Transformation d’entreprise

Transformation digitale des entreprises : la révolution est-elle en marche ?

Publié le 4 décembre 2015 à 11h58    Mis à jour le 27 juillet 2021 à 11h33

Anne del Pozo

Dans une décennie marquée par l’accélération des progrès technologiques et l’explosion des données, la transformation digitale des entreprises devient urgente. Si la plupart des grandes organisations mesurent désormais cette urgence, leurs projets en la matière diffèrent cependant de l’une à l’autre. Tous en revanche bouleversent les organisations et nécessitent la mise en œuvre d’outils digitaux.

Longtemps restée au stade de déni, la transformation digitale des entreprises semble, en 2015, prendre une nouvelle dimension. La plupart des études sont en effet unanimes : les entreprises ont désormais mesuré l’importance de s’engager dans cette démarche. 75,6 % d’entre elles prévoient ainsi d’investir dans leur transformation numérique au cours des deux prochaines années (L’Usine Digitale/GT Nexus/Cap Gemini, juin 2015). La prise de conscience a néanmoins été longue.

Le réveil des grandes entreprises françaises

Pour que les grandes entreprises françaises se réveillent, il aura en effet fallu qu’elles se trouvent confrontées à une concurrence exacerbée par le digital. Dans le retail, E.Lerclerc a ainsi pris près de 15 ans pour sortir du déni, notamment face au développement d’Amazon. Le constat est identique pour les hôteliers mais aussi pour les compagnies de taxi qui n’ont pas anticipé l’arrivée des nouveaux entrants tels qu’Airbnb ou Uber, et attendu de subir la fuite de leurs clients pour réagir. «Même l’industrie lourde n’a pas été épargnée par l’arrivée de cette nouvelle concurrence», analyse EBG (Electronic Business Group) dans son «Référentiel transformation digitale» de 2015. Safran, par exemple, observe avec attention le développement de SpaceX, une jeune entreprise californienne d’astronautique. En quelques années, le prix des lanceurs spatiaux a en effet été divisé par deux, notamment avec le développement de cette jeune entreprise poussant ainsi Safran à se transformer et se moderniser. L’industrie automobile s’inscrit aussi en mode réaction face, par exemple, à l’arrivée rapide et inattendue de Tesla…

«Toutes les entreprises que nous avons rencontrées pensent que les GAFA (Google Apple Facebook Amazon) pourraient un jour venir sur leur marché, explique Arthur Haimovici, responsable du pôle études d’EBG. Elles sont toutes conscientes des risques liés aux phénomènes “d’ubérisation” et de désintermédiation. Même lorsque leur secteur n’est pas le plus directement menacé, les enjeux concurrentiels sont tellement importants que la plupart de ces entreprises ont aujourd’hui la volonté de créer de nouveaux services ou produits autour du digital. De nombreuses organisations ont donc désormais pris la mesure de l’urgence du numérique, ce qui s’est traduit, dans beaucoup de sociétés françaises, par la création de grands plans de transformation digitale et par la nomination d’un CDO.»

Des projets à plusieurs millions d’euros

Michel-Edouard Leclerc a ainsi annoncé un investissement d’un milliard d’euros sur trois ans dans le digital et la logistique, AXA va investir dans le numérique entre 450 et 950 millions d’euros, Accor 225 millions d’euros, la SNCF 450, etc. «Il faut cependant rester vigilant sur ces montants annoncés, nuance Raphaël Fétique, cofondateur de Converteo. Il est en effet légitime de se questionner sur la nécessité de dépenser autant d’argent sur la transformation digitale. Pourquoi, d’ailleurs, certaines grandes entreprises n’annoncent pas de plan de transformation digitale quand d’autres lancent des projets pharaoniques ? Cela pourrait être parce que, à l’image de Kodak, elles ont choisi l’immobilisme conduisant à une mort plus ou moins rapide, ou alors parce qu’elles ont anticipé depuis bien longtemps les mutations liées au digital et ont investi progressivement pour évoluer. Il n’est également pas interdit de penser que les montants ainsi annoncés sont surtout là pour marquer les esprits en internes et en externes.» D’autant qu’il n’y a pas toujours besoin de tous ces millions pour engager une transformation digitale.

Les usages digitaux se démocratisent

Si toutes les entreprises n’ont pas encore opéré de telles transformations, force est de constater que certains usages «digitaux» constituent désormais des pratiques courantes dans l’entreprise ou sont en passe de le devenir. Pour 89 % des répondants au Baromètre de la transformation digitale 2015 de CSC, le digital occupe une place primordiale au sein de leur organisation. La majorité des entreprises estime d’ailleurs que la transformation digitale de leur organisation est indispensable à leur survie. Dans le cadre de cette démarche, elles entendent faire évoluer leur modèle opérationnel en adaptant ou en réinventant leurs métiers, leurs modes de travail, leurs offres et leurs produits et/prestations afin de préserver leurs parts de marché ou de gagner en compétitivité, tout en misant sur les opportunités offertes par la digitalisation en termes d’efficacité et de réduction des coûts.

Améliorer l’expérience client

Une mutation qui ne s’opère cependant pas de la même façon dans toutes les entreprises. Dans 93 % des cas, elle passe en effet par le renouvellement de l’expérience client grâce à des pratiques digitales s’appuyant sur le cross canal, la mobilité, ou encore le social. C’est par exemple pour améliorer l’expérience de ses clients et faire face à l’augmentation des demandes entrantes par mails que BrandAlley, e-commerçant spécialisé dans la vente de vêtements et produits de décoration sur Internet, a décidé de déployer la solution Akio Mail Center et son offre de couplage assistant virtuel/tchat. Depuis la mise en place de cette nouvelle solution cross canal, 80 % des contacts téléphoniques sont pris en charge en moins de 30 secondes et 90 % des emails reçoivent une réponse en moins de 24 heures. Pour mieux interagir avec leurs clients, les entreprises peuvent également délivrer de nouveaux services via des devices (applicatifs mobiles, solutions d’affichage dynamiques, bornes interactives, etc.) ou des objets connectés interfacés avec des plateformes digitales. «A partir de notre plateforme, McDonald’s peut offrir différents services à ses clients délivrés via d’autres technologies digitales telles que les mobiles ou les bornes interactives, témoigne Julien Decoster, global business development manager de Worldline. Le parcours client est fluidifié et son expérience et sa relation avec la marque améliorée.» De plus en plus, le digital est donc perçu comme un moyen de mieux communiquer avec les clients internes ou externes de l’entreprise, de valoriser son expérience et de lui apporter de nouveaux services. «La plupart des projets de transformation partent ainsi du client et de la volonté des entreprises de leur proposer de nouveaux services pour être au niveau de leurs usages numériques quotidiens», rappelle Arthur Haimovici. Ces canaux se sont par ailleurs très largement imposés dans les cycles de vente car ils sont moins onéreux que les canaux physiques traditionnels et, dans une certaine mesure, plus efficaces en termes de suivi de la relation client. De plus, au-delà du seul acte commercial, les clients sont en attente d’un accompagnement durable, notamment après l’acte d’achat. Un accompagnement plus simple à réaliser et plus efficace lorsqu’il prend appui sur des technologies digitales.

Financer son projet de transformation digitale

D’où viennent les montants annoncés des transformations digitales ?

Raphaël Fétique, cofondateur de Converteo : Certaines entreprises annoncent avoir débloqué des sommes pharaoniques pour leur projet de transformation digitale. C’est notamment le cas d’Accor (225 millions d’euros), d’AXA (entre 450 et 950 millions d’euros) de E.Leclerc (près d’un milliard d’euros) ou encore de la SNCF (450 millions d’euros). Les sources de ces lignes de financement sont cependant rarement expliquées. Il peut s’agir de fonds fraîchement débloqués ou levés pour être exclusivement dédiés à la transformation digitale de l’entreprise – c’est notamment le cas pour l’acquisition de start-up. Les annonces relèvent souvent de l’exercice de communication un peu artificiel ; les acteurs déguisent des investissements (CAPEX) non digitaux en CAPEX digitaux ou, pire, des OPEX digitaux (ex : budget webmarketing) en CAPEX digitaux. Les questions de la maturité et de la gouvernance de l’entreprise sont clés pour déterminer sa capacité à défendre un retour sur investissement au-delà de l’exercice fiscal et donc une dégradation de la rentabilité à court terme. Le retour sur investissement à deux, trois ans pourra se traduire par une augmentation du chiffre d’affaires ou une réduction des OPEX.

Pourquoi tant de millions ?

Philippe Le Meau, directeur général d’ALDP Digital : La transformation digitale nécessite des investissements dans les technologies mais aussi en compétences, conseils et conduite du changement. Avec l’ubérisation de l’économie, certaines entreprises se retrouvent aujourd’hui dans l’obligation de réinvestir pour préserver leur compétitivité et se développer. Ces réinvestissements labellisés «transformation digitale» mélangent parfois la remise à niveau de l’entreprise sur le core business et les véritables investissements dédiés à la mutation de l’entreprise sur des aspects numériques. D’autres entreprises qui avaient fait le choix d’externaliser certaines fonctions les réinternalisent. Une démarche qui nécessite aussi des ressources financières en termes de recrutement et de formation. Enfin, ces montants peuvent n’être, dans certains cas, qu’un effet d’annonce à des fins de communication pour rassurer le marché, les investisseurs et les collaborateurs tout en gonflant les muscles face à la concurrence.

Comment monter un plan de financement d’un projet de transformation digitale ?

Raphaël Fétique : Les plans de financement doivent définir séparément les différents leviers de mutation : les investissements RH tels que la formation ou le recrutement de nouvelles expertises ; les coûts des équipements informatiques ; celui des technologies destinées à accélérer la performance des process et des métiers ; les coûts de communication interne et externe permettant la promotion des nouveaux services générés par la transformation ; les investissements dans les start-up ou des actifs immatériels ou encore les prestations de conseil et d’accompagnement. Cette approche financière est essentielle pour bien envisager la transformation digitale comme un investissement sur l’avenir et caler les différentes échéances sur les court, moyen et long termes.

Philippe Le Meau : Le financement de cette transformation par l’organisation centrale est alors souvent préférable, dans la mesure où il est ensuite plus simple de demander aux différentes directions, filiales ou pays de s’y conformer. Une démarche qui est plus complexe à mener lorsque le financement est constitué de contributions en local. Il faudra alors veiller à une gouvernance stricte afin que ces montants soient bien alloués au projet et non à des opérations locales.

Renforcer l’efficacité opérationnelle

Mais tel n’est pas le seul objectif des transformations digitales. En effet, selon le Baromètre de la transformation digitale, pour 81 % des entreprises interrogées, cette transformation digitale concerne avant tout les processus opérationnels et/ou de support. D’ailleurs, l’exploitation des technologies numériques pour améliorer la performance opérationnelle n’est pas un phénomène récent, ne serait-ce qu’au regard de la dématérialisation de certains services, l’intégration de partenaires dans l’écosystème ou encore la socialisation des processus via des workflows intégrés…. «Par exemple, la dématérialisation, notamment de la fonction finance, permet de fluidifier les échanges entre l’organisation, ses clients mais aussi ses fournisseurs tout en réduisant les coûts, en accélérant les processus de clôture et en gagnant en agilité», explique Catherine Pilidjian, associée en charge de la practise CFO Advisory chez Kurt Salmon. Cependant, les entreprises doivent être vigilantes quant à l’usage de ces technologies à de simples fins d’efficacités opérationnelles. Si l’intérêt du client final n’est pas pris en compte dans le cadre de cette démarche, les impacts du projet de transformation pourraient ne pas être ceux escomptés.

«Dans le cadre d’un projet de transformation digitale, le DAF conseille les métiers sur la réallocation de leurs ressources»

Les DAF ont-ils pris la pleine mesure des enjeux financiers liés aux projets de transformation digitale ?

Catherine Pilidjian, associée en charge de la Practice CFO Advisory, Kurt Salmon : Aujourd’hui, contrairement à il y a encore dix-huit mois, les directions financières se sentent davantage concernées par les projets de transformation digitale, et plus particulièrement par leur dimension financière. Il leur revient d’ailleurs d’évaluer les investissements nécessaires à ces projets et les retours sur investissement qui peuvent en être attendus. Les DAF ont également pour vocation d’en définir les processus de suivi. Enfin, ils ont un rôle de veille et d’alerte sur les risques qui entourent ces projets.

Comment suivent-ils le ROI des projets de transformation digitale ?

Catherine Pilidjian : Il est particulièrement complexe de calculer le retour sur investissement d’un projet de transformation digitale. Ce ROI est d’autant plus difficile à calculer que de nombreux projets en la matière sont menés en mode défensif, pour éviter à l’entreprise de subir la concurrence de nouveaux entrants sur son secteur d’activité. Le DAF a néanmoins pour vocation de mettre en place des indicateurs de suivi de l’efficience des nouveaux modèles déployés dans le cadre de ces projets. Par ailleurs, même si ces projets, en phase d’émergence ou de pilote, ont pu manquer de transparence en termes d’investissements et de ROI, force est de constater que, désormais, ils s’inscrivent dans un processus classique de validation dans lequel le DAF joue pleinement son rôle d’animateur.

Comment le DAF accompagne-t-il les métiers ?

Catherine Pilidjian : Le DAF peut stimuler la réflexion des directions opérationnelles sur la réaffectation de leurs ressources suite à la transformation digitale de leur organisation. Par exemple, si les équipes marketing connaissent et maîtrisent généralement les nouveaux canaux de contact ainsi que leurs usages, le DAF peut néanmoins leur donner une méthode et un support pour réinventer en conséquence leur budget marketing et la façon de l’allouer. Il a ainsi pour vocation de les accompagner dans la mise en place de la démarche financière qui entoure la transformation digitale de leur métier. Une approche que les DAF peuvent avoir sur l’ensemble des directions opérationnelles de l’entreprise.

Développer la collaborativité

Enfin, dans 82 % des cas, la transformation digitale des entreprises passe par les modes de management : travail à distance, travail collaboratif, développement de la transversalité notamment via les réseaux sociaux d’entreprise…. Par exemple, le travail collaboratif est jugé propice au développement de l’innovation et à l’échange des savoirs et donc à l’émergence de nouvelles sources de revenus pour l’entreprise. Christine Balague, vice-présidente du Conseil national du numérique, rappelait d’ailleurs, en avant-propos du rapport Roland Berger de 2014 («L’aventure numérique, une chance pour la France»), que «la métamorphose numérique repose sur l’appropriation et la diffusion, au sein des organisations, d’une véritable culture numérique fondée sur l’intelligence collaborative, l’open innovation, l’ouverture à un écosystème, la participation nouvelle des salariés, l’évolution constante des métiers et des modes de travail». L’acculturation des collaborateurs leur permet ainsi de mieux appréhender les attentes de leurs clients mais aussi de prendre conscience des opportunités et évolutions induites par le digital. «Elle peut par exemple se faire via des dispositifs de formation des collaborateurs aux enjeux et aux méthodologies du digital, tels que les passeports digitaux, les programmes de mentoring, les voyages dans la Silicon Valley pour les dirigeants, indique Arthur Haimovici. L’implication de ces derniers (CEO, patrons de business, DSI...) est en effet un facteur clé de succès crucial.» La sensibilisation des collaborateurs au digital peut également passer par d’autres mécanismes tels que leur équipement en smartphones ou tablettes.

Favoriser le management transversal

Parallèlement, le management hiérarchisé et en silo doit laisser place à un management «transversal» et «collaboratif» pour gagner en efficacité au quotidien. Cette démarche est également importante pour s’assurer que l’image et la réputation de l’entreprise sont déployées de manière efficace sur les réseaux sociaux (internes et externes) et constituent ainsi un facteur d’attractivité fort vis-à-vis des clients mais aussi des candidats potentiels. A l’heure où il est difficile de recruter de nouveaux talents, la capacité des entreprises à s’inscrire dans le digital pour promouvoir leur image est en effet importante. «Une plus grande transversalité au sein des organisations peut ainsi générer de nombreux apports, en termes d’efficacité opérationnelle et de motivation des collaborateurs, rappelle l’étude CSC. Ceci à condition néanmoins d’être mis en œuvre progressivement, en s’appuyant sur les usages métiers pertinents et en impliquant fortement le management qui doit donner l’exemple.»

«La fonction achat est particulièrement concernée par les projets de transformation digitale»

Quelles sont les contraintes qui, aujourd’hui, empêchent la fonction achat de se transformer ?

Luc Agopian, directeur associé, Capgemini Consulting: D’après l’étude «CPO Survey» de Capgemini, 83 % des directeurs et responsables achats restent focalisés sur la réduction des coûts. Or, pour apporter une dimension plus pertinente à la fonction, il faut privilégier les actions qui ont un impact sur le long terme. Les achats n’arrivent pas à imposer les process qui les feraient pourtant gagner en efficacité.

Comment les directions achats pourraient-elles repenser leur stratégie ?

Luc Agopian : Les achats disposent d’une masse considérable de données, mais ne savent pas comment les traiter. C’est la valeur créée à partir de ces données qui pose problème : 75 % des répondants à notre enquête considèrent que les principaux obstacles à la valorisation de ces données sont le manque de compétences techniques ou de compétences achats et de leadership. Par ailleurs, 97 % des répondants pensent que la relation avec les fournisseurs est une priorité. Mais seulement 15 % d’entre eux ont harmonisé leur stratégie relation fournisseurs à l’échelle de l’organisation.

Quels outils digitaux devraient-ils donc mettre en place ?

Luc Agopian : Dans la fonction achat, la base de la transformation digitale porte en premier lieu sur les processus de «procure to pay» et de «source to contract». S’il s’agit d’une évidence, toutes les entreprises, dont certains grands groupes, n’en sont néanmoins qu’aux balbutiements des projets en la matière. Concernant le digital, il est donc essentiel de bien cibler son besoin avant de lancer un projet. La transformation digitale de la fonction achat passe également par la mise en place d’outils collaboratifs en interne et en externe avec les fournisseurs. Par exemple, les «category rooms» sont de véritables pièces virtuelles accessibles par les acheteurs et les fournisseurs et dans lesquelles se trouvent des informations relatives à différentes catégories d’achats. Les outils de gamification permettent pour leur part de récompenser les clients internes qui respectent le mieux les règles d’achat définies par l’entreprise. Enfin, pour être complète, la transformation digitale des achats suppose de s’équiper de solutions de traitement et d’analyse des données pour optimiser la description, le suivi et la prévision des achats.

La donnée, point névralgique des transformations digitales

Au cœur de ces différentes mutations favorisées par le digital se trouve un point commun, la donnée. Or, la collecte, la gestion et l’exploitation des données deviennent un enjeu stratégique pour les entreprises. Un enjeu d’autant plus important que le volume de ces données ne cesse de se développer et qu’elles sont désormais disséminées au sein de différents systèmes pas toujours intégrés entre eux. Par exemple, selon Markess International, les données clients qui auparavant étaient cantonnées à quelques références structurées, peuvent désormais s’étendre à tout type d’informations non structurées réparties par ailleurs dans des environnements très divers, internes ou externes à l’entreprise (logs de connexion, traces de navigation, pages visitées, commentaires effectués, recommandations laissées sur des réseaux sociaux, etc.). «C’est la raison pour laquelle la maîtrise et l’exploitation de ces données clients (quantité des données, variété des formats, analyse en temps réel, big data, etc.) prennent de l’ampleur dans les stratégies digitales, témoigne un expert IBM dans le «Référentiel transformation digitale» d’EBG. La transformation numérique ne saurait ainsi exister sans une valorisation de la donnée, en la transformant en “information augmentée”, disponible au bon moment et au bon format. Les techniques associées au big data sont l’une des clés de la valorisation des données, toujours plus nombreuses.» Le big data offre en effet de nombreuses opportunités en matière de connaissance client, de personnalisation de la relation client mais aussi de gestion de la performance, de création de nouveaux services, d’efficacité opérationnelle et même d’analyse et de maintenance prédictive et de lutte contre la fraude. La mise à disposition en temps réel de ces informations «intelligentes» auprès des collaborateurs métiers a modifié radicalement le rôle de ces données. En passant d’un rôle de contrôle ou de mesure a posteriori, à de véritables indicateurs de prévision, elles permettent aujourd’hui une optimisation du business avec des rythmes toujours plus soutenus. «L’accès à ces données s’est également démocratisé, ajoute l’expert IBM. Même si le recours aux data scientists est un gage de valorisation et de pertinence de ces analyses.» Pour autant, 60 % des décideurs interrogés dans le cadre d’une étude Markess («Tendance clients et stratégies digitales», 2015) pensent que la qualité des données est le point le plus complexe freinant les actions digitales destinées à améliorer l’expérience client.

«Certaines industries traditionnelles doivent encore être convaincues de l’urgence de la transformation digitale»

Les entreprises françaises ont-elles pris la mesure de l’urgence d’engager leur transformation digitale ?

Véronique Di Benedetto, administrateur Syntec Numérique et vice-présidente France Econocom : Une partie des entreprises françaises, surtout le CAC 40 et les grandes organisations, ont engagé leur transformation de façon globale, mais il reste beaucoup de chemin à parcourir pour la plupart des autres. Elles n’ont pas forcément saisi l’importance, voire l’urgence de cette transformation, ou se sentent assez peu concernées, comme par exemple certaines industries traditionnelles que nous devons encore convaincre. Celles qui ne le feront pas rapidement vont perdre en compétitivité, en légitimité par rapport aux besoins et attentes de leurs clients, et seront, à terme, en perte de croissance, rattrapées par une concurrence agile et innovante. Certaines pourront aller jusqu’à disparaître. Même si certains secteurs, comme les médias, la banque, l’assurance, la grande distribution, sont très conscients des risques forts de perdre des parts de marché avec l’arrivée de nouveaux concurrents, une minorité d’entreprises ont revisité l’ensemble de leurs processus pour prendre en compte les possibilités actuelles des usages du digital avec leurs clients et en interne.

Quels sont les freins qui subsistent ?

Véronique Di Benedetto : Les freins majeurs sont, outre le manque de ressources financières, la résistance au changement car cette transformation révolutionne au quotidien le fonctionnement externe (offre adaptée à l’expérience client recherchée, réseaux sociaux, innovation ouverte…) et interne (compétences, cadre du travail, fonctionnement en mode projet…). Ce chantier nécessite aussi des formations et des outils digitaux adaptés et une vigilance accrue sur les problématiques de sécurité.

Un grand nombre de petites et moyennes entreprises ont donc peur, outre l’aspect financier, de se lancer dans cette aventure qui questionne fondamentalement la gouvernance, le business model, tous les process et impose «d’embarquer» également tous ses collaborateurs !

Quelles sont les bonnes pratiques à mettre en place ?

Véronique Di Benedetto : Il est important que ces projets de transformation soient portés par les Comex et visibles rapidement avec des actions en interne et en externe. Les directions métiers et les DSI sont impliquées. La mise en place d’un CDO (chief digital officer) ou autre fonction personnalisée du digital a un effet accélérateur certain. Ensuite il faut dans tous les domaines détailler la vision à plus long terme et engager des expérimentations agiles à impact immédiat, autour du client, des partenaires et des collaborateurs.

Quelles sont les autres ressources et compétences clés liées à ces projets ?

Véronique Di Benedetto : Les ressources clés liées à ces projets sont, outre les ressources techniques (développeurs nouvelle génération, designers, experts mobilité, sécurité, analytics…) tous les collaborateurs capables de comprendre et combiner une expertise technologique et les enjeux business, de travailler en mode projet et ouvert sur l’externe. Chacun dans l’entreprise doit se sentir responsable de l’urgence à se mettre en mouvement.

«L’ère du digital, les remises en question des modèles sont bien plus fréquentes»

Pouvez-vous nous présenter l’Acsel et ses missions en quelques mots ?

Laurent Nizri, CEO Altéir Consulting, vice-président de l’Acsel : L’Acsel se veut le hub français de la transformation digitale. Notre mission consiste à créer les conditions du succès de la transformation digitale de l’économie française. Nous avons également pour vocation de donner les moyens aux entreprises de considérer collectivement les opportunités de l’économie numérique et de s’en saisir pour exploiter pleinement l’innovation comme levier de croissance.

Où en sont les entreprises dans leur transition digitale ?

Laurent Nizri : Il n’y a pas de réponse uniforme à cette question. Le numérique ne date pas d’hier, beaucoup d’entreprises ont entamé depuis bien longtemps des projets de transformation avec et par le numérique. D’autres n’en sont qu’à la prise de conscience. Mais pour toutes sans exception, la route est encore longue, car à l’ère du digital, les remises en question des modèles sont bien plus fréquentes.

Quels en sont les impacts métiers, en particulier sur les métiers de la finance ?

Laurent Nizri : Depuis 2011, l’Acsel anime une commission paiement et finance digitale qui réunit chaque trimestre plus de 200 membres autour de 10 à 15 acteurs clés de l’écosystème, banques, fintechs, régulateurs, industriels, etc. En près de cinq ans, nous avons vu les métiers de chacun profondément évoluer avec la digitalisation du secteur. Nous pouvons citer pêle-mêle les impacts suivants :

– une multiplication des acteurs : alors qu’auparavant, nous avions les banques, avec des offres relativement homogènes, aujourd’hui nous sommes face à une myriade de prestataires et partenaires possibles, français comme étranger, de toutes tailles, aux offres aussi diversifiées qu’incomparables ;

– le développement de nombreux nouveaux services, sans historique de référence : SEPA, monnaie électronique, monnaies virtuelles, paiement mobile, cartes prépayées, crowdlending, robot advisors, etc. ;

– une évolution constante du cadre réglementaire : DME1, SEPA, DSP1, DME2, MIFID, DSP2, lutte anti-blanchiment, etc. ;

– un usage sans cesse accru des technologies, à tous les niveaux de la chaîne de valeur ;

– une appréhension de facto plus complexe de la fraude et des risques en général.

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