Depuis le changement d’orientation des banques centrales initié en 2022, le marché des actifs privés traverse une phase de transformation au niveau mondial. Les levées de fonds sont plus difficiles et se concentrent sur des acteurs mondiaux de très grande taille qui dominent le marché. L’Europe se distingue du reste du monde avec un nombre plus grand d’acteurs de petite taille qui se spécialisent sur des segments de niche à valeur ajoutée. De même, en matière de dette privée, les acteurs européens mettent l’accent sur le segment des petites et moyennes capitalisations qui offre de meilleurs rendements et est moins concurrentiel. Les experts réunis par Option Finance dans le cadre du Grand Débat mensuel ont aussi analysé les nouvelles tendances pour 2025. Cette année pourrait sonner le retour de l’intérêt des institutionnels pour l’immobilier alors que le segment de la dette immobilière est déjà plus dynamique depuis quelques mois. Par ailleurs, la recherche de relais de croissance auprès des particuliers devrait être conforté alors que de leur côté les institutionnels soulignent la nécessité de développer des expertises pointues en interne pour analyser les solutions proposées par les gérants.
Les intervenants :
- Nicolas Bonardo, Edmond de Rothschild Asset Management
- Damien Guichard, Allianz Global Investors
- Rafael Torres, Boulet Muzinich
- Joël Prohin, Caisse Des Dépôts
(Photos : DR)
Quelle a été votre politique d'investissement dans les actifs privés en 2024 ?
Joël Prohin, directeur du département de la gestion des placements de la Caisse des Dépôts (CDC) au sein de la direction des gestions d’actifs : Notre positionnement d’investisseur stable et de long terme vaut aussi pour ces classes d’actifs. Nous évitons les politiques de stop-and-go et cherchons à déployer des capitaux de façon régulière dans les actifs privés. Nous déployons tous les ans une enveloppe comprise dans une fourchette entre 1,3 milliard et 1,7 milliard d’euros en dettes privées et en capital-investissement et en infrastructure, sachant que les investissements en capital dans les infrastructures relèvent, à la Caisse des dépôts, prioritairement des participations stratégiques et de la Banque des territoires. Nous favorisons l’enroulement des millésimes dans les fonds que nous sélectionnons avec des engagements réguliers année après année. Nous avons par ailleurs observé en 2024 que les levées de fonds étaient plus difficiles que les années précédentes. L’autre particularité à noter relève de l’émergence forte de nouvelles procédures liées à des opérations de co-investissement dans le capital-investissement et au développement des fonds de continuation – nous avons d’ailleurs participé à quelques opérations en 2024. Or il est nécessaire sur ces derniers de se prononcer sur l’intérêt de ces stratégies. Cela nécessite chez l’investisseur une capacité d’analyse nouvelle afin de pouvoir évaluer non seulement la société de gestion et ses process, mais aussi le sous-jacent concerné par le fonds de continuation avant de prendre une décision. Sur la dette privée, nous avons poursuivi notre programme en mettant l’accent sur la dette immobilière. Nous avons étudié à nouveau ce segment qui est redevenu attractif. Nous avons même lancé fin 2023 avec CDC Investissement Immobilier une activité en direct sur cette classe d’actifs qui a déjà concrétisé plusieurs opérations en 2024. Certaines opérations, auxquelles nous ne pouvons pas avoir accès, en capital ou qui nous paraissent trop chères, deviennent pertinentes via la dette privée avec une analyse bottom-up réalisée par nos équipes expertes sur l’immobilier. Quant à l’immobilier en capital, nous avons observé une situation singulière en 2024 dans la mesure où le nombre de transactions sur le marché a été très faible, mais pour autant, les acteurs considèrent que les points bas en matière de prix ont été atteints, et ils ne sont pas prêts à revoir leur ambition à la baisse. Les expertises sur les valorisations au 31 décembre 2024 vont peut-être contribuer à une prise de conscience des vendeurs de la réalité du marché. Nous sommes tout de même parvenus à augmenter nos investissements avec une politique active amorcée début 2024 avec des programmes d’investissement diversifiés (bureaux, logement, commerce, logistique), ce que nous n’étions parvenus à faire en 2022 et seulement à moitié en 2023.
Comment ont évolué les levées de fonds ?
Nicolas Bonardo, responsable des ventes chez Edmond de Rothschild Asset Management pour la région FraBeLux, couvrant tous les segments de clientèle professionnelle : Il est difficile de dresser des généralités sur le comportement des investisseurs car chacun possède des contraintes spécifiques en termes de taille, de ratio de solvabilité, etc. Nous parvenons tout de même à constater des tendances de moyen terme. En matière de capital-investissement, nous avons le sentiment que les levées de fonds ont été en 2024 de la même veine qu’en 2023. Nos stratégies d’investissement relèvent de convictions fortes qui reposent sur une expertise financière et industrielle bien particulière. Nos cibles sont de petite à moyenne taille et souvent à impact. Nous sommes donc moins sensibles au cycle économique et donc au cycle des levées. Nous n’avons ainsi pas ressenti de ralentissement par rapport à des fonds de plus grande taille. Nous sommes parvenus avec des levées de 300 millions d’euros à tirer notre épingle du jeu. En revanche, sur le segment des infrastructures (en equity comme en dette), nous avons été témoins de cette tendance de façon plus marquée. En matière d’infrastructure, en equity, les investisseurs ont globalement favorisé les grands acteurs, souvent via des réengagements dans une logique où « le gagnant remporte toute la mise » sauf sur des stratégies à très forte valeur ajoutée. Nous distribuons par exemple un fonds spécialisé dans le financement de projets visant à décarboner l’utilisation énergétique des industriels qui a attiré de nombreuses souscriptions, les investisseurs investissant dans ce type de fonds pour diversifier leur allocation. Enfin, sur l’immobilier, j’aurais tendance à considérer que le plus difficile est derrière nous, même s’il faut rester prudent. Les bureaux en périphérie ont souffert avec des tentatives de transformation en habitation qui sont coûteuses. Le résidentiel de qualité, intra-muros bien placé, arrive à se maintenir, de même que les opérations de logistique qui bénéficient d’une tendance positive. Je note aussi que les opérations en matière de dette immobilière ont le vent en poupe. Ce segment est très dynamique car les banques cherchent de manière structurelle à se désengager – remplacées par des fonds et investisseurs accédant à des opérations intéressantes en dette privée immobilière paneuropéenne.
Damien Guichard, responsable de la stratégie European private credit, Allianz Global Investors : La répartition de nos encours sur les marchés privés chez Allianz Global Investors est de 60 % en equity, fonds de fonds et infra equity, et de 40 % en dettes privées corporate et infrastructure. Le dynamisme a été supérieur en 2024 dans les supports de dette que sur l’equity. Cela s’explique peut-être par un effet rattrapage par rapport aux années précédentes où les levées ont été moins soutenues. Nous observons, en ce qui nous concerne, des investissements supérieurs d’un millésime sur l’autre. Notre fonds de dette senior 3 va surpasser le fonds 2 avec un objectif de doublement de taille. Nous constatons aussi des lancements réussis de premiers fonds sur des stratégies de niche. Nous avons ainsi lancé à ce titre un fonds de dette à impact avec un premier closing effectué à 560 millions d’euros. Nous sommes également parvenus à lever 1,5 milliard d’euros sur un fonds de dette privée secondaire alors que nos prévisions étaient plutôt autour de 500 millions d’euros. Les clients veulent continuer à investir sur des stratégies en évitant le stop-and-go et sont ouverts à des stratégies de diversification en dette privée.
Rafael Torres Boulet, co-responsable de la dette privée paneuropéenne chez Muzinich : Notre expertise est concentrée sur la dette privée corporate sur le segment des PME. L’année 2024 en termes de levées a constitué une meilleure année que 2023 qui avait été très difficile. Nous possédons une base d’investisseurs dans toute l’Europe et constatons que les investisseurs institutionnels français sont ceux qui ont affiché le plus d’appétit pour la dette privée. Ils ont été plus actifs que dans d’autres pays européens. Nous avons par ailleurs constaté en 2024 une tendance à ce que les investisseurs se dirigent vers les fonds les plus gros. 50 % des encours levés dans le monde ont concerné une dizaine de fonds ! Cela pénalise les acteurs présents sur des segments de marché inférieurs en taille qui sont paradoxalement les plus actifs et les plus riches en opportunités ; mais aussi certainement les investisseurs, car les conditions de rendement et de risque sur les segments où les flux de capitaux se sont dirigés sont celles où les plus grandes compressions de marge ont été constatées et où il existe le plus de biais sectoriels. Ce segment entre en concurrence avec les marchés cotés comme les prêts syndiqués. En ce qui nous concerne, nous nous efforçons de continuer à travailler avec les investisseurs sur les segments lower/mid caps sur lesquels le couple risque/rendement est attractif. A ce titre, les niveaux de levier sont de l’ordre de 3 fois l’EBE (excédent brut d’exploitation) avec des taux de rendement à échéance autour de 10 à 11 %.
Nicolas Bonardo, responsable des ventes chez Edmond de Rothschild Asset Management pour la région FraBeLux, couvrant tous les segments de clientèle professionnelle
Nicolas a rejoint la société en 2016 après avoir été responsable du développement chez Pléiade Asset Management pour la France, la Suisse et le Luxembourg, et avoir eu des expériences en vente et marketing chez Anaxis Asset Management et Pioneer Investments. Nicolas est diplômé de l’Inseec Business School, avec une spécialisation en finance de marché de l’université de Californie Berkeley et en ingénierie financière à la Sungkyunkwan University (Séoul).
Chiffres clés Edmond de Rothschild Asset Management
- Encours dans les actifs privés : 21 milliards d’euros (à fin juin 2024)
- Effectifs dans les actifs privés : 350 professionnels (à fin juin 2024)
- Levées de fonds en 2024/objectifs pour 2025 : capital-investissement pour les institutionnels : Ginkgo – régénération urbaine ; Private Equity Infra – TIIC ; Trajan – succession managériale pour des sociétés de taille moyenne. En immobilier pour les institutionnels : EIREF – industrie & logistique (en partie déjà levé en 2024) ; RED – dette. Dans les infrastructures pour les institutionnels : stratégie Bridge avec le sixième millésime.
- Philosophie d’investissement en quelques mots : le fil conducteur sur le segment des actifs non cotés consiste à mettre la finance systématiquement au service de l’industrie, pour relever les grands défis de notre temps à savoir répondre aux besoins croissants en énergie et accélérer la transition bas carbone, protéger les écosystèmes et favoriser une gestion efficace des ressources, s’adapter aux dynamiques démographiques ainsi qu’aux enjeux régionaux et internationaux.
Les déploiements des capitaux levés sont-ils plus difficiles ?
Rafael Torres Boulet : Nous disposons d’une stratégie paneuropéenne et constatons un bon niveau d’activité en moyenne sur la zone en termes d’opérations. En revanche, il convient de noter qu’il existe des nuances selon les pays. Certains pays comme la France ou l’Allemagne traversent une période un peu plus compliquée ou incertaine au niveau économique et/ou politique. Nous avons ainsi été un peu moins actifs l’an dernier sur l’Allemagne.
Damien Guichard : Nous souscrivons à l’importance d’investir sur plusieurs marchés car il peut y avoir des variations de conjoncture. L’économie allemande souffre en effet actuellement d’une conjoncture peu favorable. Les transactions sont en retrait depuis plusieurs mois. Le maché aux Pays-Bas est en revanche beaucoup plus actif. Nous constatons ainsi que le marché devient véritablement européen pour les investisseurs. Il est de leur intérêt d’avoir une diversification de leur portefeuille. Plus généralement, les opportunités de déploiement sont toujours importantes car les moteurs de ce marché – et en particulier la réduction des financements octroyés par les banques – sont toujours présents. Par ailleurs, la concurrence des marchés financiers porte sur le segment upper-mid ; en revanche, elle est moins élevée sur le segment low et mid.
Joël Prohin : En matière de déploiement des capitaux, nous sommes attentifs à la cohérence entre ce qui est annoncé par la société de gestion et ce qui est réalisé. Il s’agit d’un élément clé pour décider d’investir ou non dans un nouveau millésime. Cela ne signifie pas pour autant que nous exercions une pression pour accélérer le déploiement d’un fonds. Par ailleurs, nous n’investissons qu’à un maximum de 10 % de l’actif d’un fonds ; nous sommes ainsi attentifs à ce que les levées se passent plutôt bien, quitte à ne pas venir au premier closing, mais au deuxième voire au dernier.
Nicolas Bonardo : La capacité de déploiement et la capacité à lever des capitaux sont très souvent liées pour des fonds qui disposent d’un historique de performance. Les clients analysent les différents millésimes, ce qui a été annoncé et ce qui a été réalisé. En ce qui concerne notre modèle d’affaires, il est orienté sur le segment mid/small. Pour réaliser des transactions de qualité l’an dernier, il nous a fallu apporter davantage que du capital. Dans le cadre de la stratégie Trajan par exemple qui repose sur la transmission/croissance et pour laquelle nous avons comme objectif de lever 250 millions d’euros, la clé du succès repose sur notre capacité à accompagner le cédant et le bon repreneur sur le long terme. Nous proposons un projet de transmission avec une préservation des effectifs et une logique d’impact sur les territoires. Cette stratégie permet de convaincre les chefs d’entreprise. Sur la partie infrastructure, nous avons saisi des opportunités intéressantes sur les thématiques des énergies renouvelables et de la transformation digitale. En matière d’immobilier, nous restons sélectifs et spécialisés. Nous constatons par ailleurs beaucoup d’opportunités dans le domaine de la dette immobilière européenne.
Les institutionnels privilégient-ils la prudence ou la prise de risque ?
Joël Prohin : Nous ne privilégions pas la prise de risque. Prenons le cas de l’immobilier : la conjoncture actuelle nous a permis de nous positionner sur des actifs cœur, de très grande qualité, moins risqués, avec un taux de rendement que nous n’avions pas connu dans les années précédentes. Au mois de décembre dernier, nous avons par exemple acquis 15 % du Forum des Halles, centre commercial qui génère des cash-flows réguliers, une opération très peu risquée. Nous avons aussi poursuivi en 2024 notre recentrage sur des immeubles de bureaux dans le quartier central des affaires (QCA). Nous avons également pu acquérir deux beaux immeubles résidentiels dans l’ancien dans le XVIe arrondissement alors que ce type de biens n’était pas plus disponible depuis de nombreuses années pour les institutionnels. La configuration actuelle nous permet de nous positionner sur des segments très peu risqués et qui offrent un spread intéressant par rapport au taux sans risque. Aujourd’hui, il est possible d’acheter des OAT (obligations assimilables du Trésor) avec un rendement de 3,5 % à 10 ans et avec un coût en fonds propres nul. Quelle que soit la classe d’actifs privées, elle doit afficher un spread intéressant par rapport à l’OAT. Il est aussi important de noter que concernant l’immobilier, certains secteurs ont subi de plein fouet la crise : l’immobilier de bureau qui n’est pas aux derniers standards environnementaux en première ou en deuxième couronne se loue très difficilement et sa valeur devient très faible. La transformation de bureaux en logements n’est pas évidente, et ce pour trois raisons : d’un point de vue technique, elles sont lourdes et coûteuses, les vendeurs n’y trouvent pas forcément leur compte en matière financière, et enfin il est parfois difficile d’obtenir toutes les autorisations administratives.
Damien Guichard : Nous ne constatons pas d’évolution majeure dans l’appétit au risque et le positionnement de nos investisseurs. En matière de dette privée, les supports seniors et unitranche sont privilégiés. En France, les investisseurs institutionnels sont très sophistiqués dans leur réflexion et optent donc souvent pour le panachage de solutions. Ils ajoutent de la diversification au sein de chaque classe d’actifs. Il existe maintenant de très nombreuses options disponibles sur les marchés privés pour les investisseurs institutionnels.
Nicolas Bonardo : Sur la partie dette infra, le véhicule senior a rencontré du succès compte tenu de son faible coût en capital, et de notre capacité à délivrer une prime de 250 points de base au-dessus du spread. Côté immobilier, le repricing opéré en 2024 a recréé des opportunités de marché. Par conséquent, des stratégies telles que core+ et value-added, qui mettent l’accent sur l’achat et la détention ainsi que sur la valorisation des propriétés, devraient probablement regagner en priorité l’attention des investisseurs en 2025. Par ailleurs, il faut bien distinguer les comportements des investisseurs selon la typologie de clients et selon les pays. Au Moyen-Orient, les solutions doivent offrir des rendements supérieurs à 15 %. Nous constatons aussi que les banques privées et les gérants de fortune affichent de l’appétit pour les actifs réels avec un besoin de performance élevé supérieur à celui du monde institutionnel.
Rafael Torres Boulet : En ce qui nous concerne, nos investisseurs affichent plutôt – dans l’environnement actuel – une approche conservatrice. Ils souhaitent que le niveau de levier soit plus faible, même s’il existe des nuances par pays. En France où le marché reste très bancarisé et soumis à une forte concurrence, les niveaux de levier sont un peu plus élevés en moyenne que dans les autres pays européens. Les investisseurs s’intéressent aussi aux secteurs. Ils nous demandent de quelle façon nous nous adaptons à la conjoncture économique. Certains secteurs comme le secteur automobile ou l’industrie qui est dépendante de l’énergie font face à de grandes difficultés. Les investisseurs mettent davantage l’accent sur la protection du portefeuille que sur un rendement additionnel car le rendement offert est déjà très bon. Les taux servis aujourd’hui permettent d’offrir sur de la dette senior le rendement obtenu il y a quelques années sur de la dette junior.
Damien Guichard, responsable de la stratégie European private credit, Allianz Global Investors
Damien Guichard a rejoint Allianz GI en 2013 en tant que gestionnaire de portefeuille, et est depuis 2017 en charge du développement de la stratégie AllianzGI European Private Credit. Il a débuté sa carrière au sein de la division banque d’investissement de Citigroup en 2000, en se concentrant sur les marchés de capitaux et le conseil en notation. Il a ensuite passé sept ans chez Barclays Capital où il a créé et structuré des prêts et des obligations d’entreprises. Damien a ensuite été directeur du business debt advisory chez Oddo (aujourd’hui Oddo-BHF) entre 2009 et 2013.
Allianz Global Investors, chiffres clés
- Encours dans les actifs privés : 94 Md€ (fin septembre 2024) dont 60 % en equity et 40 % en dette uniquement corporate et infrastructure
- Effectifs dans les actifs privés : 170
- Levées de fonds en 2024/ objectifs pour 2025 : en matière de dettes privées : European private credit : senior mid-market, levée bien avancée avec un objectif 1 Md€ ; impact private credit : unitranche mid to low mid-market, levée bien avancée avec un objectif 800 millions ; secondaries : levée finalisée sur private debt secondaries (1st-time fund) à env. 1,5 Md€, infra high yield : premier closing effectué, objectif 1 Md€. Parmi les fonds à venir sur 2025 : Senior Infra Debt & Secondaries II.
- Philosophie d’investissement en quelques mots : recherche de rendement et de diversification (vs. marché public) sur l’ensemble de l’univers infrastructure et corporate ; maîtrise et gestion du risque à travers le risque d’investissement ; forte proposition de valeur ESG, voire impact.
Y a-t-il des secteurs exclus ?
Rafael Torres Boulet : Nous n’investissons pas dans l’immobilier ni sur le secteur bancaire. Dans une optique de prudence, nous sommes peu investis sur les secteurs liés au commerce, nous évitons de façon générale les industries exposées à une certaine volatilité de leurs résultats en lien avec les chaînes d’approvisionnement ou le coût de l’énergie. Nous privilégions a contrario la santé, la pharmacie, les services, la technologie et donc des secteurs avec plus de visibilité. Nous procédons aussi à des exclusions dans le cadre de nos politiques ESG.
Les fonds de continuation constituent-ils la véritable nouveauté de 2024 et quelles sont les précautions à prendre dans ce domaine ?
Joël Prohin : Le marché des fusions et acquisitions a été peu dynamique en 2024 et, de ce fait, les fonds de capital-investissement ont été confrontés à une problématique de liquidité. Différentes solutions, dont les fonds de continuation, ont été imaginées pour obtenir de la liquidité. Ces fonds consistent à sortir une société d’un fonds et à la placer dans un nouveau véhicule en demandant aux investisseurs s’ils souhaitent continuer à la financer. Des fonds secondaires viennent aussi co-investir dans ce fonds de continuation. C’est un moyen de donner de la liquidité à ceux qui souhaitent en avoir et, pour ceux qui investissent dans le fonds de continuation, de profiter d’une valorisation future jugée attractive. Ce mécanisme de liquidité tend à se répandre parallèlement au développement des fonds de fonds secondaires. En ce qui nous concerne, nous sommes actifs sur les fonds secondaires, tout en poursuivant nos investissements dans les fonds primaires. Pour 2025, même si les opérations de fusions et acquisitions redémarrent, ces nouveaux véhicules devraient continuer à se développer. Il s’agit d’une nouvelle méthode de gestion, d’un outil supplémentaire de sortie pour les gérants de fonds de private equity, outre les IPO (dont le nombre est très réduit), les sorties industrielles qui dépendent du marché des fusions et acquisitions et les rachats par un nouveau fonds. D’un point de vue philosophique, ce type de stratégie peut avoir du sens. Entre 2018 et 2022, nous enregistrions entre 20 % et 30 % de sorties annuelles dans nos fonds ; nous étions donc toujours à la recherche de nouveaux millésimes pour maintenir notre exposition au capital-investissement. Nous sommes en train de revenir à un taux de sorties compris entre 10 % et 15 %, qui était celui qui prévalait avant cette période extraordinaire où les taux d’intérêt étaient négatifs et durant laquelle un emballement s’est mis en place autour du capital-investissement. Un investisseur dans un fonds peut accompagner une entreprise durant tout un cycle de développement sur 7 à 9 ans. Pour un investisseur long terme comme la Caisse des Dépôts, cela est pertinent. Cependant, d’un point de vue opérationnel, les fonds de continuation réclament une analyse différente et plus poussée.
Rafael Torres Boulet : Nous avons été sollicités dans le cadre de fonds de continuation en tant que financeur. Nous y mettons une condition : il faut que de nouveaux investisseurs entrent dans le fonds et que les sociétés obtiennent bien des fonds propres supplémentaires.
Joël Prohin : Je partage tout à fait ce point de vue ! S’il n’y a pas de nouveaux entrants, nous pouvons avoir des suspicions quant aux valorisations retenues. La participation d’un fonds de fonds secondaires, surtout si celui-ci dispose d’une expérience et d’un historique de performance, constitue une garantie pour les investisseurs.
Comment évolue le marché ? L’heure est-elle à la concentration autour de quelques acteurs ?
Rafael Torres Boulet : Nous avons en effet constaté une concentration sur de très gros fonds. Cependant, certains investisseurs notamment en Asie réfléchissent à un rééquilibrage de leur portefeuille par segment, par taille de société. Historiquement, ils ont privilégié les grandes capitalisations car ils avaient la perception que ce pan du marché était moins risqué. Mais aujourd’hui, nous nous apercevons que ce marché est très compétitif, les marges se compriment. Les investisseurs cherchent de ce fait à diversifier leur portefeuille en termes de classes d’actifs et de segments au sein des classes d’actifs. Nous constatons cela dans nos discussions avec les investisseurs. Il est très difficile en dette privée de comparer les sociétés de gestion car l’investissement dépend de nombreux paramètres. Deux sociétés de gestion peuvent procéder à du direct lending ou à de l'unitranche, tout en affichant de très grosses différences dans les process. Il est possible cependant d’analyser la répartition géographique des investissements, les biais sectoriels, le niveau de levier, le type de transactions financiers, etc. afin de comparer et de construire une allocation diversifiée. En ce qui nous concerne par exemple, nous sommes concentrés sur les entreprises qui procèdent à des acquisitions pour se développer et cherchent à changer d’échelle. Nos interlocuteurs n’ont pas pour objectif de maximiser le levier, mais d’avoir de la flexibilité pour se développer. Du côté des sociétés de gestion, chacune cherche sa place et/ou son activité de niche et ainsi à mettre en avant une caractéristique qui permet de la différencier.
Damien Guichard : Nous observons dans le marché un phénomène de concentration sur une poignée de méga-fonds anglo-saxons, ce qui constitue un challenge pour les sociétés de gestion européennes dans la mesure où le principal marché sur la dette privée est américain. Comment rester pertinent face à ces acteurs ? Cette nécessité amène les sociétés de gestion européennes à essayer de diversifier leurs offres au-delà des stratégies classiques seniors, unitranches, etc. Nous entrons dans une nouvelle phase de la dette privée en Europe avec davantage d’innovations. Le marché des fonds secondaires se développe, celui des fonds à impact ou du trade finance aussi. Plus fondamentalement, ces innovations mettent en lumière le véritable potentiel de la dette privée. Cette dernière relève davantage d’une approche sur mesure et peut adresser une multitude de situations à l’inverse des marchés publics qui sont davantage standardisés. D’ailleurs, le segment de la dette privée le plus challengé par les marchés financiers en 2024 est celui des grandes capitalisations.
Nicolas Bonardo : Selon les chiffres publiés par Preqin, en 2019, les six plus grandes sociétés de gestion spécialisées dans les marchés privés capturaient 22 % des flux, en 2023, le chiffre passe à 43 % et en 2024 à 60 % ! La tendance à la concentration est très rapide, mais elle concerne particulièrement le continent nord-américain, l’Asie et le Moyen-Orient. En Europe, la situation est un peu différente car les tickets moyens y sont inférieurs. Je suis cependant convaincu qu’il y aura toujours de la place pour les gérants créateurs de valeur, et qui proposeront un excellent service clients. L’ingéniosité des sociétés de gestion est également importante. Elle porte par exemple sur l’alignement du « carried interest » sur certains KPI (indicateurs de performance) d’impact. La différenciation peut ainsi se faire à plusieurs égards. En matière d’immobilier, la concentration est un peu moins forte, selon les données de Preqin, les 10 plus gros acteurs capturent 40 % des flux d’investissement mondiaux et les 40 suivantes représentaient 20 % des flux en 2023, puis 25 % des flux en 2024. Les 50 plus gros captent ainsi 60 % des flux. Il est donc important, ici aussi, d’axer la différenciation sur la spécialisation de l’offre, la qualité de l’investissement responsable sans oublier l’expérience client, la qualité des reportings, la digitalisation de l’information, etc.
Pour 2025 quelles sont les premières tendances observées ?
Joël Prohin : Nous sommes en train d’élaborer notre feuille de route pour 2025, globalement dans la continuité de 2024, tout en faisant face à de nombreuses interrogations. En matière d’immobilier par exemple, comment les prix vont-ils évoluer ? La hausse actuelle des taux d’intérêt dans l’ensemble des économies développées rebat quelques cartes. Certes, l’écart de taux d’intérêt avec l’Allemagne a augmenté depuis la dissolution de l’Assemblée nationale annoncée au mois de juin dernier et se situe maintenant autour de 80 à 90 points de base, mais l’effet majeur est la hausse des taux d’intérêt à long terme en zone euro, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne… Si l’écart de taux d’intérêt entre la France et l’Allemagne s’est stabilisé ces dernières semaines, en revanche, la trajectoire globale des taux d’intérêt ne l’est pas du tout. Dans cette perspective, que vont faire les vendeurs en immobilier cœur ? Vont-ils considérer que ce mouvement est passager et attendre que les taux d’intérêt diminuent ou vont-ils accepter des baisses de prix afin de maintenir un écart acceptable entre le taux sans risque et le rendement d’un immeuble ? Par rapport au capital-investissement, notre interrogation concerne l’évolution du marché des fusions et acquisitions : celles-ci vont-elles accélérer ou se situeront-elles dans la continuité des deux dernières années ? La réponse à cette question est importante, car si les fusions et acquisitions restent peu nombreuses, nous nous situerons dans la même problématique que 2024, avec la nécessité de s’appuyer sur des fonds de continuation pour permettre des sorties. Sur la dette privée, la concurrence des marchés financiers pourrait être moins pressante qu’en 2024, année record d’émissions de crédit. Nous serons toujours attentifs à diversifier notre politique d’investissement entre les différents types de fonds. Nous sommes très peu présents auprès des méga-fonds de private equity car nous estimons qu’il existe un risque plus important sur ce segment en termes de sorties. Nous préférons investir sur le mid-market qui nous semble plus flexible dans un contexte où l’incertitude pour la sortie devrait continuer à être importante. Nous allons aussi rechercher dans ce cadre un équilibre entre les approches sectorielles et les approches généralistes. Nous constatons un développement sur le marché d’approches sectorielles avec des spécialistes dédiés. Les fonds qui possèdent une expertise donnée – souvent sur la santé ou la tech – ont généré ces dernières années des performances meilleures que les fonds généralistes. Nous avons ainsi eu tendance à privilégier ce type d’acteurs, même si nous sommes encore présents auprès de généralistes performants.
Rafael Torres Boulet, co-responsable de la dette privée paneuropéenne chez Muzinich
Rafael est co-responsable de l’activité de dette privée en Europe chez Muzinich & Co. Avant de rejoindre Muzinich, Rafael était associé chez Hutton Collins Partners LLP, une société d’investissement en dette subordonnée/actions privilégiées de 1,4 milliard d’euros à travers l’Europe. Auparavant, Rafael a occupé plusieurs postes dans l’investissement, les prêts et les crédits sur le mid-market, dont deux ans chez Mercapital, une société de capital-investissement en Espagne, et cinq ans chez Merrill Lynch. Il a débuté sa carrière chez Chase Manhattan Bank à Madrid. Rafael est diplômé d’ICADE en Espagne et du groupe ESC Reims en France avec un B.A. en administration des affaires européennes.
Muzinich données clés
- Encours dans les actifs privés : 5,3 milliards d’euros à travers l’ensemble des stratégies de dette privée, dont 1,8 milliard d’euros sur la stratégie dette privée paneuropéenne (chiffres à fin décembre 24).
- Effectifs dans les actifs privés : 50 professionnels de l’investissement répartis dans 12 bureaux en Europe, aux Etats-Unis et en Asie-Pacifique. En Europe, les équipes locales comprennent 30 professionnels d’investissement, réparties dans sept pays européens.
- Levées de fonds en 2024/objectifs pour 2025 : levée de fonds en cours pour le troisième millésime de la stratégie de dette privée paneuropéenne de Muzinich.
- Philosophie d’investissement en quelques mots : la plateforme de dette privée, lancée en 2014, se concentre sur le lower middle-market (entreprises dont l’Ebitda est compris entre 5 et 25 millions d’euros) et principalement sur les dettes senior secured. La société de gestion gère des stratégies unitranches, où elle est le seul ou le principal prêteur, des stratégies de parallel lending où elle prête pari passu aux côtés d’une banque, ainsi que des stratégies dites capital solutions où elle offre un financement flexible à des entreprises fondamentalement saines confrontées à des tensions temporaires sur leur bilan. La philosophie d’investissement repose sur la diversification sectorielle et géographique, favorisée par les équipes locales et le contrôle du risque notamment via la limitation des leviers.
Sur l’immobilier, continuez-vous à investir dans les actifs de diversification comme la logistique ?
Joël Prohin : La logistique a été l’un des grands gagnants de l’année 2024. Nous sommes présents depuis de nombreuses années sur cette thématique de façon intermédiée, et nous investissons depuis deux ans en direct sur ce segment (en capital ou en dette), avec plusieurs belles opérations en France et en Europe. Nous considérons que ce type d’actifs possède encore un potentiel intéressant. Cependant, nous ne nous limitons pas à la logistique. Nous avons investi à nouveau sur le commerce, un secteur que nous avions déserté ces dernières années car l’émergence de l’e-commerce et la crise sanitaire nous avaient rendus prudents. Il nous semble que cette classe d’actifs a évolué. Nous pouvons trouver, dans les meilleurs emplacements, des business plans qui nous semblent consistants.
Nicolas Bonardo : Aujourd’hui, les actifs privés affichent un encours sous gestion au niveau mondial de 13 billions de dollars (selon BlackRock) qui prévoient une croissance élevée d’ici 2030 pour atteindre 20 billions. Si ces chiffres peuvent être contestés, il n’en demeure pas moins que les actifs privés devraient continuer à croître fortement dans les prochaines années. Nous pensons que les levées de fonds devraient ainsi être soutenues auprès des investisseurs institutionnels, mais pas seulement. Les particuliers, la gestion privée ou encore la gestion de fortune investissent de plus en plus dans ces classes d’actifs. Cela est le cas aux Etats-Unis où les particuliers consacrent une part déjà importante de leurs investissements aux actifs privés et cette tendance devrait aussi se développer en Europe. Sur l’immobilier, nous estimons que la logistique bénéficie d’une tendance de long terme favorable. De même, nous pensons que les levées de fonds sur ce secteur devraient continuer à croître à un rythme soutenu, comme l’indiquent les nombreuses due diligences menées par des investisseurs attentifs à la bonne fenêtre d’opportunité.
Rafael Torres Boulet : Nous allons poursuivre notre stratégie en étant attentifs aux secteurs. Nous collaborons beaucoup avec des fonds de capital-investissement spécialisés par secteur. Le deuxième grand sujet sur lequel nous travaillons concerne la création de fonds semi-liquides à l’intention d’une clientèle de particuliers. Nous allons lancer un fonds Eltif 2.0 sur la dette privée qui devrait être approuvé prochainement par la CSSF (Commission de surveillance des marchés financiers) au Luxembourg. Il s’agit d’un produit de dette privée avec des fenêtres de souscription et de sorties mensuelles. Ce programme devrait voir le jour au premier trimestre de cette année. Nous avons beaucoup d’ambitions sur celui-ci car la demande est forte chez les distributeurs européens.
Damien Guichard : Sur 2025, nous considérons que les levées de fonds sur les marchés privés devraient continuer à croître et s’inscrivent dans une tendance à long terme. Les forces structurelles comme la désintermédiation qui tirent la croissance de ces marchés sont toujours d’actualité. De plus, ces actifs sont résilients. La dette privée par exemple a réussi à passer différentes phases de marché et différentes crises comme le Brexit, la crise sanitaire ou encore la remontée des taux d’intérêt. Qui plus est, 2025 devrait être celle du développement des fonds Eltif 2.0 en Europe et du développement de la clientèle des particuliers sur ces classes d’actifs. Les régulateurs sont plutôt favorables à l’accès des particuliers à ces actifs, même s’ils sont vigilants. Les actifs privés contribuent au financement des entreprises et sont donc positifs pour la stabilité des économies. Nous avons lancé en 2024 un fonds Eltif sur les infrastructures à destination des particuliers. Les initiatives se multiplient dans ce domaine.
Quelles sont précautions à prendre pour la clientèle des particuliers ?
Nicolas Bonardo : La démocratisation des actifs privés est une tendance de fond. Il faut faire preuve de prudence vis-à-vis des particuliers compte tenu du caractère illiquide de ces classes d’actifs. Elles peuvent ainsi ne pas être bien comprises et ne pas toujours être compatibles avec les attentes des investisseurs privés. Nous devons faire preuve de vigilance dans la constitution de ces véhicules afin qu’ils répondent au besoin de diversification de l’épargne, mais aussi pour financer l’économie réelle. La pédagogie, la communication seront déterminantes pour transformer cette tendance en succès. En ce qui nous concerne, nous avons lancé un FCPR (fonds de capital à risque) en capital-investissement et nous sommes en train de travailler sur un fonds Eltif dans le cadre d’une distribution plus européenne. Nous souhaitons absolument soigner la communication. Celle-ci doit être claire et doit bien faire comprendre les avantages et les inconvénients de ce type d’actifs.
Joël Prohin, directeur du département de la gestion des placements de la Caisse des Dépôts (CDC) au sein de la direction des gestions d’actifs
Joël est responsable de portefeuilles d’une valeur de 320 Md€, investis en instruments de taux, actions, immobilier, non-coté (capital-investissement et dette privée) et forêts, gérés pour l’essentiel en interne. Il encadre six équipes de gérants (105 personnes au total). Il est aussi le représentant de la CDC au comité stratégique de l’Association française des investisseurs institutionnels (Af2i) et il préside la commission investissement responsable de cette association. Avant de rejoindre la CDC en 2011, Joël était directeur de la politique des investissements d’Allianz France. Il a travaillé auparavant dans la gestion actif-passif, à la fois dans l’assurance (AGF-Allianz) et dans la banque (Crédit National). Joël est diplômé de l’Ensae (Ecole nationale de la statistique et de l’administration économique), promotion 1988, et titulaire d’un DEA de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne.
CDC données clés à fin 2024
- Effectifs actifs privés : 51 dont 32 gérants/analystes
- Encours actifs privés : 16 Md€ dont 9 Md€ gérés en direct (immobilier, forêts) et 7 Md€ gérés via des fonds (PE, dette privée, dette d’infrastructures)
- Philosophie d’investissement en quelques mots clés : gestion directe/internalisée, long terme, 100 % ESG, leader d’initiatives de place, animateur de communautés de marché.
Ces actifs ont-ils aussi leur place dans les dispositifs d’épargne d’entreprise et d’épargne retraite ?
Nicolas Bonardo : L’épargne retraite constitue une enveloppe naturelle pour les actifs non cotés, étant investie sur des périodes longues. Il existe une adéquation de temps entre les plans d’épargne retraite et les actifs réels qui devrait nous pousser à nous développer sur ce segment. Pour autant, si les solutions sont bien construites, elles peuvent être intégrées dans l’ensemble des enveloppes d’investissement proposées par les assureurs.
L’Autorité des marchés financiers (AMF) a publié une étude le 13 janvier sur la performance des fonds d’actifs financiers non cotés destinés à des clients non professionnels et pointe une forte hétérogénéité en la matière ainsi que des frais élevés. Cette
Joël Prohin : Les frais de gestion restent toujours un point d’attention. Il est vrai que les pratiques en la matière divergent par rapport à la tendance générale à la réduction des frais de gestion sur les valeurs mobilières cotées. Les frais dans les actifs privés sont ancrés dans une logique avec 2 % de frais de gestion + 20 % de la surperformance (carried interest). Les gros investisseurs parviennent cependant à obtenir des réductions de la part de leurs gérants et c’est peut-être là que réside la tendance à la concentration des fonds. Il est possible pour un investisseur qui dépose un gros ticket d’investissement de négocier en bilatéral les frais avec le fonds. Nous maintenons notre rigueur : il nous arrive de refuser des propositions si nous considérons que les frais ne sont pas raisonnables ou qu’il existe trop de frais cachés. Mais les investisseurs institutionnels sont divisés sur ce sujet, ce qui ne permet pas d’imposer des changements aux gros fonds d’investissement.
Nicolas Bonardo : La RIS (retail investment strategy), avec l’instauration du concept de « value for money » qui impose que les frais de gestion soient en ligne avec la performance des gérants, devrait permettre un contrôle des frais ou du moins limiter les abus. Les FCPR ont vocation à entrer dans les contrats d’assurance vie ; ainsi, leur politique de frais sera analysée au regard de ce règlement. Il ne faut cependant pas négliger le coût de gestion et de distribution de ce type de solution d’investissement. La communication doit être très régulière, les valorisations doivent être auditées régulièrement, le rythme d’investissement doit être dynamique, etc.
Rafael Torres Boulet : En ce qui concerne les marchés privés et la clientèle institutionnelle, nous constatons certes une forte tendance à proposer des conditions favorables pour des gros montants, mais en même temps la concurrence pour avoir accès à ces investisseurs pousse les sociétés de gestion à être raisonnables. De plus, la situation est assez différente en matière de dettes privées et de capital-investissement. Dans le premier cas, il n’y a pas eu d’emballement des frais de gestion, ni de différences marquantes entre les rendements bruts et les rendements nets. Dans le monde retail, la vigilance sera grande en matière de frais.
Damien Guichard : Dans le monde retail en effet, nous dialoguons avec les distributeurs et avec les institutions en charge de la protection des épargnants pour éviter les dérapages. Les acteurs ont intérêt à ce qu’il n’y ait pas de méventes.