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Provisions comptables non déduites fiscalement : un «grand arrêt» du Conseil d’Etat

Publié le 10 février 2014 à 14h56    Mis à jour le 18 mars 2014 à 15h19

Stéphane Austry

Le Conseil d’Etat juge que, lorsqu’une provision a été constituée dans les comptes, le résultat fiscal de l’exercice doit, en principe, être diminué du montant de cette provision. La même décision précise les conséquences fiscales de la reprise comptable de la provision.

Une décision de principe

Par un arrêt du 18 novembre 2010 Société foncière du Rond-Point, la cour administrative d’appel de Paris a jugé qu’une entreprise a la faculté de ne pas déduire la provision qu’elle a comptabilisée. La cour en tirait la conséquence que, dès lors qu’elle n’a pas déduit cette provision, cette entreprise n’a pas à la réintégrer à son résultat imposable lorsqu’elle la rapporte à son résultat comptable. Cette analyse est censurée par le Conseil d’Etat, statuant en formation de plénière fiscale.

La haute assemblée juge au contraire que «lorsqu’une provision a été constituée dans les comptes de l’exercice, et sauf si les règles propres au droit fiscal y font obstacle, notamment les dispositions particulières de l’article 39,1-5° du CGI limitant la déductibilité fiscale de certaines provisions, le résultat fiscal de ce même exercice doit, en principe, être diminué du montant de cette provision».

Il en résulte que, lorsqu’une provision passée dans les écritures comptables est déductible fiscalement, l’entreprise n’a pas le choix : elle est tenue de suivre le traitement comptable en déduisant, au titre de l’exercice où elle a été comptabilisée, la provision de son résultat fiscal. Cette solution semble s’écarter de la jurisprudence antérieure par laquelle le Conseil d’Etat avait estimé que la constitution d’une provision est une faculté que l’entreprise peut ne pas exercer de sorte qu’il lui est loisible de ne pas l’exercer du tout (CE 18 décembre 1963 n° 56852 ; CE 12 février 1965 n° 60409) ou de ne l’exercer que partiellement en constituant une provision d’un montant moins élevé que celui qui serait justifié (CE 10 décembre 2004 n° 236706, Sté Roissy Films).

Il est toutefois vrai que les situations de fait de ces précédents étaient différentes de celle ici soumise au Conseil d’Etat, dans laquelle une société avait doté une provision sur le plan comptable mais avait décidé de ne pas la déduire sur le plan fiscal. Le Conseil d’Etat se prononce au considérant 2 de sa décision sur les conséquences fiscales de la reprise de la provision sur le plan comptable. Se prononçant dans une situation où la règle de l’intangibilité du bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit, désormais énoncée au 4 bis de l’article 38 du CGI, n’est pas applicable compte tenu de la date des faits, le Conseil d’Etat juge, tout d’abord, que lorsqu’une entreprise a comptabilisé une perte tout en procédant à la reprise de la provision devenue sans objet sans avoir tenu compte de la constitution de cette provision comptable pour la détermination du résultat fiscal, «l’administration fiscale est en droit de corriger la surestimation de l’actif net du bilan d’ouverture de l’exercice au cours duquel la perte a été constatée et la provision a été reprise dans les comptes, en y inscrivant cette provision afin de pouvoir ensuite tirer les conséquences de sa reprise pour la détermination du résultat fiscal de cet exercice».

Il résulte donc des principes fixés par le Conseil d’Etat que, pour pouvoir tirer les conséquences fiscales de la reprise comptable de la provision, l’administration doit nécessairement corriger le bilan d’ouverture de l’exercice au cours duquel intervient cette reprise : une provision ne peut donc être reprise et rapportée au résultat imposable que si elle figure d’abord, à l’ouverture de l’exercice, au bilan fiscal de l’entreprise, ou si, n’y figurant pas dans la déclaration du contribuable, cette omission peut être rectifiée par l’administration.

Une fois corrigé le bilan d’ouverture de l’exercice de reprise de la provision, le Conseil d’Etat précise les obligations de l’administration en indiquant que la surestimation de l’actif net résultant de l’omission de la déduction du résultat fiscal de la provision «doit y être symétriquement corrigée, pour autant qu’elle ne revêt pas, pour le contribuable, un caractère délibéré». Le Conseil d’Etat en conclut que ces corrections symétriques demeurent «toutefois sans incidence sur le bien-fondé du rehaussement des bases d’imposition de l’année au cours de laquelle la perte a été constatée lorsque le plus ancien des exercices concernés est prescrit».

Il est intéressant de noter que le Conseil d’Etat semble considérer, de manière nous semble-t-il inédite, que la correction symétrique sur les exercices antérieurs ne conduit pas à un dégrèvement de la surimposition dont le contribuable a fait l’objet au titre de l’exercice au cours duquel la provision aurait dû être déduite, mais à faire directement obstacle au rehaussement auquel l’administration entend procéder au titre de l’exercice de reprise de la provision.

Les conséquences pratiques de la décision

Sous l’empire des textes prévalant avant l’entrée en vigueur de l’article 38, 4 bis du CGI, applicable seulement aux exercices ouverts depuis le 1er janvier 2005, il résulte donc de cette décision du Conseil d’Etat que la théorie des corrections symétriques ne pouvait faire obstacle au rehaussement, dans l’hypothèse où l’omission de déduction de la provision ne présente pas un caractère délibéré, que si l’exercice au cours duquel la provision aurait dû être déduite n’était pas prescrit.

La transposition de la solution adoptée par le Conseil d’Etat à l’hypothèse dans laquelle la règle de l’intangibilité du bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit serait applicable est délicate, et la haute assemblée a manifestement entendu réserver cette question.

Il nous semble toutefois pouvoir être déduit des principes consacrés par la solution du Conseil d’Etat les conséquences suivantes :

- si l’exercice de reprise de la provision est le premier exercice non prescrit, il pourrait découler de la règle énoncée à la première phrase du considérant 2 que celle-ci ferait obstacle, alors même que l’erreur initiale serait délibérée, au rehaussement. En effet, du fait de l’intangibilité du bilan d’ouverture, l’administration ne peut corriger la surestimation qui affecte ce dernier et elle ne peut donc pas reprendre une provision qui n’a pas été constatée au bilan fiscal de l’exercice ;

- si l’exercice de reprise de la provision n’est pas le premier exercice non prescrit, si bien qu’il convient de corriger symétriquement les exercices antérieurs, et que l’omission de constater la provision ne présente pas un caractère délibéré, alors la correction symétrique pourrait faire nécessairement obstacle au rehaussement dès lors qu’il conviendrait de corriger la surestimation de l’actif net au titre du premier exercice non prescrit (alors même que la provision aurait dû être constatée au titre d’un exercice prescrit).

Ce ne serait donc que lorsque l’omission présenterait un caractère délibéré que le droit à correction symétrique ne pourrait faire obstacle au rehaussement, et seulement dans l’hypothèse où l’exercice de reprise de la provision ne serait pas le premier exercice non prescrit.

Stéphane Austry, avocat associé de CMS Bureau Francis Lefebvre Membre du département de doctrine fiscale du cabinet, il est en charge du développement de l’activité contentieuse. En parallèle de ses activités, il est en charge de la pratique fiscale pour tous les cabinets membres du réseau CMS. Son parcours professionnel très diversifié lui a permis de développer une expertise de premier plan en contentieux fiscal après avoir exercé des responsabilités de haut niveau au sein de l’Administration.

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