettre aux entreprises de l’Union européenne (dans un premier temps) de disposer d’un identifiant légal unique, le LEI (Legal Entity Identifier). Enfin, d’autres difficultés sont identifiées durant la phase de prospection commerciale : s’assurer que les entreprises ciblées respectent leurs obligations légales et juridiques, qu’elles disposent des licences nécessaires pour importer, exporter, ou encore qu’elles sont solvables ; cela passe par l’analyse de leur bilan, de leur ancienneté, etc.
Alice de Brem : Lorsqu’une entreprise est prête à s’attaquer à un pays, il y a plusieurs démarches à suivre. Il faut d’abord sélectionner le pays, puis investir, embaucher, et mettre en place de nouveaux process parmi lesquels la prise d’informations doit être une priorité. Ces informations sont de différents ordres. Elles peuvent porter sur le risque pays, mais également sur les obligations juridiques (par exemple, les conditions générales de vente en Allemagne sont, sur la clause de réserve de propriété, plus exigeantes que dans d’autres pays). L’information commerciale sert également à la sélection des clients. En qualité d’assureur crédit, nous avons nos propres sources d’informations. Chez Euler Hermes, nous surveillons plus de 40 millions d’entreprises et nous avons 1 200 experts qui traitent les informations que nous récupérons. Il n’est pas toujours facile de collecter ces informations, aussi bien dans certains pays du grand export tels que la Chine ou les Etats-Unis, que chez certains de nos voisins tels que l’Allemagne, Chypre ou encore le Luxembourg. A partir de ces informations, nous réalisons une première analyse qui va donner lieu à des couvertures crédit que nos clients vont obtenir en interrogeant notre site. Il arrive que nos clients disposent d’informations en inadéquation avec notre position, qu’ils seraient allés chercher directement auprès de leurs clients, ou via leur propre expérience de paiement. Nous consolidons toutes ces données avec les nôtres afin de réviser, le cas échéant, nos positions. Il s’agit d’une démarche proactive à laquelle nous sommes particulièrement attachés car il est très important pour nous de savoir comment une entreprise travaille avec son client. Certaines des garanties que nous proposons reposent d’ailleurs sur l’expérience de paiement de nos assurés.
Thierry Graffin : L’assureur délivre des garanties en fonction d’informations issues de différentes sources : ses propres bases de données, les habitudes de paiement des acheteurs ou encore les informations que lui donnent ses clients ; cela permet à notre client de connaître le risque potentiel sur son propre client, sachant que le risque sera ensuite monitoré pendant toute la durée du contrat.
Se prémunir contre le risque crédit export
Antoine Castarède : Pour analyser le risque crédit de nos clients, nous sollicitions les sociétés d’informations et nos assureurs crédit. Nous avions par ailleurs renforcé notre politique de prévention du risque en demandant des informations directement auprès de nos clients que nous faisions vérifier par des tiers, notamment pour éviter la fraude. Nous demandions également à nos clients des garanties bancaires ou des «dépôts». En cas d’impayé, nous pouvions tirer sur ces garanties. Il faut savoir qu’en la matière, la fraude est également possible. Pour les éviter, nous demandions donc que ce soit la banque qui nous envoie directement la notification de sa garantie bancaire.
Alain Piou : Exiger une garantie à première demande ! Acheteur et vendeur indiquent dans le texte de la garantie sous quelles conditions elle peut être actionnée. Dès lors que l’appel en garantie est reconnu conforme par la banque émettrice, l’entreprise peut être payée sous cinq jours. Ce type de garantie de paiement peut être donné parallèlement à un contrat de vente. On voit bien toute la protection qu’elle peut apporter au vendeur pour être payé, dès lors qu’il est de bonne foi. Le crédit documentaire est pour sa part une «garantie» qui sert également de moyen de paiement : il s’agit d’un engagement de la banque de l’importateur de payer si la prestation est réalisée comme prévu dans le texte du crédit documentaire.
Autre source d’informations pour s’assurer d’un client de qualité : la banque de détail dans les pays étrangers de leur partenaire bancaire. Par exemple, Société Générale est très présente en Afrique et en Europe de l’Est. Les entreprises peuvent donc nous demander si nous connaissons de potentiels clients ou réseaux de distribution honorablement connus dans un pays donné. Il nous suffit alors de nous renseigner auprès de nos filiales.
Antoine Castarède : Pour nos agents commerciaux, nous faisions même effectuer des études de réputation sur ceux-ci.
Alain Piou : La vigilance est désormais de mise dans l’ensemble des banques, à tous les niveaux. Ces contrôles réalisés systématiquement bénéficient aussi à nos clients en leur évitant de contracter définitivement avec des entrepreneurs internationaux douteux. Même si le risque zéro n’existe pas !
Alice de Brem : Sur un marché qu’elle pense bien connaître ou sur lequel elle estime que sa marge est préservée, une entreprise peut décider de s’appuyer uniquement sur ses propres informations pour surveiller son risque client. Sur les marchés sur lesquels elle ne peut se permettre de subir un impayé client, il lui faudra alors se tourner vers des systèmes de caution ou des solutions d’assurance crédit.
Alain Piou : Quand une entreprise peut mourir d’un impayé, le crédit documentaire est alors particulièrement recommandé. Il permet également de négocier des délais de paiement.
Alice de Brem : Le dirigeant doit disposer d’un panel de solutions de gestion du risque pour s’attaquer à un marché, qui pourront l’aider à imposer des délais de paiement et préserver son actif.
Stephan Haushofer : Le choix de ces différentes solutions dépendra de la stratégie commerciale de l’entreprise. Il faut en premier lieu identifier les opportunités par pays et ensuite prévenir les risques. La stratégie commerciale de l’entreprise sera différente s’il s’agit d’un marché mature, d’un marché à conquérir ou encore d’un marché en création. Elle devra définir ses moyens de paiements, soit comptant, soit par crédit documentaire, soit en open account, et définir judicieusement les délais de paiement qu’elle souhaite offrir à ses clients. Une fois encore, cela passera par une analyse très précise de ce qu’il est possible, nécessaire ou opportun de faire en la matière dans le pays cible. Il convient également de s’assurer que son organisation interne est structurée pour accompagner la stratégie commerciale à l’export en open account : vérifier les outils en place, les processus des équipes de credit management et plus particulièrement le recouvrement de créances à l’international qui reste très complexe. En fonction de l’organisation et des enjeux commerciaux, l’entreprise pourra alors décider de transférer le risque qu’elle porte vers les assureurs crédit et bénéficier ainsi des services proposés en termes de prévention et de recouvrement à l’export afin de préserver ses marges.
Nouveaux services digitaux
Alice de Brem : Aujourd’hui, beaucoup d’entreprises sont à la recherche de solutions de financement alternatives, très souvent des solutions de financement ponctuelles, à la carte, souples et rapides à mettre en place, sans engagements. Pour répondre à ce besoin grandissant, nous avons noué différents partenariats avec des fintechs. Nous proposons aux fintechs une assurance crédit à la facture, des décisions de crédit en temps réel et un prix qui s’ajuste également en temps réel en fonction de la qualité de la créance. Nous mettons ainsi à la disposition des fintechs une technologie de pointe associée à notre expérience du risque crédit, pour les aider à proposer aux entreprises des financements supplémentaires et sécurisés, au travers de leurs plateformes en ligne.
Thierry Graffin : Les nouveaux outils et services digitaux facilitent par ailleurs les démarches des entreprises déjà clientes des assureurs crédit. Ils leur permettent d’avoir un accès à tout leur portefeuille client en temps réel, de demander des garanties via leur smartphone, de vérifier que leur encours couvert est suffisant, d’être informés sur une couverture quand un client se porte mal…
Stephan Haushofer : La digitalisation et notamment les fintechs permettent aujourd’hui aux entreprises d’avoir un certain nombre d’outils à leur disposition et d’y recourir en fonction de leurs besoins à un moment donné. A l’export, certaines fintechs proposent la cession à la facture et un financement en moins de 48 heures. Les fintechs proposent un croisement de trois éléments : la garantie, le financement et la technologie. Grâce à la technologie, elles sont en mesure de répondre à l’individualisation des besoins. Ce sont des outils complémentaires les uns des autres.
Stephen Lord : Les entreprises ont des tailles, capacités ou maturités à l’export très différentes. Elles vont donc chercher des solutions diverses, susceptibles de répondre à des besoins spécifiques. Elles doivent par ailleurs disposer d’une vision segmentée de leur portefeuille clients pour ensuite mettre en place des actions de prévention du risque adaptées. Chez Ellisphere, nous réalisons le travail de collecte et d’analyse que les entreprises n’ont pas le temps de faire en interne. Notre capacité à innover, adossée à la technologie, nous permet de suivre l’évolution des risques et d’alerter aussitôt qu’un nouvel événement apparaît. Nos clients gagnent ainsi en réactivité dans leurs prises de décision en gestion du risque de crédit grâce à nos prestations dites «décisionnelles».
Alain Piou : Les banques courent derrière ces technologies car ces plateformes ouvrent des voies nouvelles. Nous proposons déjà un certain nombre d’outils digitaux pour accompagner les entreprises à l’export. Tout l’enjeu aujourd’hui va consister à mettre nos offres sur ces nouvelles plateformes. Une démarche dans laquelle nous sommes déjà engagés : nous créons des outils digitaux, achetons des fintechs, des start-ups… Il s’agit d’une course permanente à l’innovation.
Stephan Haushofer : L’export est un état d’esprit, une démarche volontaire de conquête. Il y a des opportunités à saisir à l’export et des risques liés, qui peuvent être maîtrisés grâce à des outils et à des solutions d’assurance et de financement. En revanche, il est important de structurer ces approches précisément en fonction des situations business et du contexte pays, afin d’en tirer profit de manière optimale et ainsi de préserver les marges de l’entreprise.