Un dirigeant qui transmet son entreprise dispose d’un certain nombre de solutions pour assouvir ses visées philanthropiques. Pour les plus engagés, créer une fondation familiale ou actionnariale peut faire sens.
Quand un entrepreneur transmet son entreprise, les modalités doivent toujours être étudiées très en amont, pour trouver la solution optimale. S’il s’agit d’une cession à un tiers, plusieurs dispositifs sont généralement mis en œuvre à cette occasion. Celui dit de l’apport-cession d’abord, si le chef d’entreprise envisage de recréer ou de prendre part dans une nouvelle activité. Celui des donations ensuite, généralement faites aux enfants, pour commencer à préparer sa succession.
La philanthropie peut également s’inviter à la table des négociations. De la même manière que le dirigeant peut donner à ses enfants, il peut aussi, à l’occasion d’une cession, faire un simple don à des œuvres caritatives, ou plus ambitieux, créer son propre véhicule philanthropique. Ces différents dispositifs (apport-cession et donations aux enfants ou aux œuvres) sont cumulables et peuvent se pratiquer à l’occasion d’une même cession d’entreprise. Tous ont des vertus fiscales, qui permettent au chef d’entreprise de baisser sensiblement l’impôt dû sur la plus-value de cession réalisée. «Le sujet de la philanthropie n’est pas systématiquement abordé. Il l’est en revanche quand le chef d’entreprise récupère une très grosse somme d’argent, bien supérieure à ce dont il a besoin pour assurer son train de vie et pour gratifier ses enfants, ou quand il a déjà des prédispositions philanthropiques. Ceux qui pratiquaient le mécénat dans leur PME par exemple y sont plus sensibles, comme ceux qui consacraient déjà une partie de leurs revenus pour servir l’intérêt général», souligne Jean-François Desbuquois, avocat associé et directeur adjoint de la direction technique du département droit du patrimoine chez Fidal.
Et même lorsque l’entreprise transmise n’est pas vendue à un tiers, la création d’une fondation peut faire sens. Deux grands dispositifs peuvent en effet être mis en œuvre, à l’occasion d’une transmission d’entreprise, la fondation familiale ou la fondation actionnaire. «Dans tous les cas, c’est un aller sans retour. Les sommes données le sont définitivement. Le dirigeant ou ses héritiers ne pourront jamais récupérer leur dotation ou les fruits générés par celle-ci», précise Stéphane Couchoux, avocat associé et responsable national du secteur «Fondations, Mécénat & Entreprises» chez Fidal.
Doter une fondation familiale
Le chef d’entreprise peut doter une fondation familiale en lui attribuant une quote-part du prix de cession. «Le terme fondation recouvre à la fois le fonds de dotation, la fondation sous égide et la fondation reconnue d’utilité publique, même si en pratique, les fonds de dotation sont les plus prisés, en raison de leur souplesse de création et d’utilisation», explique Stéphane Couchoux. L’opération permet au chef d’entreprise, porteur d’un projet philanthropique, de créer son propre véhicule pour incarner la cause qu’il a choisi de défendre.
Bien sûr, il faut que le chef d’entreprise ait réfléchi, avant la cession, à l’objet philanthropique qui sera porté par sa fondation : art, aide aux plus démunis, recherche médicale… En termes de timing, il s’agit de créer le véhicule philanthropique avant la cession pour qu’il soit prêt à accueillir la dotation. Par ailleurs, «plutôt que de vendre son entreprise et de doter ensuite sa fondation, il est préférable de faire l’inverse et donner d’abord des titres de son entreprise à sa fondation, qui les cédera dans la foulée pour utiliser le prix de vente à la défense de la cause choisie. C’est important, parce que comme la donation pré-cession purge la plus-value, qui est alors exonérée d’impôt, cela permet, sur la même part de titres apportés, de donner davantage à la fondation», prévient Jean-François Desbuquois. Outre la purge de la plus-value, l’opération comporte d’autres avantages fiscaux. Le chef d’entreprise bénéficie d’une réduction d’impôt sur le revenu égale à 66 % de son apport de titres, dans la limite de 20 % de ses revenus professionnels, mais reportable sur cinq ans. Enfin, la donation de titres à la fondation est également exonérée de droits de mutation à titre gratuit, ce qui, en éludant l’impôt, permet à nouveau de donner davantage à la fondation. Du côté de l’ISF, la valeur de la dotation en titres ouvre droit à réduction seulement si les titres sont cotés et quand il s’agit d’une fondation (avec taxation de la plus-value latente), mais pas quand il s’agit d’un fonds de dotation. Dans tous les cas, ce don sortira de l’assiette de l’ISF du dirigeant.
Créer une fondation actionnaire
Autre solution, beaucoup plus méconnue en France, la transmission de tout ou partie des titres de l’entreprise à une fondation destinée à rester actionnaire, et qui du coup, l’administrera ensuite. «C’est une solution que nous mettons en œuvre beaucoup plus facilement depuis l’avènement des fonds de dotation. Nous structurons une quinzaine d’opérations de ce type tous les ans, contre pas plus de cinq il y a quelques années», fait valoir Stéphane Couchoux. Les enjeux sont de plusieurs ordres. «C’est une manière de pérenniser l’entreprise en sécurisant son actionnariat et en la protégeant des prises de participation non voulues ou hostiles. Nous la conseillons en l’absence d’héritiers ou au contraire pour consolider l’actionnariat familial et souder la famille autour de valeurs communes», poursuit Stéphane Couchoux.
Le fonds de dotation, de son côté, administre l’entreprise et surtout utilise les dividendes pour financer un projet d’intérêt général. Là encore l’opération est irréversible : l’entrepreneur se prive de la possibilité de vendre un jour son entreprise et de jouir des fruits de cette vente. Côté fiscal, les avantages sont identiques à ceux détaillés plus haut : pas d’impôt sur la plus-value des titres donnés, une réduction à l’impôt sur le revenu à hauteur de 66 %, pas de droits de donation à payer et les titres donnés sortent du patrimoine taxable à l’ISF. Fondation familiale ou fondation actionnaire ? Deux sanctuaires fiscaux !
Questions à Stéphane Couchoux, avocat associé et responsable national du secteur «Fondations, Mécénat & Entreprises», Fidal
Spécialiste en droit et fiscalité du mécénat et des fondations, Stéphane Couchoux dirige l’équipe chargée de ces problématiques chez Fidal. Il accompagne les entreprises, les dirigeants et les grands patrimoines dans leur stratégie de mécénat et de déploiement de fondations ou de fonds de dotation, de même que les organismes sans but lucratif sur les plans juridique, fiscal et stratégies de financement privé.
Comment accompagnez-vous vos clients, quand ils ont des projets philanthropiques ?
Nous disposons d’une équipe d’avocats dédiés et d’un processus désormais bien huilé. Nous proposons aux entrepreneurs porteurs de projets deux ateliers participatifs. Le premier, qui dure une demi-journée, est purement technique. Il réunit le client et sa famille, ses conseils habituels (sa banque privée le plus souvent), ainsi que nos avocats spécialistes. L’idée est de bâtir l’architecture de la future fondation et de lister toutes les stratégies patrimoniales, liées à cette opération, qu’il faudra mettre en œuvre.
Un second atelier est ensuite organisé pour aider notre client à déployer sa stratégie philanthropique de manière concrète. Un conseiller spécialisé de mon équipe l’accompagne pour y voir plus clair. Nous le conseillons pour identifier sa cause, préciser les programmes d’action et sélectionner les projets à financer. Ici, il n’est plus vraiment question de stratégie patrimoniale ou de fiscalité, mais bien de stratégie philanthropique et de la manière d’être le plus efficace.
Et une fois qu’il a créé son véhicule philanthropique ?
C’est ce qui fait la richesse de notre approche. Nous offrons un accompagnement et un suivi global, pas seulement juridique et fiscal. Nous proposons, au moins pour la première année de vie de la fondation créée, d’accompagner son déploiement opérationnel. Surtout, nous l’aidons à construire sa gouvernance au sein de son véhicule philanthropique, à repérer les personnes qualifiées qui vont pouvoir siéger au conseil d’administration de sa fondation ou encore à recruter du personnel quand c’est nécessaire.
Nous assistons aussi le fondateur dans la mise en place d’une procédure de sélection et suivi des projets qu’il va financer. Désormais les «phil-entrepreneurs» veulent gérer leur philanthropie comme leur entreprise. Nous nous assurons donc que l’argent versé est bien utilisé, nous mettons en place les outils pour mesurer l’impact de leur action philanthropique, etc. Enfin, nous veillons à transmettre cette expertise aux collaborateurs permanents de la fondation, pour qu’ils puissent voler rapidement de leurs propres ailes.