Laurent Assaya, associé du cabinet King & Spalding, décrypte les nouvelles tendances qui redessinent le paysage des restructurations : classes de parties affectées (CPA), montée en puissance des outils anglo-saxons et affirmation de nouvelles pratiques contractuelles.
Les CPA sont désormais intégrées au paysage français des restructurations. Quels enseignements retenir de la pratique récente ?

Depuis leur introduction en 2021, les plans avec CPA se sont imposés comme un instrument privilégié des sorties de procédure collective. A mi-chemin entre les plans de sauvegarde ou de continuation prévoyant le remboursement de la dette antérieure sur dix ans, impraticables en cas de cash-flows insuffisants, et les plans de cession dont les valorisations ne permettent en pratique de désintéresser que l’AGS et les frais de justice, les plans avec CPA dessinent une voie médiane pragmatique : permettre aux créanciers un désintéressement partiel via des abandons de créances, ce qu’un tribunal ne peut pas imposer dans un plan classique.
La loi évite les abus grâce à deux mécanismes majeurs : le test du meilleur intérêt des créanciers, assurant à chacun un traitement plus favorable qu’en liquidation judiciaire, et la règle de la priorité absolue selon laquelle une classe de créanciers juniors ne peut recevoir de paiement tant qu’une classe de créanciers seniors dissidente n’a pas été intégralement désintéressée.
La pratique impose aussi des garde-fous. Les plans avec CPA intègrent des clauses de retour à meilleure fortune, notamment en cas de cession ultérieure d’actifs majeurs ou d’écart significatif entre le passif déclaré et le passif admis. Les juges sont également attentifs aux efforts des actionnaires (apport de new money ou réduction de la rémunération des associés fondateurs), aux efforts du débiteur (réduction de la masse salariale, renégociation des baux) et aux discussions de bonne foi menées avec les créanciers.
Comment s’intègrent les mécanismes inspirés du droit anglo-saxon dans notre cadre juridique ?
Les liability management exercises (LME) sont devenus un levier puissant de renégociation de dette outre-Atlantique. Deux techniques se distinguent : l’uptiering, qui modifie la hiérarchie des créances via l’introduction ou le reclassement d’une dette à un niveau plus senior, et l’asset drop-down, qui consiste à transférer certains actifs à une filiale non restreinte (unrestricted subsidiary) en garantie de nouveaux financements. En réponse, les créanciers signent aux Etats-Unis des accords de coopération visant à obtenir un traitement pari passu de tous les créanciers.
Ces pratiques trouveront-elles leur place en France ? La question est permise puisqu’un tel accord a précisément été conclu dans le cadre du dossier Altice et les conseillers financiers commencent à proposer systématiquement aux débiteurs d’étudier la mise en œuvre de ces techniques, avec notamment une revue de tous les baskets (plafonds) de la documentation de crédit.
Est-ce que vous voyez d’autres évolutions sur le marché ?
En distressed M&A, en dépit de l’arrêt de la Cour de cassation du 1er mars 2023 – qui a exclu, contre toute attente, toute obligation du cédant de garantir le succès de la reprise d’une cible en état de cessation des paiements – les règles de place commandent toujours le recours aux protocoles de conciliation homologués pour encadrer les cessions in bonis d’entreprises en difficulté2. Le cessionnaire doit démontrer le sérieux et la robustesse de son plan d’affaires de reprise.
Dans les protocoles de conciliation, le recours aux golden shares se multiplie. Les créanciers imposent une automaticité, en cas de défaut, dans la mise en œuvre de leurs droits, notamment l’activation de droits de vote multiples ou le veto de certaines décisions. Autre outil en plein essor, toujours pour garantir une automaticité en cas de défaillance : la fiducie-sûreté qui isole des actifs clés pour le bénéfice de certains créanciers seulement.
1. Article rédigé en collaboration avec Félicité Viossat.
2. Voir par exemple la cession des actifs de namR à Addactis, du groupe ABM Pharma à Phoenix OCP et de The Kooples au fonds d’investissement Verdoso.