Entretien croisé

Gestion de trésorerie : les fonds monétaires conservent leurs atouts

Publié le 22 novembre 2024 à 11h00

Sandra Sebag    Temps de lecture 12 minutes

La baisse des taux d’intérêt entamée à l’été dernier ne pèse pas sur l’appétit des investisseurs et en particulier des trésoriers pour la classe d’actifs. Le rendement offert devrait rester, de leur point de vue, attractif en 2025, et ce même si les taux à court terme se rapprochent des 2 %. Les gérants adoptent une stratégie dite de « bon père de famille » et n’utilisent pas toutes les marges de manœuvre permises par la réglementation.

Entretien croisé entre Alain Richier, directeur de la gestion monétaire d’Ostrum Asset Management (AM) et Cyril Merkel, président de la commission placements au sein de l’AFTE (Association française des trésoriers d’entreprise).

Quelles sont vos anticipations en matière d’évolution des taux d’intérêt ?

Alain Richier : La Banque centrale européenne (BCE) devrait à nouveau diminuer ses taux directeurs, lors de la prochaine réunion le 12 décembre, de 25 points de base. Les derniers chiffres témoignent d’une convergence du taux d’inflation vers la zone cible de la BCE à savoir 2 %. La croissance économique en zone euro est atone en particulier celle du secteur industriel. Depuis 28 mois, les indices PMI mensuels manufacturiers qui retracent le sentiment des chefs d’entreprise se situent sous la barre des 50 qui fixe la limite entre la croissance et la récession. Les fermetures d’usine en Allemagne se multiplient, notamment dans le secteur automobile. En France aussi, des grands groupes comme Michelin viennent d’annoncer des plans sociaux. En 2025, la BCE devrait donc poursuivre sur sa lancée. Le consensus anticipe jusqu’à quatre baisses de taux d’intérêt au premier semestre. Les taux d’intérêt terminaux devraient se situer à 2 %, d’après les contrats à terme Euribor 3 mois à fin juin 2025 et à fin décembre 2025. Par ailleurs, de nombreux Etats membres de la zone euro dont la France et l’Italie sont surendettés et auraient bien besoin d’une diminution des taux d’intérêt à long terme, ce qui plaide en faveur d’une baisse des taux d’intérêt de la BCE. Ces anticipations ne tiennent cependant pas compte des conséquences d’une éventuelle extension des conflits en Ukraine ou au Moyen-Orient qui pourrait conduire à un renchérissement des matières premières et en particulier du pétrole. La BCE est en effet dépendante des données économiques et pourrait ajuster sa stratégie si les chiffres en matière d’inflation évoluaient. Quoi qu’il en soit, la performance des fonds monétaires suivra celle de l’€STR. Elle devrait donc diminuer au fur et à mesure de la baisse des taux d’intérêt.

Cyril Merkel : Effectivement, les marchés anticipent que le point d’atterrissage des taux d’intérêt devrait se situer à 2 % et qu’il interviendra en 2025. En ce qui concerne la performance des fonds, il faut se rappeler que pendant de nombreuses années, cette dernière était négative. L’€STR a atteint un point bas à – 0,58 % fin 2021. Pour autant, la collecte dans les fonds monétaires est restée positive. La BCE a rapidement augmenté ses taux d’intérêt en 2023, procédant à une dizaine de hausses ; l’€STR est ainsi passé de – 0,58 % à 3,90 %. Aujourd’hui après trois baisses de 25 points de base sur 2024, il ressort à 3,16 %. Ce niveau est largement satisfaisant, sachant que par ailleurs, les gérants peuvent générer dans le cadre des fonds monétaires standards 10 à 15 points de base de performance supplémentaire. Lorsque les taux d’intérêt se situeront à 2 %, un placement liquide, sécurisé et diversifié qui affiche un rendement d’environ 2,15 % est intéressant pour gérer sa trésorerie.

Alain Richier : Il est vrai que par rapport à une rémunération négative, un rendement de 2 % est tout à fait attractif. Cependant, il est également important de comparer le rendement à l’inflation. Nous entrons dans une période où certes l’inflation a diminué, elle est passée de 10 % à 2 %, mais elle risque d’être un peu plus volatile. Elle pourrait par exemple être alimentée par une hausse des prix de l’énergie et augmenter ainsi à nouveau légèrement, poussant la BCE à revoir sa stratégie.

Cyril Merkel : Les trésoriers placent leurs excédents à très court terme en fonction de leurs besoins en fonds de roulement. Ils sont peu sensibles sur ces périodes très courtes aux évolutions minimes en matière d’inflation et ne réaliseront pas d’arbitrage en faveur de fonds plus longs pour essayer de se couvrir contre l’inflation. Nous souhaitons investir sur des supports de placements très liquides et très sécurisés. Les trésoriers s’appuient sur trois critères : la liquidité, la sécurité et le rendement. Pendant longtemps, le rendement n’était pas au rendez-vous, mais il l’est à nouveau. Les fonds monétaires devraient rester attractifs du point de vue du rendement car nous n’anticipons pas du tout que les taux d’intérêt puissent redevenir négatifs.

Comment ont évolué les flux dans les fonds monétaires depuis le début de l’année ?

Cyril Merkel : Selon une étude de l’Autorité des marchés financiers (AMF) sur les fonds monétaires français réalisée entre juin 2022 et juin 2024, les flux dans les fonds monétaires ouverts sont largement positifs. Ils ont atteint fin juin 2024 quelque 469 milliards d’euros. L’étude constate des diminutions de l’encours à certaines périodes qui correspondent par exemple au paiement des dividendes. Les fonds monétaires enregistrent des sorties cycliques, mais au global, les encours progressent. A l’AFTE, nous suivons aussi les 42 fonds majeurs de la place de Paris dont les encours ont largement progressé. Nous constatons que les très grandes maisons ont battu tous les records. Il existe maintenant de nombreux fonds avec des encours supérieurs à 20 milliards d’euros et qui ont conservé les mêmes approches prudentes en matière de gestion.

Quelle est la stratégie d’investissement des fonds monétaires ?

Alain Richier : La gestion monétaire en France est relativement mature. Les grandes sociétés de gestion françaises disposent d’une expertise de longue date dans cette classe d’actifs. Les stratégies d’investissement sont relativement communes entre les grands acteurs. Nous investissons principalement dans les titres émis par les banques et par les entreprises. Dans les fonds monétaires standards, il est possible d’investir dans des obligations à court terme et dans ce domaine, les opportunités ont été nombreuses en 2024. Nous avons été relativement actifs sur ce marché. Nous avons également investi cette année sur des TCN (titres de créances négociables) émis en devises adossés à des swaps de devise afin d’annuler toute exposition au risque de change. En revanche, il existe un segment de marché dont nous restons toujours à l’écart, à savoir les ABCP (asset-backed commercial paper). Depuis la crise financière de 2008, certains investisseurs demeurent en effet toujours réticents vis-à-vis de la titrisation.

Cyril Merkel : En effet, les trésoriers d’entreprise ne souhaitent pas investir dans des fonds qui utilisent des ABCP. La titrisation est toujours un « gros mot » ! Nous essayons à nouveau de faire de la pédagogie autour de ces sujets, mais cela reste délicat. Selon l’étude de l’AMF déjà citée, les fonds monétaires s’inscrivent dans une gestion dite de bon père de famille. Si l’on considère les indicateurs principaux des fonds monétaires à savoir la WAL (weighted average life) qui correspond à la maturité moyenne pondérée des actifs constitutifs du fonds et la WAM (weighted average maturity) qui détermine l’horizon moyen sur lequel le fonds est exposé à un risque de variation des taux d’intérêt, les gérants se situent systématiquement en dessous du niveau des ratios réglementaires. Les WAL ont augmenté légèrement depuis 2022, mais nous sommes encore très loin du maximum autorisé. Idem en ce qui concerne la WAM dont la moyenne est en dessous de 20 jours. Enfin, quasiment tous les fonds vont au-delà du ratio minimum en matière de poche de liquidité, pour faire face aux rachats éventuels.

Alain Richier : Concernant la WAL qui correspond à la mesure du risque de crédit, nous constatons que les fonds monétaires standards se situent généralement sous les 200 jours alors qu’ils peuvent aller jusqu’à un an en vertu de la réglementation européenne MMFR (Money Market Funds). Avant la Covid, certains fonds dépassaient les 200 jours afin d’aller chercher du rendement supplémentaire. Depuis, outre la crise sanitaire, il y a eu le conflit en Ukraine, puis au Proche-Orient, et force est de constater que les gérants monétaires sont incités à une certaine prudence.

Cyril Merkel : Avant la Covid, certains fonds dépassaient en effet les 200 jours pour obtenir un peu plus de rendement avec un surcroît de volatilité associé. A l’époque les gérants se « battaient » pour quelques points de base supplémentaires en diminuant leurs frais. Maintenant avec des rendements positifs, il n’est plus nécessaire d’augmenter l’exposition au risque de crédit.

Alain Richier : Concernant la WAM, pendant la période de hausse des taux d’intérêt, les gérants monétaires se sont logiquement essentiellement portés acquéreurs d’actifs à taux variables, et, par conséquent, celle-ci était très faible. Paradoxalement depuis juin 2024, les WAM n’ont pas franchement augmenté. Les gérants n’ont pas augmenté fortement la proportion de titres à taux fixe, ni leur maturité. Les anticipations en matière de baisse des taux d’intérêt étaient très élevées, ce qui a conduit à une forte inversion de la courbe des taux d’intérêt à court terme. Par conséquent, les taux d’intérêt fixes ont induit un coût de portage à court terme élevé et un risque de valorisation négative si les anticipations étaient prises à revers. Les gérants ont donc adopté également une attitude prudente par rapport au risque de taux d’intérêt. Enfin, concernant les deux ratios de liquidité (à 24 heures et à une semaine), tous les gérants conservent des marges de manœuvre par rapport aux minima réglementaires dans un contexte anxiogène. Les gérants souhaitent conserver beaucoup de cash afin de faire face à des retraits massifs en cas d’événements de marché non anticipés.

Cyril Merkel : Les fonds monétaires cumulent des encours très conséquents, les poches de liquidité sont supérieures aux ratios réglementaires. Les gérants sont de ce fait en capacité de faire face aux rachats éventuels liés à la gestion du besoin en fonds de roulement des entreprises. En mars 2020, pendant la Covid, 55 milliards d’euros sont sortis des fonds monétaires et les gérants ont eu la capacité d’y faire face, sans créer de risques.

Quelles sont les alternatives aux fonds monétaires pour gérer de la trésorerie ?

Cyril Merkel : Les principaux supports pour les trésoriers sont les fonds monétaires. Ils utilisent plus à la marge d’autres produits dits de placements bilantiels qui sont proposés, par exemple, par des courtiers. Citons à ce titre les comptes à terme (taux fixe ou taux variable) ou les comptes courants rémunérés qui permettent de diversifier les supports d’investissement. Ces comptes à terme relèvent comme les fonds monétaires de la notion de cash & cash equivalent car ils prévoient des fenêtres de sorties à 60 ou à 90 jours. Le choix de ces supports dépend des montants à investir. Une grande société peut investir un ticket de 1 milliard d’euros sur un fonds monétaire, mais cela n’est pas possible dans un compte à terme. Il faudrait alors diviser en plusieurs contrats, les démarches administratives étant plus lourdes. Il existe aussi les dépôts à terme (DAT) et les new CP qui relèvent de négociations bilatérales. L’appétit des banques pour proposer ce type de placement est très variable et dépend notamment de la liquidité sur le marché (offerte par la BCE). Il existe aussi les produits structurés qui, peut-être, pourraient se développer avec la baisse des taux d’intérêt, même s’ils ne sont pas cash & cash equivalent. Ces produits concernent plutôt les structures plus petites qui n’ont pas les mêmes contraintes de marché que les grosses entreprises. A l’AFTE, nous ne sommes pas contre ce type de produits, mais le trésorier doit bien les comprendre, pouvoir les analyser, les expliquer, les enregistrer dans son système comptable et suivre leur valeur de marché.

Alain Richier : Les OPCVM sont considérés comme des investisseurs financiers à la différence des entreprises. Les ressources qu’ils permettent aux banques de lever sont soumises à un traitement réglementaire moins favorable que celles obtenues directement auprès des entreprises. Dès lors le rendement offert en direct à une entreprise peut être supérieur à celui offert à un OPCVM. Certaines entreprises sont ainsi régulièrement sollicitées par des banques et se voient offrir des solutions de placements mieux rémunérées que les certificats de dépôts acquis par les OPCVM monétaires.

Allez-vous adapter vos fonds monétaires au nouveau label ISR ?

Alain Richier : Actuellement, tous nos fonds monétaires sont labellisés dans la version antérieure, et nous comptons les adapter au 1er janvier 2025 afin qu’ils bénéficient tous du label nouvelle version. Cependant, année après année, les contraintes de gestion s’accumulent sur les fonds. Outre les contraintes issues du label, nous devons sans cesse intégrer de nouvelles listes d’exclusion telles celles à venir de l’ESMA (régulateur européen) afin de pouvoir conserver divers qualificatifs dans le nom des fonds. Nous sommes attentifs à ces empilements successifs de nouvelles contraintes, même si elles défendent une « bonne cause » car la gestion opérationnelle de nos fonds ne cesse de se complexifier. Nous serions alors peut-être conduits à sortir certains fonds du label.

Ce nouveau label est-il indispensable pour les trésoriers ?

Cyril Merkel : La gestion doit être durable, mais elle nécessite des équipes de plus en plus importantes dans les maisons de gestion et cela peut éventuellement se traduire par un coût supplémentaire. Dans tous les fonds, l’intégration des critères ESG/ISR est déjà systématique.

Chiffres clés Ostrum Asset Management

  • Effectifs dans l’expertise monétaire : 6 gérants travaillant au quotidien avec 22 analystes et 12 gérants crédit
  • Encours dans l’expertise monétaire : + 50 Md€
  • Performance de l’un des fonds phares : €STR + 10 pb, net de frais depuis 1 an (Ostrum SRI Money Plus (I/C : FR0010885236))

A lire aussi

DOSSIER SPÉCIAL

Les 10 sociétés de gestion à suivre

Outre la sélection des 50 sociétés de gestion qui comptent, l’examen des questionnaires reçus cette…

Catherine Rekik FUNDS 27/05/2024

PAROLE D’EXPERT

Investissement durable : l'heure de la convergence

En 2021, Société Générale Securities Services (SGSS) a mené une enquête auprès d’acteurs clés de la…

Société Générale Securities Services (SGSS) FUNDS 27/05/2024

PAROLE D’EXPERT

Premium Private assets : 2024, l’année du PER ?

La France fait partie des pays où le taux d’épargne est le plus élevé, 15 % en moyenne depuis 2000…

Willkie Farr & Gallagher LL FUNDS 27/05/2024

Dossier spécial

Les 50 sociétés de gestion qui comptent - Sélection 2023

Chaque année, Option Finance et Funds Magazine, en partenariat avec Deloitte, sélectionnent 50…

Dossier réalisé par les rédactions d’Option Finance et de Funds Magazine OPTION FINANCE 02/05/2023

L'info asset en continu

Chargement en cours...

Nominations

Voir plus

Dans la même rubrique

Abonnés Pour les gérants, une seule direction en 2025 : cap sur l’Amérique !

La rédaction d’Option Finance a interrogé une petite quarantaine de sociétés de gestion, des...

Gestion assurantielle : la durabilité et les tendances de long terme guident l’investissement

La hausse des taux d’intérêt a conduit les compagnies d’assurance à renforcer leurs investissements...

Abonnés Dette souveraine : les gérants et investisseurs préfèrent l’Europe du Sud à la France

Si les spreads sur la dette souveraine française sont restés relativement stables depuis la...

Voir plus

Chargement en cours...

Chargement…