Après un premier semestre compliqué sur le marché du crédit, Michael Buchanan, le deputy chief investment officer de Western Asset, un gérant d’investissement spécialisé indépendant de Franklin Templeton, estime que les conditions sont réunies pour un scénario nettement plus favorable. A la clé, des rendements élevés et des entreprises aux fondamentaux solides.
En quoi 2022 est-elle une année inédite pour le crédit ?

Le marché des obligations a connu un premier semestre très compliqué, comme en témoigne son indice agrégé, qui a perdu 10 % sur la période. Créé en 1977, il enregistre là le plus mauvais début d’année de son histoire. On a donc observé des rendements négatifs sur le marché au cours du semestre et cela s’explique par deux facteurs. D’une part, les banques centrales, en 2021, ont mésestimé l’impact de l’inflation pensant qu’elle ne serait que transitoire. Le virage effectué dans leur politique monétaire a été très abrupt et difficile à absorber. S’est ajoutée la crainte d’une récession qui pourrait toucher les trois moteurs de l’économie mondiale que sont les Etats-Unis, l’Union européenne et la Chine. Une récession que les banques centrales pourraient avoir du mal à contenir. Désormais, et cela fait son intérêt, le marché du crédit connaît une accélération des écarts de spreads liée à cette crainte accrue des récessions. Le spread de l’indice high yield américain, par exemple, a augmenté de près de 300 points de base au cours des deux premiers trimestres. La combinaison de taux d’intérêt plus élevés et des spreads de taux plus importants a rendu les évaluations du crédit nettement plus attrayantes.
Comment ce changement de contexte est-il perçu par les investisseurs ?
Nous avons assisté à des sorties de capitaux au cours du premier semestre, notamment sur le segment du retail. La perception des investisseurs sur le crédit est cependant en train d’évoluer car ce marché s’affirme comme une opportunité d’investissement dont il faut profiter. Nous avons d’ailleurs commencé à y prendre des positions. Il est vrai qu’entrer parmi les premiers comporte un avantage, car sur un marché peu liquide, les prix ont tendance à évoluer fortement et rapidement. Néanmoins, le spectre d’opportunités qui se présente est très vaste et permet d’entrer à des moments et sur des segments différents, notamment en fonction du profil rendement/risque recherché.
Au-delà du niveau des taux, les fondamentaux justifient-ils aussi ce retour vers le crédit ?
Nous jugeons des opportunités au regard de la valorisation relative des actifs et de critères fondamentaux. Ceux-ci sont actuellement très solides sur le marché occidental : les entreprises ont réussi à abaisser leur niveau d’endettement et à refinancer leur dette, elles ne font donc pas face à des échéances de remboursement menaçantes. Elles présentent également des bilans solides. Quant aux valorisations, elles intègrent déjà la perspective d’une récession, or nous estimons que celle-ci devrait pouvoir être évitée. Nous pensons que ces conditions, avec des rendements potentiels dans une fourchette de 7,5 % à 12 % sur le haut rendement selon le profil de risque de chacun, devraient pousser les investisseurs sur le marché du crédit au cours de cette fin d’année.
Où se trouvent les meilleures opportunités pour se repositionner sur ce marché ?
Le high yield est très intéressant car recèle des opportunités pour tous les profils d’investisseurs, avec des rendements de 10 %, sans avoir besoin d’ailleurs de prendre un niveau de risque élevé. Je pense notamment au high yield américain, qui a un prisme très local, contrairement à l’investment grade, plus exposé à la croissance mondiale. Les Etats-Unis bénéficient de la meilleure visibilité économique, car ils ne sont pas entravés par une politique zéro Covid comme la Chine, ou par la proximité de la guerre en Ukraine, comme l’Europe. Nos portefeuilles high yield ont actuellement un biais sur les Etats-Unis, mais il ne faudrait pas pour autant négliger l’Europe.
Y a-t-il des secteurs à privilégier ?
Sur le high yield, nous apprécions les entreprises de qualité, résistantes en cas de récession, telles l’opérateur de câbles américain Chater Communications. Il dégage un important cash-flow et les commandes sont prévisibles. Sur ce secteur, mais avec un bêta supérieur, on trouve aussi le français Numericable, qui appartient à Altice. Autre société européenne que nous apprécions, le fabricant grec de yaourts Fage. Les secteurs qui rouvrent après la Covid-19, comme l’aérien ou les croisières, sont également intéressants, aussi bien sur les émissions obligataires garanties que non garanties. Sur l’investment grade, nous privilégions le secteur de l’énergie, qui profite d’un faible niveau d’endettement et d’une prédictibilité des revenus. Il y a donc de multiples façons de bénéficier des opportunités qui émergent sur le segment du crédit.