2024, après 1968 et 1981 : quand les marchés prennent le pouvoir

Publié le 28 juin 2024 à 10h00

Jean-Paul Betbèze    Temps de lecture 4 minutes

Des dizaines de milliards (100 dans la foule d’estimations ?) pour le programme « de droite », qui baisse, plus pour celui « de gauche » (200 ?), en baisse aussi. Les estimations chutent, les durées varient : les querelles promettent. Elles ont l’avantage d’éclairer les « solutions » proposées, en montrant leurs tailles et surtout leurs inadéquations aux problèmes qu’elles veulent résoudre. Aux problèmes ou plutôt au problème, car il ne s’agit pas d’inégalités ou de pouvoir d’achat, mais de l’insuffisante rentabilité de l’économie française. Tout en vient : croissance plus faible, productivité amorphe, déficits budgétaires, extérieurs et dette publique en hausse. Or, on parle toujours des effets de cette rentabilité insuffisante, jamais d’elle.

Inquiète, la Bourse baisse parce que les taux montent. Le rendement de la dette publique française passe à 3,1 % contre 2,4 % en janvier. Les portefeuilles, étrangers surtout, se délestent de la dette française dont ils détenaient 53 % fin 2023. Les investisseurs français, notamment les assureurs, attendent. Ce n’est pas qu’ils sont confiants, mais plutôt qu’ils craignent un vent de panique si l’on apprend qu’ils vendent, eux.

Nous verrons ce qu’il en sera par rapport à la dernière émission analysée, en date du 22 mai. Elle a apporté 4 milliards, jusqu’en 2043, dont 46 % servis en France, 200 investisseurs proposant 40 milliards. On peut se féliciter de cette sursouscription, mais sans oublier que le Trésor quête chaque semaine. Ce sont les taux qui importent : la Bourse marque les inquiétudes du moment, mais peut remonter, tandis que les taux d’emprunt sont les frais à long terme de l’Etat, sur plus de huit ans.

En plus, à ces 50 milliards de frais financiers annuels, à payer sur les 3 100 milliards de dette, s’ajoute le déficit des systèmes de retraite. Il serait autour de 1 % du PIB selon le dernier rapport du COR, le Conseil d’orientation des retraites. Et pourtant, les hypothèses qu’il retient ne sont pas si noires : fécondité de 1,8 enfant, croissance annuelle de la productivité horaire du travail de 1 % (à partir de 2040), taux de chômage de 5 % (à partir de 2030). Et, pour ne pas alourdir la note, le COR suppose une retraite qui reste à 64 ans et pense que le niveau de vie moyen des retraités passera, sans problèmes sociaux, de 99 % de celui de la population comme aujourd’hui, à 83 % en 2070.

«Pour les marchés, l’économie française est peu rentable et peu compétitive, donc endettée et sans le degré de liberté de la dévaluation»

Les marchés financiers auront vite fait d’ajouter les déficits économiques et sociaux aux promesses politiques. Elles sont assez modestes pour Gabriel Attal, qui ne veut pas inquiéter plus. Elles sont un peu plus fortes avec l’extrême droite et davantage avec le Nouveau Front populaire.

1968 reste dans la tête de la gauche, notamment du PC, avec les fortes hausses des salaires minimaux de l’époque, mais sans mentionner la dévaluation de 1969. 1981 est davantage dans la tête de la gauche, notamment du PS, avec les hausses des salaires, l’abaissement de l’âge de la retraite et les 35 heures, mais en oubliant les trois dévaluations de 1981, 1982 et 1983. Aujourd’hui, pourtant, on ne peut pas dire que ces chocs politiques ont été surmontés quand on voit le déficit extérieur et le déficit budgétaire, sans possibilité de dévaluer le franc, remplacé par l’euro.

Pour les marchés, l’économie française est peu rentable et peu compétitive, donc endettée et sans le degré de liberté de la dévaluation. Reste l’inflation, mais les taux d’intérêt monteraient. Reste la dette, mais les prêteurs et Bruxelles regarderaient. Reste l’emploi. Les marchés ont compris que c’est le seul ajustement qui demeure, avec son coût social. Ils tireront les sonnettes d’alarme d’autant plus fort que l’extrême droite pense résoudre l’essentiel en bloquant l’immigration et l’extrême gauche en taxant les « riches ».

Or, nous manquons de main-d’œuvre et de capitaux et faisons l’inverse de ce qu’il faut : plus de profitabilité d’abord, mieux répartie ensuite. S’avouer son problème, c’est le début de sa guérison.

Jean-Paul Betbèze Professeur émérite à l’université Panthéon Assas

Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.

Du même auteur

Voir plus

Chargement en cours...

Chargement…