Grands Débats GESTION INSTITUTIONNELLE

Les ETF sont devenus incontournables pour la clientèle institutionnelle

Publié le 21 février 2025 à 14h00

Sandra Sebag    Temps de lecture 14 minutes

Collecte 2024, perspectives 2025, transformation des ETF ESG, différences entre les marchés américains et européens, Lorraine Sereyjol-Garros, responsable du développement de l’activité ETF et indicielle de BNP Paribas, et Philippe Malaise, directeur général de Trackinsight, nous éclairent dans un entretien croisé sur les grandes tendances du marché des ETF.

Les intervenants :

  • Lorraine Sereyjol-Garros, responsable mondial du développement ETF & solutions indicielles de BNP Paribas Asset Management
  • Philippe Malaise, directeur général et co-fondateur de Trackinsight

Comment a évolué la collecte en 2024 ?

Lorraine Sereyjol-Garros : L’an dernier a été encore une année record en termes de collecte. Sur les fonds ETF UCITS, les flux se sont orientés majoritairement vers les actions et en particulier vers les actions américaines. Sont concernés à 70 % les grands indices traditionnels, vers des ETF qui répliquent le S&P 500. Nous avons aussi constaté un recul de la part des investissements dans les ETF ESG1. Ils sont passés de 30 % des flux en 2023 dans les fonds articles 8 et 9 à 17 % en 2024 alors que les ETF ESG représentent près de 25 % des encours sous gestion. Nous constatons par ailleurs des réallocations sur ces produits en faveur de ceux dont les écarts de performance vis-à-vis des grands indices traditionnels sont les plus faibles. Certains indices ESG peuvent être très sélectifs, avec de forts biais qui potentiellement peuvent pénaliser leur performance et intéressent de ce fait moins les investisseurs. Enfin, nous avons observé un développement des ETF actifs, notamment sur le segment action avec 13 milliards de flux en 2024 soit 7 % des flux alors qu’ils ne représentent que 3 % des encours sous gestion.

Philippe Malaise : Nous constatons de grandes divergences entre l’Europe et les Etats-Unis, même si des deux côtés de l’Atlantique les records de collecte concernent surtout les actions américaines. Au niveau mondial, la collecte a été supérieure à 1 500 milliards de dollars dont plus de 1 000 milliards ont porté sur les actions, sachant que les trois quarts de ces 1 000 milliards correspondent aux actions américaines. Les ETF obligataires ont globalement collecté quelque 400 milliards de dollars. Les ETF cryptos ont aussi très bien fonctionné, en collectant 80 milliards de dollars et en réalisant une performance moyenne de 92 % en 2024. Plus généralement, l’écrasante majorité des flux ont été vers des produits non-ESG. Les flux ESG concernant essentiellement l’Europe.

Lorraine Sereyjol-Garros : Nous constatons une meilleure résistance de la collecte sur les ETF ESG avec des sous-jacents obligataires par rapport aux actions car ces derniers affichent des écarts de performance (tracking errors) faibles par rapport aux indices traditionnels. Depuis le début de l’année, près de la moitié des flux vers les ETF obligataires concernent des produits ESG alors que sur les actions, la part est de l’ordre de 15 %.

La possibilité offerte par plusieurs pays européens de limiter la transparence sur les ETF actifs a-t-elle contribué à leur croissance ?

Lorraine Sereyjol-Garros : En Europe, la demande des investisseurs en matière d’ETF actifs porte principalement sur une création d’alpha (ou de valeur) limitée. Il s’agit essentiellement de fonds quantitatifs qui sont tout à fait gérables avec des règles fortes en matière de transparence. Aux Etats-Unis aussi, ou les ETF non transparents sont autorisés depuis une dizaine d’années pourtant, ils ne représentent qu’une part marginale du marché des ETF actifs, de l’ordre de 2 % des encours sous gestion. Les investisseurs semblent attachés à l’aspect transparence sur le marché des ETF.

Quelles sont les due diligences à mener avant de sélectionner des ETF ?

Lorraine Sereyjol-Garros : Elles sont proches de celles qui sont menées sur l’ensemble des fonds. Les clients institutionnels s’intéressent d’abord à l’indice de référence sélectionné. Ils effectuent également une due diligence sur la société de gestion et particulièrement sur la gestion du risque par les équipes et leur capacité à répliquer l’indice avec la tracking error la plus faible. De nombreuses questions concernent ce sujet, mais aussi les encours globaux de la société de gestion et de la stratégie répliquée. Ils s’intéressent aussi à la juridiction de la Sicav et bien évidemment aux frais. Ils vont aussi prendre en compte la « tracking difference », c’est-à-dire la surperformance ou sous-performance par rapport à l’indice répliqué. Certaines méthodologies permettent de délivrer un léger surplus de performance notamment dans le cadre des approches synthétiques. C’est le cas par exemple sur les stratégies synthétiques sur le S&P 500 qui peuvent battre l’indice avec dividendes réinvestis. La liquidité de l’ETF et l’écart entre les prix d’achat et les prix de vente est également un sujet de préoccupation : plus ce dernier est réduit, plus le prix de transaction sera proche de la valeur liquidative estimée, ce qui constitue un avantage pour les investisseurs. Les clients institutionnels aiment aussi connaître le passif, même si nous ne pouvons pas avoir une visibilité totale sur celui-ci car les ETF sont traités en Bourse et il est difficile d’avoir une vue complète des porteurs.

Philippe Malaise : L’ETF étant un fonds, il doit répondre aux mêmes exigences de due diligence qu’un fonds traditionnel ou un hedge fund. Pourtant, de nombreux institutionnels le perçoivent encore comme un simple réplicateur d’indice et négligent cette obligation.

Comment les droits de vote sont-ils exercés par les émetteurs ?

Lorraine Sereyjol-Garros : Les investisseurs imaginent souvent que dans la gestion passive, les gérants n’appliquent pas de politique en matière de droit de vote alors qu’a contrario les fournisseurs d’ETF peuvent être plus actifs dans ce domaine. Les gérants actifs exercent leurs droits de vote uniquement sur les titres qu’ils ont en portefeuille et peuvent les céder si la stratégie de durabilité de la société ne leur convient plus. A contrario, les gérants d’ETF sont contraints par les indices et doivent investir dans les titres qui les composent, ils agissent alors par le biais du vote en assemblée générale et par l’engagement sur les stratégies des entreprises si elles ne respectent pas leurs critères extra-financiers. Chez BNP Paribas Asset Management, nous possédons une équipe dédiée au développement durable qui intervient à la fois pour les gestions passives et pour les gestions actives. Par ailleurs, sur certains ETF, en particulier les ETF thématiques comme celui sur l’eau et les océans, nous publions des rapports d’engagement et extra-financiers.

Philippe Malaise : Cette dimension est très importante pour les investisseurs institutionnels européens, et notamment les caisses de pension. Les fournisseurs d’ETF doivent être transparents sur leur stratégie et leur performance de vote. Par ailleurs, en matière d’ESG, l’investisseur peut aussi parfois s’interroger sur la pertinence de réaliser une politique de prêt de titres qui, certes, apporte un supplément de rendement, mais rend aussi plus difficile l’exercice des droits de vote.

Lorraine Sereyjol-Garros : Nous ne pratiquons pas le prêt/emprunt de titres pour cette raison, notre gamme est ESG à 80 % et notre clientèle institutionnelle s’oppose à ce type de stratégie sur les produits article 8 et article 9 SFDR2, même si selon les années et les stratégies, la performance peut être, à la marge, affectée par ce choix.

De quelle façon, les institutionnels utilisent-ils les ETF obligataires ?

Lorraine Sereyjol-Garros : Traditionnellement, les assureurs géraient leur portefeuille obligataire en ligne à ligne, et ce notamment parce qu’ils sont assujettis à une comptabilité spécifique au coût historique alors que les ETF et les fonds ouverts sont valorisés en prix de marché. Mais ils ont aussi besoin de diversifier et d’investir au-delà de la dette souveraine en euro. Sur des classes d’actifs plus périphériques dans leur allocation comme la dette d’entreprise à haut rendement ou encore la dette émergente, ils ont pris l’habitude de s’y exposer via des ETF. Ces produits ayant bien résisté durant les phases de crise de marché, lors de la crise sanitaire par exemple, et affichant une bonne liquidité en toute circonstance, ils ont développé des programmes d’investissement plus larges. Cette propriété ainsi que la capacité des ETF à donner un prix de marché instantané à un portefeuille obligataire les a en effet convaincus d’investir davantage dans des ETF, et ce quel que soit le sous-jacent obligataire. En Europe, tous les grands institutionnels comme les assureurs, les banques centrales ou les caisses de retraite ont augmenté leurs investissements dans les ETF obligataires. Rappelons aussi que les ETF obligataires affichent des frais attractifs et permettent de « verdir » les portefeuilles.

Philippe Malaise : Le marché des ETF obligataires a aussi fortement progressé au niveau des encours. Il est à noter que toutes les poches d’actifs ont collecté en 2024, y compris les obligations à haut rendement, qui ont d’ailleurs généré les performances les plus élevées. A comparer avec l’emprunt d’Etat américain à 10 ans dont la valeur a baissé l’année dernière, son rendement ayant augmenté de 70 points de base.

L’utilisation des mêmes indices par les fournisseurs d’ETF n’induit-elle pas un risque de concentration ?

Lorraine Sereyjol-Garros : Sur les obligations, les principaux indices sont ceux de Bloomberg (anciennement Barclays) et de JP Morgan et sont très diversifiés. Ils sont également utilisés comme indices de référence par les gérants actifs et pas uniquement par les gérants indiciels. Du côté des actions, sur le S&P 500, ce sont les sept magnifiques qui dominent l’indice et expliquent la performance en 2024. D’ailleurs, les gérants actifs sont également investis sur ces valeurs pour pouvoir délivrer de la performance. La politique d’investissement des institutionnels est également benchmarkée par rapport aux grands indices. Cela les encourage à rechercher des produits avec des profils rendement/risques proches de ces indices. De plus, il existe plus de 2 100 ETF sur le marché UCITS. Les fournisseurs d’ETF proposent donc beaucoup d’alternatives aux indices traditionnels pour les investisseurs qui souhaiteraient s’orienter vers des produits moins concentrés. Par conséquent, les investisseurs institutionnels comme les gérants participent à cette concentration.

Philippe Malaise : La concentration des indices constitue un défi pour l’ensemble des gestions indicielles. Mais il existe aussi des indices équipondérés ou mettant en œuvre des mécanismes de plafonnement, avec à la clé des écarts de rendement qui peuvent être très importants par rapport aux indices traditionnels pondérés par les capitalisations. Il est donc indispensable de bien analyser la façon dont les indices sont construits afin de déterminer leurs expositions précises aux actifs sous-jacents ainsi que les biais sectoriels, géographiques, ou de style potentiels qui en résultent. L’analyse factorielle peut aussi affiner la gestion du risque sur des aspects de concentration qui n’auraient pas été identifiés par ailleurs. Ce niveau d’analyse est d’ailleurs au cœur du partenariat que Trackinsight a développé avec Scientific Portfolio, une venture EDHEC.

Faut-il craindre une diminution durable des encours dans les ETF ESG et climat ?

Lorraine Sereyjol-Garros : Pas en Europe où les enjeux ESG et climatiques sont toujours au cœur des approches de nos clients institutionnels. En matière d’ESG et de climat, les indices utilisés ont évolué ces dernières années pour répondre aux besoins des clients de diversifier les opportunités d’investissement. Nous constatons un fort engouement pour les produits ESG et climat avec de faibles tracking errors par rapport aux indices mainstream. Nous avons par exemple des ETF ESG indiciels avec un écart de performance minime par rapport aux indices traditionnels et ces produits sont favorisés par les investisseurs. L’an dernier, nous avons lancé des fonds articles 8 et 9 SFDR avec une gestion active en matière d’ESG. Nous répliquons le bêta du marché en appliquant notre propre méthodologie ESG et cette gestion active nous permet par exemple de nous adapter rapidement à des changements réglementaires ou de labels, ou encore à des controverses.

Quel est l’impact du nouveau label ISR ?

Lorraine Sereyjol-Garros : Nous avons une gamme labellisée très large, nous possédons les labels français, belge, allemand et autrichien. En ce qui concerne le label belge qui a été revu en 2024, nous l’avons conservé pour l’ensemble de nos fonds déjà labellisés. Pour le label français qui a été modifié à la fin de l’année dernière, nous l’avons conservé pour nos ETF qui appliquent une forte sélectivité ESG comme ceux qui sont alignés sur les accords de Paris. En revanche, pour les ETF dont le principal objectif est de répliquer au plus près possible la performance de l’indice traditionnel, nous avons décidé de ne pas maintenir le label puisque ses nouvelles exigences entraînaient une augmentation de la tracking error.

Quelles sont les dernières innovations en matière d’ETF ?

Philippe Malaise : Les exemples d’innovation sont très nombreux. Sur les dernières années, on peut notamment citer les ETF à options qui s’appuient sur des dérivés pour augmenter les rendements et/ou réduire le risque, et les ETF obligataires à maturité unique. Plus récemment, on peut aussi souligner l’émergence d’ETF megacaps qui permettent d’avoir une exposition plus concentrée aux géants de Wall Street, ceux qu’on appelle aujourd’hui les « Magnificent Seven ». Et enfin, il est intéressant de mentionner le fait que l’hypercroissance des ETF actifs attire de plus en plus de gérants de fonds traditionnels et les pousse à franchir le pas.

Lorraine Sereyjol-Garros : Notre credo chez BNPP AM a toujours été l’innovation et elle concerne notamment l’ESG. Nous avons par exemple été les premiers à lancer un fonds à bas carbone, dès 2008. Sur le marché, les ETF à maturité ont bien fonctionné, ils répondent à une véritable demande des clients car ils se distinguent des fonds actifs en étant investissables à tout moment, alors que ces derniers s’inscrivent dans des campagnes de commercialisation. Nous attendons pour 2025 à une vague de lancements d’ETF actifs. Les investisseurs institutionnels ont recherché dernièrement des ETF qui répliquent le marché, mais avec un surplus de performance (alpha) qui permet notamment de couvrir les frais de gestion. Il y a aussi de l’intérêt pour les ETF équipondérés et sur les thématiques à savoir les infrastructures ou encore l’hydrogène. Nous espérons, dans ce cadre, un retour de l’intérêt des investisseurs pour les fonds thématiques qui ont moins bien marché ces derniers mois.

1. ESG : environnement, social et gouvernance.

2. « Sustainable Finance Disclosures Regulation », règlement (UE) n° 2019/2088 du Parlement européen et du Conseil, du 27 novembre 2019, relatif aux informations liées au développement durable dans le secteur des services financiers. Article 8 – Fonds promouvant des caractéristiques environnementales. Article 9 – Produit ayant un objectif d’investissement durable.

Lorraine Sereyjol-Garros

Responsable mondial du développement ETF & solutions indicielles de BNP Paribas Asset Management, possède plus de 25 ans d’expérience dans le secteur.

Données clés BNPP AM

  • BNPP AM gère 56,4 milliards d’euros d’ETF et fonds indiciels (10 % du total des encours)
  • 2/3 des encours soit 36 milliards d’euros (91 % de nos fonds classifiés SFDR article 8 ou 9) sont ESG
  • 3 milliards d’euros de collecte en 2024 sur l’ensemble des ETF de BNPP AM

(Source BNPP AM, au 31/12/2024)

Philippe Malaise

Ddirecteur général et co-fondateur de Trackinsight. Ancien professeur à l’Edhec, il possède 40 ans d’expérience sur les marchés financiers.

Trackinsight est une plateforme mondiale indépendante dédiée aux ETF, conçue pour les investisseurs professionnels. Elle leur fournit des données, des outils de recherche et une expertise de premier ordre pour la sélection d’ETF, l’optimisation de portefeuilles et la gestion des risques. Trackinsight réalise également chaque année une étude globale sur le marché des ETF.

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