Le grand Débat Gestion Obligataire Institutionnelle

Les obligations remplissent toutes les cases de l’échiquier institutionnel

Publié le 13 octobre 2023 à 11h20

Sandra Sebag    Temps de lecture 43 minutes

Après avoir fortement corrigé en 2022, les obligations offrent cette année l’un des meilleurs couples rendement/risque. Sur les signatures les mieux notées, le rendement servi ressort actuellement à 4,5 % et peut grimper jusqu’à 10 % sur les titres de la catégorie high yield. Les investisseurs institutionnels plébiscitent ainsi la classe d’actifs depuis le début de l’année. Pour preuve, 80 % des appels d’offres des institutionnels français concernent cette année les obligations, contre 24 % l’an dernier ! Il n’en demeure pas moins que de nouveaux risques se font jour. Parmi ceux-ci figure la difficulté à appréhender l’évolution de l’inflation qui reste déterminante pour les politiques des banques centrales ainsi que l’ampleur et la durée de la récession. Les gérants sont ainsi partagés quant à la pertinence d’investir encore sur les titres à hauts rendements. Ils se retrouvent par ailleurs sur l’existence d’opportunités sur les titres les mieux notés, sur la dette financière ou encore sur la dette émergente. Pour contrôler les risques et pour répondre aux contraintes des investisseurs institutionnels, l’utilisation des critères ESG, mais aussi la nécessaire prise en compte de la préservation de la biodiversité, tendent à se généraliser.

Hausse des taux d’intérêt, les obligations retrouvent des couleurs après une correction historique

Comment ont évolué les marchés obligataires depuis le début de l’année et quelles sont vos perspectives ?

Alain Krief, responsable des expertises dettes d’entreprises et obligations convertibles au sein du groupe Edmond de Rothschild : Depuis plusieurs mois, les banques centrales des principales grandes économies développées sont engagées dans un mouvement de hausse des taux d’intérêt directeurs afin de lutter contre l’inflation. Le marché anticipe que nous arrivons à la fin de ces hausses et nous sommes en accord avec ce point de vue bien que la situation soit légèrement différente en Europe et aux Etats-Unis. Les banques centrales s’attachent principalement à évaluer l’impact de leur politique sur l’inflation. De ce fait, une économie qui reste résiliente du point de vue de la croissance constitue une mauvaise nouvelle pour elles, car cela signifie que la stratégie menée ne permet pas une réduction significative de l’inflation et/ou suppose la possibilité que celle-ci puisse, après une légère baisse, remonter. Par conséquent, les marchés se concentrent eux aussi sur les chiffres de la croissance. Pour l’instant, la baisse de l’inflation a été une bonne nouvelle pour le marché du crédit et pour les actions. Nous avons ainsi enregistré depuis le début de l’année un rallye, en particulier sur les valeurs notées en catégorie high yield (HY) et sur les dettes émergentes. Que va-t-il maintenant advenir ? La hausse des taux d’intérêt à court terme initiée au mois de septembre par la Banque centrale européenne (BCE) est aussi une bonne nouvelle car il s’agit d’une remontée « dovish » (colombe). La BCE a remonté les taux d’intérêt, mais les chiffres de croissance sont plus mauvais en Europe qu’aux Etats-Unis, par conséquent, elle devrait maintenant marquer une pause. En attendant, nous allons rester dans une fourchette pour le crédit qui offre du rendement très attractif et cela devrait, d’après nous, durer. Nous sommes donc très constructifs sur le crédit grâce à une valorisation attractive et à un cycle de hausse de taux d’intérêt qui touche à sa fin. Il n’en demeure pas moins que nous allons suivre très attentivement les perspectives de croissance, en Europe, aux Etats-Unis et en Chine pour éventuellement réajuster nos portefeuilles. Enfin, compte tenu des risques qui pèsent sur la croissance, il nous a semblé nécessaire d’augmenter la qualité du crédit dans lequel nous investissons.

Amir Fergani, directeur de la gestion obligataire France et EMEA de Generali Insurance Asset Management S.p.A. Società di gestione del risparmio (« GIAM ») : La BCE a augmenté ses taux d’intérêt pour la 10e fois le 14 septembre, après une première hausse de 50 points de base le 21 juillet 2022 qui a enfin mis fin à sa politique de taux négatif. La BCE anticipe une inflation à la baisse en 2025 à 2,1 % proche de sa cible de 2 %, mais a revu à la hausse celles de 2023 et 2024. Les taux courts en zone euro resteront élevés encore pendant plusieurs mois. Les marchés anticipent désormais que la BCE a ouvert la voie à sa dernière hausse des taux car cette dernière a déclaré que le maintien des taux à leur niveau actuel « pour une durée suffisamment longue » apporterait « une contribution substantielle au retour rapide de l’inflation » à son objectif de 2 %. Cette rhétorique a alimenté les attentes des investisseurs selon lesquelles il s’agissait de sa dernière hausse, mais tout dépendra de la trajectoire de l’inflation. De mon point de vue, celle-ci est sous contrôle puisque la situation macroéconomique dans la zone euro est en train de se dégrader. Le risque que nous identifions est ainsi plutôt celui d’une stagflation avec une croissance économique revue à la baisse par la BCE dans la zone euro de 0,7 % en 2023, 1,0 % en 2024 et 1,5 % en 2025. D’ailleurs, c’est aussi l’interprétation du marché. Les taux de rendement ont baissé pendant le discours de la présidente de la BCE, Christine Lagarde, et après celui-ci, les primes de risque se sont resserrées, tandis que les actifs risqués ont rebondi. Les investisseurs obligataires affichent actuellement plus d’appétit pour acheter de la duration et du risque, tout en étant très sélectifs. Comme vous l’avez souligné, la performance du HY a été surprenante depuis le début de l’année. Aux Etats-Unis, la performance de cette classe d’actifs se situe à plus de 7 % depuis le début de l’année, selon l’indice Bloomberg (« US Corporate high yield ») grâce aux titres notés B et à la compression des spreads des titres BB également, mais la tendance pourrait évoluer dans les mois à venir du point de vue des performances relatives et des performances absolues car la situation macroéconomique devrait changer et se dégrader.

Emmanuel Teissier, senior vice president, director of corporate credit research Europe, de Franklin Templeton Fixed Income Group à Londres : Nos vues sont à peu près identiques à ce qui vient d’être décrit. J’aimerais par ailleurs souligner que nous pensons que la BCE devrait peut-être s’arrêter pour le moment d’accroître ses taux directeurs, mais tout dépendra de l’évolution de l’inflation. Concernant la politique des autres banques centrales européennes, nous nous attendons à des hausses de taux d’intérêt supplémentaires de 25 points de base notamment en Grande-Bretagne. L’objectif de combattre l’inflation est toujours d’actualité de l’autre côté de la Manche, les indicateurs macroéconomiques du pays se détériorant bien plus vite que sur le continent. Par ailleurs, si au mois de septembre, la BCE aura mené sa dernière hausse de taux d’intérêt, ceci marquera simplement la fin du début. En effet, les taux d’intérêt vont rester hauts pour une longue durée, ce qui entraînera des conséquences sur la croissance économique et sur le crédit. Historiquement, nous constatons que les spreads de crédit après une hausse ont tendance à s’écarter. Nous pouvons ainsi nous attendre à une détérioration potentielle. Nous nous sommes positionnés de façon à avoir une exposition conséquente sur les actifs à risque, mais nous avons commencé à la réduire notamment sur les secteurs cycliques. Les marchés anticipent pour ces secteurs un atterrissage en douceur, mais de notre côté nous considérons que les spreads de crédit ne reflètent pas cela à long terme. Nous pensons que les spreads restent globalement attractifs sur la partie la moins risquée du marché, soit Investment Grade (IG), qui affiche un taux à l’heure actuelle de 4,5 %. Ce rendement nous semble très intéressant. Nous nous positionnons ainsi en rehaussant la qualité de crédit sur les obligations.

Thomas Giudici, responsable de la gestion obligataire d’Auris Gestion : Nous nous inscrivons dans le consensus de marché à savoir que les hausses de taux d’intérêt sont probablement terminées aux Etats-Unis comme en Europe. La Fed et la BCE ne peuvent cependant se permettre d’annoncer qu’elles sont finies car il faut garder ancrées les anticipations d’inflation. François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, a indiqué récemment que la « course de fond compte plus que l’altitude ». On s’oriente donc vers un maintien des taux d’intérêt au pic, en Europe comme aux Etats-Unis, pendant quelques mois, le temps d’acter de manière certaine la baisse de l’inflation. La baisse de la croissance de part et d’autre de l’Atlantique devrait permettre des premières baisses de taux dès l’année prochaine. La fenêtre est donc parfaite pour investir sur l’obligataire, le portage est actuellement très intéressant avec un risque limité de hausse des taux, et si ceux-ci venaient à rebaisser les gains seraient encore plus rapides. Pour autant, comme les précédents intervenants, nous avons actuellement tendance à réduire le risque sur les signatures HY après une très bonne performance depuis le début de l’année. Il n’y a pas eu pour l’instant de mur de dettes, les émetteurs s’étant refinancés pendant la Covid-19 quand les taux étaient beaucoup plus bas. La donne ne sera pas la même à partir de l’année prochaine, les taux de refinancement vont fortement augmenter, de 5 % à 6 %, ils pourraient passer à 10/12 % pour des notations B, la gestion des flux de trésorerie (cash-flow) va devenir plus difficile pour ces entreprises. Nous avons ainsi tendance à délaisser ce segment au profit des notations IG ou des subordonnées financières ou corporates.

François Deltour, président du directoire d’Arkéa Investment Services : Toute l’industrie financière a prêté une grande attention au discours de la BCE du 14 septembre. Le taux de dépôt est maintenant à 4 %, ce qui constitue une première depuis la création de l’euro. Le communiqué de la BCE indique que le point haut devrait avoir été atteint. Cependant, la BCE ne va pas baisser la garde, elle va suivre de très près l’évolution de l’inflation et se fixe toujours en ligne de mire un objectif à 2 %. Sur les Etats-Unis, en juillet il y a eu une remontée de 25 points de base. Les traders ont correctement anticipé un statu quo le 20 septembre, mais il y aura très vraisemblablement une dernière hausse des taux avant la fin de l’année, et le loyer de l’argent devrait rester longtemps à un niveau élevé, au-dessus de 5 %. La lutte contre l’inflation n’est peut-être pas terminée aux Etats-Unis. Sur les marchés obligataires, depuis le début de l’année, la situation s’est inversée par rapport à l’an dernier où les obligations avaient enregistré leur pire correction depuis des décennies. Sur l’IG, notamment européen, les rendements sont très intéressants. Nous avons assisté ainsi à des arbitrages en termes d’allocation d’actifs notamment des actions vers les obligations car le rendement de l’obligataire est maintenant supérieur à celui du dividende des actions, une première fois depuis une dizaine d’années. Chez Arkéa IS, nous pensons que le moment est bon pour investir sur l’obligataire.

Alain Krief, responsable des expertises dettes d’entreprises et obligations convertibles, Edmond de Rothschild

Les notations du marché High Yield européen sont principalement BB. Parmi ces titres figurent des émetteurs solides qui ne possèdent pas un niveau de levier important.

Données clefs 

  • Effectifs dans l’expertise : 15 experts de l’investissement.
  • Encours dans l’expertise et % des encours totaux : 7,6 milliards d’euros, 9 % des encours totaux.
  • Historique de performance dans l’un des fonds phares : Edmond de Rothschild Sicav Financial Bonds – données à fin août 2023 pour la part institutionnelle en euro. Performance cumulée depuis création (mars 2008) : + 49,39 % (versus + 30,85 % pour son indice de référence 80 % ICE BofA Euro Financial + 20 % ICE BofA Contingent Capital Index Hedged en EUR). Performance annualisée depuis création (mars 2008) : + 3,3 % (versus 2,2 % pour son indice de référence 80 % ICE BofA Euro Financial + 20 % ICE BofA Contingent Capital Index Hedged en euro).
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : L’équipe de gestion adopte une approche active et flexible de l’investissement obligataire et en démontrant une compréhension avancée du risque. Cela lui permet de construire des portefeuilles robustes qui génèrent de la performance dans la durée.

Y a-t-il un consensus de marché sauf en matière de high yield ?

François Deltour : Dans ce domaine, il existe deux écoles. De nombreuses mauvaises nouvelles sont déjà intégrées dans les cours. Les primes de risque de crédit intègrent des taux de défaut supérieurs à ceux constatés entre la grande crise financière de 2008 et la crise de la dette souveraine européenne du début des années 2010. Sauf atterrissage brutal, le HY constitue de ce fait un segment intéressant. A contrario, certains gérants adoptent une vision plus prudente ; la croissance devrait nettement ralentir, par conséquent, ils sous-pondèrent la classe d’actifs. Dans tous les cas, la sélectivité des émetteurs reste primordiale !

Alain Krief : Chez Edmond de Rothschild, nous sommes plutôt positifs sur le HY. Les notations du marché européen sont principalement BB, contrairement aux marchés américains qui intègrent beaucoup de titres B ou CCC. Parmi les titres BB, de nombreux émetteurs solides ne possèdent pas un niveau de levier important. Il existe certes des situations compliquées, notamment pour les titres les moins bien notés, mais globalement, les facteurs techniques sont positifs. L’IG nous semble aussi intéressant, mais le rendement est inférieur à l’inflation. De plus, les rendements d’Etat s’inscrivent dans une courbe inversée. Le risque sur les signatures longues à cinq ans ou à 10 ans est ainsi élevé. Il nous semble plus prudent d’aller chercher du risque sur les signatures courtes notamment sur les subordonnées financières ou les hybrides corporates. Ces titres s’inscrivent dans la notation IG dans le cadre de structurations qui ajoutent un spread supplémentaire. Le portage est donc réellement positif. Sur ces titres comme sur le haut du panier du HY, nous sommes très confiants à court terme. Il est vrai que nous arrivons à la fin de la hausse des taux d’intérêt. Le marché intègre une baisse à venir des taux d’intérêt aux Etats-Unis et en Europe, fin 2024 ou mi-2024. S’il y a une véritable baisse de l’inflation, la Fed baissera ses taux d’intérêt non pas pour lutter contre la récession, mais parce qu’elle aura atteint son objectif.

Thomas Giudici : Aujourd’hui, nous préférons le risque de subordination au risque crédit. Quand nous voyons notamment les rendements sur les dernières « cocos bonds » qui viennent de sortir, ces titres nous semblent véritablement attractifs. Certes, cette classe d’actifs est spécifique car elle a été chahutée en début d’année en raison de la faillite de Crédit Suisse, mais les banques offrent du 8 %/9 % sur ce type de dette alors qu’il faudrait descendre assez bas en notation pour obtenir un tel rendement sur des titres HY. Nous préférons donc aller prendre ce risque de subordination et ce risque juridique plutôt que le risque de défaut sur un émetteur noté B qui pourrait rencontrer des difficultés de refinancement, qui plus est dans un contexte de ralentissement de la croissance. Concernant le crédit noté BB, les spreads se sont beaucoup compressés, la prime n’est pas très avantageuse et nous préférons donc l’IG.

Emmanuel Teissier : Les hybrides corporates ont très bien fonctionné. Si nous considérons les différences de spreads avec les corporates seniors, ils sont maintenant relativement serrés. Ce marché reste intéressant dans la mesure où de nouveaux émetteurs sont venus sur ce marché et ont proposé des coupons très élevés. A partir du moment où nous sommes confortables sur les fondamentaux, il est possible de descendre un peu plus bas dans la structure de capital. Concernant les AT1 et Coco, nous sommes relativement prudents, même s’il est vrai que les dernières émissions ont été relativement attractives. Nous attendons de voir comment le marché va réagir aux prochaines émissions d’AT1 d’UBS dans les prochains mois.

Amir Fergani : Je considère que les principales banques centrales n’ont pas encore fini avec les hausses de taux d’intérêt notamment en ce qui concerne la BCE. Cette dernière pourrait encore augmenter les taux d’intérêt de 25 points de base en décembre si l’inflation dérape. La Banque d’Angleterre va encore augmenter ses taux d’intérêt en septembre. La Fed, après une pause, pourrait augmenter ses taux en novembre. Enfin, la Banque japonaise pourrait elle aussi accroître ses taux d’intérêt pour la première fois en janvier 2024, elle arrêtera ainsi sa politique de contrôle de la courbe des taux d’intérêt. Sur le segment HY en euro, les primes de risques sont en moyenne en dessous de leur moyenne de long terme de l’ordre de 20 points de base, mais avec une baisse probable des taux d’intérêt l’an prochain, les titres notés IG pourraient surperformer le HY en euro en 2024. En termes de portage, le HY reste intéressant, mais il y a beaucoup de dispersion et de risque idiosyncratique. Enfin, le crédit a été soutenu par les rehaussements de notation, mais je m’attends à un mouvement inverse l’an prochain.

Thomas Giudici, responsable de la gestion obligataire, Auris Gestion

L’accent mis sur l’obligataire se fait au détriment des actifs risqués, comme les actions, et des actifs non cotés. Dans le nouveau contexte de taux, la notion de couple rendement sur coût en capital revient au centre des allocations.

Données clefs

  • Effectifs dans l’expertise : 6 dont 3 gérants et 2 analystes ESG
  • Encours dans l’expertise et % des encours totaux : 400 millions d’euros soit environ 10 % des encours totaux.
  • Historique de performance dans l’un des fonds phares : la part I du fonds Auris Euro (LU1599120356) du fonds au 15/09/2023 est YTD de 5,15 % et sur un an de 5,34 %.
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : Auris Euro Rendement est un fonds obligataire, flexible par nature, investi sur l’ensemble des sous-segments du spectre obligataire euro (emprunts d’Etat, investment grade, high yield, hybrides corporates, obligations convertibles, subordonnées, etc.) et complété de moteurs additionnels (couverture taux et couverture crédit). La construction du portefeuille repose sur une double approche : une gestion de conviction, caractérisée par une connaissance fine des émetteurs présents en portefeuille, associée à une gestion globale du risque de marché. Cette méthodologie, qui combine approche « bottom-up » et « top-down », permet de construire un portefeuille robuste et adapté aux différentes phases des marchés. Ce fonds, déployant une stratégie multi-crédit diversifiée et active, peut se repositionner de manière réactive dans une optique de maîtrise de sa volatilité.

La dette émergente est-elle à nouveau attractive ?

François Deltour : Pour des investisseurs qui ont une appétence aux risques, la dette émergente est une alternative intéressante. Plusieurs facteurs soutiennent en effet cette thèse d’investissement. D’abord, l’inflation a chuté dans beaucoup de pays comme au Brésil ou en Indonésie. Les bilans souverains sont plus généralement solides, souvent davantage que ceux des pays du G7 qui affichent des déficits budgétaires importants. Enfin, de nombreuses banques centrales ont mis un terme à leur cycle de resserrement plus tôt, certaines ont d’ailleurs déjà commencé à diminuer les taux d’intérêt.

Alain Krief : Nous sommes aussi constructifs sur l’émergent sans être très investis sur cette classe d’actifs. La dette émergente a bien performé depuis le début de l’année, le portage est intéressant en particulier sur le HY, mais cette classe d’actifs reste dépendante des flux et dans plusieurs pays, ceux-ci sont encore sortants. Par ailleurs, il existe une disparité forte entre les pays. Certaines zones ont bien performé, d’autres sont en retrait. La Chine, par exemple, connaît des difficultés. Les investisseurs ont beaucoup perdu sur ce marché depuis le début de l’année. Il faut ainsi être très sélectif concernant cette zone. Nous ne voyons pas de momentum positif. Nous préférons nous positionner sur des situations ou des noms spécifiques, en particulier en Amérique latine.

Quels sont les principaux risques ?

Amir Fergani : Le principal risque est celui d’une poursuite du resserrement de la Fed qui se traduirait par une appréciation du dollar. Celle-ci aurait alors des incidences sur les flux de capitaux qui auraient tendance à retourner vers la zone dollar au détriment notamment des émergents. Par ailleurs, certains pays émergents dépendent beaucoup de la Chine, ils pourraient ainsi être affectés par son ralentissement, d’autres ont un poids important de leurs dettes en dollar US. Enfin, le renchérissement du coût de l’énergie pourrait désavantager de nombreux émergents. Notons tout de même que les sorties massives de flux de capitaux l’an dernier ont conduit à une baisse des valorisations y compris pour la dette émergente libellée en euro. A titre d’exemple, des titres émetteurs sud-américains offraient sur des durations courtes des rendements à plus de 4 % sans risque de change. Ces titres IG sont attractifs pour les compagnies d’assurances, et permettent de diversifier les poches souveraines sans avoir besoin de couvrir le risque de change.

Allocation et flux d’investissement

Comment les investisseurs institutionnels investissent-ils la classe d’actifs ?

François Deltour : Les appels d’offres émis par les investisseurs institutionnels en France pour des mandats et des fonds montrent clairement un retour en grâce de l’obligataire. 51 % d’entre eux concernaient l’obligataire en 2021, ils étaient 24 % en 2022 et début 2023, le chiffre remonte à 80 % ! Il y a un réel regain d’intérêt pour l’obligataire. Du côté des particuliers, plus de 20 fonds obligataires à échéance sont en cours de commercialisation et en compétition en France et les encours de ces fonds ont augmenté de plus de 30 à 40 % en un an. Nos deux maisons Federal Finance Gestion et Schelcher Prince Gestion ont lancé des fonds à échéance afin de faire bénéficier nos clients du portage très intéressant. Il s’agit de changements structurels.

Thomas Giudici : L’accent mis sur l’obligataire se fait au détriment des actifs risqués, comme les actions, et des actifs non cotés. Les institutionnels avaient en effet été très nombreux ces dernières années à aller chercher du rendement sur le non-coté à défaut de rendement sur les obligations. Dans le nouveau contexte de taux, la notion de couple rendement sur SCR (coût en capital) revient au centre des allocations. Les taux sans risque offrent par exemple des rendements de 3 % à 4 % pour un coût en capital nul. En comparaison, le capital investissement offre certes une espérance de rendement supérieure à 10 %, mais son coût en capital ressort à 49 %.

Alain Krief : Nous constatons un regain d’intérêt pour l’obligataire en particulier sur les fonds datés. Ces fonds répondent à une problématique, à savoir comment extraire un rendement qui n’existera plus dans les prochaines années et offrir une certaine visibilité à quatre ou cinq ans sur les rendements finaux. Leur construction a évolué au fil du temps. En 2008, les fonds datés étaient investis purement sur des titres notés IG. Au fur et à mesure, les gérants ont ajouté des titres notés HY afin d’améliorer le rendement global du portefeuille. Aujourd’hui, nous constatons à nouveau des lancements de fonds IG ou associant des titres IG et HY afin de fournir un rendement significatif. Par ailleurs, il existe aussi des lancements de fonds sur les hybrides corporates, certains gérants associant ces titres dans des fonds à des titres AT1 et/ou à des « cocos ». Nous considérons qu’il s’agit d’une classe d’actifs en devenir. Ces fonds présentent de nombreux intérêts comme celui de remonter dans la qualité de crédit. Ils répondent ainsi à un besoin des investisseurs qui recherchent du rendement et ne souhaitent pas prendre trop de risque de crédit. Au sein de l’univers émergent, nous constatons quelques flux sur le crédit, mais ils sont relativement faibles pour l’instant.

Emmanuel Teissier : Nous avons constaté des flux sur les stratégies diversifiées notamment sur des fonds « euro aggregate » qui peuvent investir dans le souverain et le crédit et sur différentes notations. Les investisseurs apprécient ce type de stratégies qui permettent de gérer les risques de façon dynamique en allouant entre les différents segments de marché. Nous avons aussi constaté un grand intérêt pour les fonds ESG.

Constatez-vous aussi des flux sur le monétaire ?

François Deltour : Les flux ont été très conséquents depuis le début dans nos fonds monétaires Federal Finance Gestion. Sur le marché, une partie s’est faite au détriment de l’obligataire court terme.

Amir Fergani : Depuis le début de l’année, il y a eu un trillion de dollars de souscription dans les fonds monétaires aux Etats-Unis. Nous avons de notre côté aussi enregistré des flux positifs dans nos fonds monétaires. La hausse des taux d’intérêt et l’inversion des courbes ont favorisé les flux dans cette classe d’actifs en particulier pour les assureurs. En parallèle, nous avons assisté à des flux de capitaux importants dans le crédit noté IG avec pour objectif d’améliorer la signature globale des portefeuilles. Les investissements en direct ont été privilégiés en raison notamment des nouvelles normes comptables IFRS qui sont moins favorables à la détention de fonds.

Les investisseurs institutionnels s’intéressent-ils toujours aux obligations indexées sur l’inflation ?

Amir Fergani : Chez GIAM, nous avons augmenté depuis l’an dernier le poids des obligations indexées sur l’inflation sur différents formats, à savoir en obligations indexées ou via des notes afin de capter un coupon réel positif. Ces titres sont aussi intéressants pour couvrir le passif notamment pour les compagnies d’assurances non vie dont les sinistres sont indexés sur l’inflation.

Quelles sont vos recommandations en termes d’allocation sur la classe d’actifs ?

Amir Fergani : D’un point de vue tactique, GIAM a raccourci la duration moyenne de ses investissements obligataires depuis l’année dernière. Cette année, le pilotage de la duration a été également important dans un contexte de forte volatilité sur les taux. La gestion actif/passif ou LDI est au cœur de notre processus d’investissement obligataire. Nous avions augmenté le gap (écart) de duration dans ce contexte de hausse des taux et nous le réduisons à nouveau profitant de rendements attractifs surtout dans le segment crédit IG seniors unsecured pour combler des « gaps » actif/passif sur des maturités intermédiaires. D’un point de vue plus stratégique, les portefeuilles modèles sous contrainte de passif doivent être parfaitement adossés même si la duration cible est de 10 ans. Ces derniers doivent être investis de façon globale et diversifié (univers aggregate) à la fois sur le souverain et sur le crédit noté « IG. » Ce type de portefeuille offre un rendement moyen de plus de 4 % pour une notation moyenne A-. Aujourd’hui, il nous semble que le « timing » est très favorable pour construire un portefeuille optimal pour les institutionnels.

Thomas Giudici : Si l’on devait partir d’une feuille blanche, beaucoup d’investisseurs institutionnels n’investiraient que dans des titres de notation IG, avec quelques hybrides corporates, sur des durations longues. Il faut néanmoins prendre en compte les portefeuilles existants. Les moins-values latentes enregistrées depuis l’an dernier du fait de la correction des marchés ne permettent pas une réallocation massive du fait des contraintes de la comptabilité assurantielle. De plus certaines compagnies d’assurances ont enregistré des sorties importantes sur leurs fonds en euro. Ces évolutions impactent le redéploiement des liquidités vers des obligations moins risquées.

Alain Krief : Certains institutionnels, lorsqu’ils peuvent diversifier leur portefeuille, essaient d’augmenter leurs investissements dans l’obligataire et reconstituent des poches d’investissement sur du HY, sur les hydrides corporates et ajoutent quelques fonds datés. Toutes les approches sont bonnes pour diversifier. Les moteurs de performance comme les risques sur ces actifs sont différents. Certains portent un risque de défaut, d’autres de structure. Il est intéressant aussi d’aller chercher du portage avec différents niveaux de risque.

Amir Fergani, directeur de la gestion obligataire France et EMEA, Generali Insurance Asset Management S.p.A. Società di gestione del risparmio

L’inflation réalisée pourrait être supérieure aux prévisions des banques centrales, le resserrement monétaire devrait alors se poursuivre, conduisant à une dégradation plus marquée des économies développées.

Données clefs

  • Effectifs dans l’expertise : 56 personnes, dont 23 gérants et 14 analystes crédit chez Generali Insurance Asset management (GIAM).
  • Encours dans l’expertise et % des encours totaux : 272 milliards d’euros soit 70 % des encours totaux de Generali Investments (chiffres au 30/06/2023).
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : Generali Investments a une expérience significative en gestion obligataire (gestion sous mandat, LDI, ou gestion de fonds en valeur de marché) dans le cadre d’un processus de gestion robuste. Les décisions d’allocations tactiques par profil de fonds sont prises à la suite des comités mensuels internes auxquels participent les différentes équipes de recherche, de gestion et de risques. Le processus de sélection des titres se base sur les analyses fondamentales qui couvrent plus de 630 émetteurs « investment grade » et « high yield » et sur les analyses ESG.

Quels sont les principaux risques qui pèsent sur la classe d’actifs ?

Amir Fergani : L’inflation réalisée pourrait être supérieure aux prévisions des banques centrales, le resserrement monétaire devrait alors se poursuivre, conduisant à une dégradation plus marquée des économies développées. Dans ce cas, le segment HY pourrait sous-performer et les spreads s’écarter. Nous sommes aussi attentifs au risque géopolitique notamment par rapport à la guerre en Ukraine et à l’évolution des prix du pétrole et de l’énergie.

Alain Krief : Nous vivons dans un univers de contraintes et de risques. Le marché intègre lui-même un certain nombre de risques, qui le rend moins prévisible. Aujourd’hui, même si les spreads sont plus resserrés qu’il y a quelques mois, nous ne nous situons pas encore aux plus bas. Les rendements sont élevés dans certains secteurs notamment les financières ou l’immobilier car ils intègrent un risque de défaut déjà élevé. Avec une inflation qui reste significative, certains secteurs vont davantage souffrir que d’autres. Malgré ce contexte macroéconomique difficile, il est toujours possible d’extraire du rendement, il ne faut pas rester en dehors du marché.

Thomas Giudici : Certains scénarios envisagent un rebond de l’inflation lié par exemple à la hausse des prix des matières premières. Les banques centrales seraient alors obligées de poursuivre les hausses de taux directeurs. A court terme, les craintes sur la croissance sont moins importantes que celles sur l’évolution de l’inflation qui reste le sujet primordial. Toutes données militant pour un ralentissement de la croissance seraient d’ailleurs prises comme une bonne nouvelle à même de faire baisser les craintes sur l’inflation.

Emmanuel Teissier : L’essentiel des risques a été évoqué. De notre côté, nous serons aussi attentifs à l’évolution de la Chine. Les risques sont aussi la source d’opportunités et peuvent nous permettre de créer de la surperformance (ou alpha).

François Deltour : Plutôt que les risques, j’aimerais faire entendre une note positive. Qui aurait dit il y a 18 mois que nous aurions des spreads de crédit sur les notations IG à 4,5 %. Cette hausse sur l’IG s’étant accompagnée d’une revue de l’ensemble des prix du marché obligataire à la hausse. L’année 2022 a remis à l’heure toutes les horloges de l’investissement. Cette évolution est très positive. Elle ouvre des opportunités et remet l’obligataire au centre du jeu.

L’ESG au cœur des investissements dans l’obligataire

Quelle place attribuez-vous aux obligations vertes, sociales ou soutenables ?

Emmanuel Teissier : Nos fonds européens sont investis à hauteur d’environ 30 % sur les obligations durables dont 25 % sur les obligations vertes et 5 % sur les obligations sociales. Nous n’investissons pas sur les obligations qui intègrent des KPI (ou indicateurs clefs durables) car elles ne semblent pas suffisamment robustes du point de vue ESG dans la mesure où les émetteurs utilisent des objectifs qui sont facilement atteignables ou limitent les pénalités en cas d’échec. En ce qui concerne les obligations vertes et sociales, nous avons pu constater une augmentation régulière des émissions depuis plusieurs années. En général, les obligations vertes avaient tendance à suivre en termes de prix la courbe des obligations traditionnelles avec un premium. Cependant, celui-ci a eu tendance à disparaître, ce qui crée des opportunités dans le secteur. Du côté des obligations sociales, il est vrai qu’il n’y a pas beaucoup d’émetteurs non financiers, il est donc difficile pour nous d’augmenter significativement notre allocation à ce type d’instrument. En revanche, les émetteurs financiers sont très actifs sur le sujet qu’il s’agisse d’obligations seniors ou tiers 2. Il y a de la valeur à aller chercher sur ce type d’obligations.

Alain Krief : Nous intégrons les facteurs ESG dans la gestion obligataire institutionnelle via principalement des exclusions notamment du secteur du charbon, de celui du pétrole ou encore dans le cadre de l’extraction non conventionnelle. Nous développons également une politique d’engagement auprès des sociétés. Nous menons des discussions avec le management et ensuite nous en tirons les conséquences dans la gestion actions et dans la gestion obligations si jamais nous ne parvenons pas à faire infléchir la société. Nous avons par ailleurs lancé récemment un fonds obligataire global sur le climat qui relève de l’article 9 du règlement SFDR (Sustainable Finance Disclosure Information). Il sélectionne des obligations vertes, sociales et soutenables. Nous allons loin dans l’analyse critique de ces émissions. Nous sommes en effet très sélectifs sur les émissions vertes afin d’être certains que les projets financés ont véritablement un impact positif. Nous avons fait le choix d’un fonds global car nous considérons que celui-ci est le plus efficace pour contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique qui concerne toutes les économies. Dans les pays émergents, il y a de plus en plus d’émissions de ce type et celles-ci sont absolument nécessaires à l’obtention d’un impact global.

François Deltour : Nous sommes en parfait accord avec ce qui vient d’être mentionné. Nous intégrons les facteurs ESG dans nos gestions obligataires, sur les corporates et les souverains. Concernant les obligations durables, ces dernières sont devenues un vrai marché dans le marché. Depuis le début d’année, près de 20 % du marché primaire (qu’il s’agisse d’entreprises ou de banques) est constitué d’obligations durables. La taille de ce marché devient significative. Il faut une analyse supplémentaire tout au long de la chaîne d’investissement afin de contrôler l’utilisation des fonds et remplir ainsi la promesse faite aux investisseurs.

Thomas Giudici : La transition vers des investissements plus verts est poussée par la réglementation, sans qu’il n’y ait pour autant un cadre clair défini. Chaque société de gestion doit alors mettre en place ses propres critères d’exclusion et de sélection avec par exemple le choix entre « best-in-class » ou « best-in-universe ». Les problématiques ne sont pas toujours évidentes à trancher : doit-on par exemple exclure totalement le secteur pétrolier ou est-il possible d’investir dans des émissions vertes sur un projet d’énergie renouvelable initié par un pétrolier ? La méthodologie interne est donc centrale afin de s’assurer que nos investissements répondent bien aux engagements que nous avons pris auprès de nos investisseurs sans tomber dans le « greenwashing ».

Emmanuel Teissier : Les exclusions constituent un point de départ. Dans le cadre des fonds labellisés ESG, les critères d’exclusion peuvent être conséquents. Il est aussi important d’analyser la façon dont les entreprises cherchent à diminuer leur empreinte carbone. Nous avons élaboré une méthodologie interne afin d’identifier par secteur quelles sont les entreprises qui sont les championnes en la matière et quelles sont celles qui sont à la traîne. Nous ne pourrons investir dans ces dernières, même si leur retard peut s’expliquer. Nos équipes d’analystes mènent des engagements auprès de ces entreprises de façon à comprendre pourquoi les émissions de carbone sont à la hausse. Un autre sujet gagne en importance : la biodiversité. Nous regardons cette notion de façon très précise. Mais dans l’état actuel des choses, les entreprises ne communiquent pas beaucoup sur ce sujet, même si nous constatons que certaines d’entre elles fournissent des efforts. Nos équipes se sont emparées de ce sujet et vont mener à ce propos des actions d’engagement vis-à-vis des émetteurs.

François Deltour, président du directoire d’Arkéa Investment Services

Depuis le début d’année, près de 20 % du marché primaire est constitué d’obligations durables. La taille de ce marché devient significative.

Données clefs

  • Effectifs dans l’expertise : l’équipe mandats comporte 9 gérants, dont 5 travaillent sur les obligations (dont 2 sur le mandat Suravenir qui comporte près de 20 milliards d’obligations).
  • Encours dans l’expertise : environ 400 millions d’euros sur les OPC + 21 milliards d’euros en mandats institutionnels.
  • Historique de performance dans l’un des fonds phares : Federal Euro Agregate 3-5, performances cumulées au 31/08/2023 : 2,17 % depuis le début de l’année, – 0,44 % sur un an et – 8,79 % sur 3 ans.
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : la gestion se décline à partir d’une approche fondamentale en trois étapes : une analyse macroéconomique permettant de définir un scénario d’évolution des taux long terme et du risque de crédit (spread/primes de risque), une allocation géographique et sectorielle en fonction du couple rendement/risque évalué, le choix des émetteurs à partir d’une analyse financière et des impacts extra-financiers. La gestion s’appuie sur une équipe de cinq analystes financiers et de sept analystes extra-financiers.

Quels sont les chantiers en matière de biodiversité ?

Emmanuel Teissier : Le principal enjeu relève de l’accès aux données. Certaines entreprises ont commencé à travailler sur cette thématique notamment dans le secteur des biens de consommation. Mais il est encore très difficile de faire des comparatifs dans ce domaine.

Alain Krief : Le problème, qui est celui que nous rencontrons globalement en termes d’ESG, est bien celui de l’accès aux données. Il faut davantage de données et des façons synthétiques d’analyser cette nouvelle thématique.

François Deltour : La biodiversité constitue une nouvelle thématique abordée par les investisseurs institutionnels et nous travaillons actuellement sur le lancement d’un produit actions sur cette thématique importante ; la perte de biodiversité revêtant de multiples dimensions sociales et environnementales. La biodiversité devient aussi importante que le sujet du climat, il y a quelques années. Les données biodiversité ne sont pas encore normées et sont parcellaires. Sur le climat, les notions de températures de portefeuilles et les sujets d’alignement avec les accords de Paris sont au cœur des préoccupations de nombreux investisseurs, assurantiels notamment. Plusieurs approches existent pour construire un produit en ligne avec les accords de Paris à l’horizon 2030,  nous devons utiliser les calculs de température des émetteurs fournis par les data providers ainsi que les données prospectives qu’ils proposent. Ces analyses à l’horizon 2030 ou 2050 s’appuient sur des hypothèses qui ne font pas encore consensus. Sur la stratégie climat, il est possible d’évaluer à un instant t les émissions en nous appuyant sur des données historiques. Certains de nos clients sont bien plus confortables avec ce type d’approche qu’avec des données prospectives. Il faut ensuite sur cette base élaborer une stratégie d’engagement auprès des émetteurs.

Amir Fergani : Les données qui concernent la biodiversité ne sont pas accessibles auprès de tous les fournisseurs de données et dépendent des publications des compagnies. Chez GIAM, nous travaillons actuellement avec Iceberg Data Lab dont l’un de ces indicateurs se nomme « Corporate Biodiversity Footprint. »

Nous sommes en train de déterminer avec l’équipe ESG de GIAM si cet indicateur est consistant et quel serait son ratio de couverture. Nous souhaitons intégrer dans certains portefeuilles des objectifs concrets tels que la consommation d’eau. Mais il n’est pas évident d’avoir des données dans ce domaine par exemple sur la pollution de l’eau. Nous nous intéressons aussi à un autre indicateur qui est la NEC. Certaines sociétés de gestion d’actifs qui font partie de l’écosystème Generali Investments comme Sycomore Asset Management l’utilisent. La NEC permet de déterminer l’impact d’une société sur l’environnement à travers une échelle allant du positif au négatif.

Nous intégrons dans notre gestion un filtre éthique ainsi qu’un filtre dédié aux obligations sociales, vertes et durables des émetteurs souverains et crédit. Nous souhaitons désormais étendre notre filtre éthique interne aux obligations souveraines dont les émetteurs émergents. Nous possédons par ailleurs un portefeuille pour lequel nous avons demandé un label Finansol (finance solidaire). Enfin, les portefeuilles d’assurance vie et de retraite gérés sous mandat pour le compte des sociétés d’assurance françaises du groupe Generali, sont tous classés en article 8 du règlement SFDR.

Les principaux chantiers sur lesquels vous avez avancé relèvent-ils de l’environnement ?

Alain Krief : La gouvernance a toujours été prégnante dans toutes nos analyses y compris financières. L’environnement est peut-être la variable la plus simple à analyser à travers les obligations vertes, en s’appuyant sur des facteurs comme la réduction de la consommation d’eau, de l’empreinte carbone. Les critères sociaux sont plus difficiles à mettre en place, mais nous nous employons à les intégrer.

François Deltour : La différence entre le E (environnement) et S (social) est aussi réglementaire. Nous disposons à ce jour d’une taxonomie environnementale à l’échelle européenne, mais pas encore d’une taxonomie sociale. Le social n’en est pas moins important, mais nous ne disposons pas encore de normes qui puissent nous permettre de parler le même langage.

Peut-on identifier une performance ESG en matière de gestion obligataire ?

Alain Krief : Nous ne comparons plus des portefeuilles ESG et non ESG car avec les exclusions, les fonds ne possèdent pas les mêmes périmètres, les mêmes contraintes. A titre d’exemple, de nombreux indices de référence intègrent des valeurs du charbon ou du pétrole qui sont exclues des portefeuilles ESG. Les investisseurs sont assez conscients de cela.

Amir Fergani : Il existe des études qui montrent que les actions de sociétés qui possèdent une bonne gouvernance et qui respectent l’accord de Paris ont tendance à surperformer. Il existe encore un débat à ce sujet car l’an dernier les valeurs ESG avaient sous-performé. La performance dépend de la composition d’un portefeuille et de sa durée d’investissement.

Thomas Giudici : La sous-performance de l’an dernier est essentiellement liée à un effet duration. En effet, les obligations vertes possèdent une duration plus longue que la moyenne du marché et ont à ce titre davantage souffert l’an dernier.

Amir Fergani : Chez GIAM, nous avons réalisé une analyse sur la prime des obligations vertes, sociales et durables. Nous avons constaté que les green bonds sont résilientes en cas de fort stress ou de choc sur les marchés puis elles sous-performent quand les primes de risque se resserrent (« greenium moins négative par rapport aux obligations classiques »). Dans la mesure où les green bonds sont très liquides et qu’elles ont bien résisté au choc de marché, les investisseurs ont tendance à les privilégier s’ils ont besoin de réduire le risque ou pour faire face à des besoins de liquidités. Sur une période de crise prolongée, elles ont donc tendance à sous-performer.

Emmanuel Teissier, senior vice president, director of corporate credit research Europe, Franklin Templeton Fixed Income

Les PAI constituent ainsi un sujet d’engagement sur lequel nous allons travailler en 2024. Il va falloir convaincre les émetteurs de publier des informations sur ce sujet.

Données clefs

  • Effectifs dans l’expertise : au sein du secteur des obligations européennes : 20 professionnels au total. Ce chiffre inclut les analystes crédit ainsi que les analystes ESG. Effectif au sein du groupe Franklin Templeton Fixed Income : 130 personnes au niveau mondial.
  • Encours dans l’expertise et % des encours totaux : encours des obligations européennes : 6,1 milliards de dollars, représentant 4,5 % des encours totaux du Franklin Templeton Fixed Income (136 milliards de dollars).
  • Historique de performance dans l’un des fonds phares (au 31 juillet 2023) : Franklin European Total Return Fund, encours du fonds. Performance sur un an : – 3,45 % contre – 7,3 % pour l’indice Bloomberg Euro Aggregate.
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : une approche sans contrainte et durable qui permet d’avoir la flexibilité nécessaire pour capitaliser sur les évolutions du marché et identifier les investissements qui offrent les meilleures perspectives. Un portefeuille géré activement, sélectionné sur la base d’une recherche bottom-up et guidé par une analyse macroéconomique top-down, qui a le potentiel de générer de l’alpha grâce à une gestion active des secteurs, de la duration et des devises. Un processus d’investissement qui bénéficie de la plateforme mondiale de Franklin Templeton, avec des capacités de qualité institutionnelle soutenant la gestion de portefeuille, le trading et la gestion des risques.

Quels sont les nouveaux chantiers sur lesquels vous travaillez ?

Emmanuel Teissier : Nous travaillons sur les PAI, cela nous est demandé par la réglementation, même si la transparence en la matière n’est pas obligatoire pour les émetteurs. Il va falloir convaincre les émetteurs de publier des informations sur ce sujet. Certains y sont ouverts, d’autres moins notamment au Royaume-Uni. Les PAI constituent ainsi un sujet d’engagement sur lequel nous allons travailler en 2024.

François Deltour : Il y a énormément de sujets sur l’ESG sur lesquels nous sommes tous en train de travailler. Parmi ceux-ci devrait figurer la réflexion autour de la refonte du règlement SFDR. Nous travaillons pour la partie retail (clientèle des particuliers) sur l’intégration dans le cadre des directives MIF (marchés des instruments financiers) et DDA (distribution en assurance) des critères ESG dans les questionnaires clients. Sur cette base, nous devons disposer d’une offre de produits adéquate à proposer. Nous travaillons aussi pour les clients institutionnels sur la trajectoire climat. Enfin, l’actualité concerne la refonte du label ISR qui invite à se poser des questions sur l’implication d’un label notamment en termes de biais sectoriels et donc de performance.

Amir Fergani : La biodiversité est l’un de nos chantiers actuels notamment en lien avec des sociétés d’assurance françaises du groupe Generali. Chez GIAM, nous avons dû faire appel à de nouveaux fournisseurs de données pour avancer sur ce sujet. Parmi les PAI, nous avons intégré de nouvelles notions comme la diversité des profils des collaborateurs. Nous sommes dépendants en la matière de l’accès aux données et de leur qualité.

Thomas Giudici : Tous nos fonds relèvent maintenant de la catégorie SFDR 8, ce qui nous a demandé beaucoup de travail notamment, comme cela a été souligné par tous les intervenants, en termes d’accessibilité et de traitement de la donnée, mais également dans la définition de notre processus de sélection et d’exclusion des titres. Par ailleurs, notre clientèle de particuliers est importante, nous avons dû dans ce cadre adapter notre demande aux questionnaires MIF ESG. Enfin, nous gérons également de nombreux fonds de fonds, ce qui nous a conduits à adapter notre process de sélection. Il ne suffit pas en effet de sélectionner des fonds relevant de la catégorie SFDR 8 pour produire un fonds de fonds SFDR 8, la procédure est plus complexe.

Les intervenants

  • Alain Krief, responsable des expertises dettes d’entreprises et obligations convertibles au sein du groupe Edmond de Rothschild

    Il a débuté sa carrière en tant que consultant chez Andersen Consulting, puis responsable de projet IT au Crédit Lyonnais. Il a ensuite exercé des fonctions de trader au Crédit Lyonnais, puis a été responsable du high yield Europe chez Crédit Lyonnais Asset Management/Crédit Agricole Asset Management. En 2005, il rejoint BNP Paribas Asset Management où il va occuper plusieurs fonctions majeures dont celle de coresponsable des portefeuilles total return, responsable high yield Europe et responsable global des investissements crédit. En 2012, Alain Krief intègre Oddo BHF AM où il prend la direction de l’équipe Fixed Income & Convertibles. Il rejoint ensuite en 2019 le groupe Edmond de Rothschild.

  • François Deltour, président du directoire d’Arkéa Investment Services

    François Deltour a rejoint le Crédit Mutuel Arkéa en 2014. Il intègre Arkéa Investment Services fin 2015 en tant que directeur du développement et membre du directoire, puis COO en 2018 et directeur général depuis 2020. Il est président du directoire depuis 2022. François Deltour est diplômé de Centrale Paris (2006), d’un master of science de l’Université Columbia à New York (2006) et d’un MBA de l’Insead à Singapour (2010). Après une première expérience en fusion-acquisition au sein de la banque CIBC World Market à New York, il rejoint en 2007 le bureau de Paris du cabinet de conseil en stratégie McKinsey. Il intègre en 2010 le bureau londonien du fonds de private equity KKR. En 2011, il retrouve les équipes de McKinsey en tant que chef de mission senior au sein de la practice services financiers.

  • Thomas Giudici, responsable de la gestion obligataire d’Auris Gestion

    Après des expériences au sein des équipes de gestion de la Mutuelle d’Ivry, La Fraternelle (MIF) et d’OFI AM, Thomas Giudici a été recruté comme gérant obligataire chez Ecofi Investissements (groupe BPCE) en 2015, où il a géré un montant conséquent d’actifs financiers pour des acteurs institutionnels de premier rang. II a ensuite participé à la création de Salamandre AM, où il a occupé le poste de responsable de la gestion obligataire. Thomas Giudici est diplômé du magistère Banque-finance de l’Université Panthéon-Assas, Paris ll, après un Deug en mathématiques fondamentales et économie de l’Université Aix-Marseille II.

  • Amir Fergani, directeur de la gestion obligataire France et EMEA, Generali Insurance Asset Management S.p.A. Società di gestione del risparmio

    Amir Fergani possède plus de 22 années d’expérience et a rejoint Generali Investments en octobre 2014 en tant que gérant senior en charge des mandats d’assurances et des fonds en valeur de marché, puis responsable de l’équipe taux France et EMEA depuis avril 2016. Avec 63,4 milliards d’euros d’actif obligataire sous gestion au 12 septembre 2023, Amir est responsable d’une équipe de quatre gérants obligataires seniors. En 2010, Amir a rejoint Natixis Asset Management en tant que gérant taux et crédit senior de plusieurs mandats d’assurances et de fonds de pension et après une expérience de 2006 à 2010 chez Swiss Life Asset Management. Amir a débuté sa carrière en 2000 en tant qu’ingénieur financier junior chez HSBC Assurances. Il est diplômé d’un mastère en ingénierie mathématique (école Polytechnique, Paris et Lausanne) et de l’Université Pierre et Marie Curie, Paris VI (DEA de statistique).

  • Emmanuel Teissier, senior vice president, director of corporate credit research Europe, Franklin Templeton Fixed Income

    Basé à Londres, au Royaume-Uni, Emmanuel Teissier est senior vice president et directeur de la recherche crédit pour Franklin Templeton Fixed Income Group. Il supervise l’équipe de recherche sur le crédit d’entreprise en Europe et effectue des recherches sur les secteurs industriels et des services publics européens. En outre, Emmanuel Teissier est membre de l’équipe de gestion pour les stratégies de crédit euro investment grade et high yield, et il est également impliqué dans d’autres stratégies obligataires. Il possède plus de 20 ans d’expérience dans les services financiers. Il a débuté sa carrière chez Ernst & Young à Paris et ensuite chez Moody’s Investors Service à Londres. Avant de rejoindre Franklin Templeton en tant qu’analyste de recherche sur le crédit, Emmanuel Teissier a travaillé pour BNP Paribas en tant qu’associé au sein de l’équipe de gestion Liability. Il est titulaire d’un master en gestion européenne de l’ESCP Business School.

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