Une politique monétaire par temps de guerres ?
En temps de guerre, les politiques monétaires doivent s’adapter. Regardons la Russie, Israël ou les pays proches des conflits, comme la Turquie, ou alors ceux plus lointains, la zone euro ou les Etats-Unis. Ces cas si variés forcent chaque Banque centrale à changer ses priorités et à les mettre en œuvre, avec plus de difficultés et de risques.
La Russie, pour autant que ses chiffres soient crédibles, connaît une croissance de 3 %, soutenue par une industrie de guerre qui pèse(rait) 8,7 % de son PIB. Elle publie une inflation à 9 %, contre un objectif à 4 %. Cet objectif raté la pousse à augmenter ses taux entre 18 % et 19 %, contre 16 % à 18 % en juillet. Un écart entre inflation et taux d’intérêt d’autant plus étrange que le déficit budgétaire atteindrait 1,9 % du PIB, pour une dette publique de 14,9 % du PIB (selon Trading Economics) : pourquoi être aussi restrictif ? D’autant que les exportations de gaz, de pétrole et d’autres matières premières vers la Chine (avec contrats de longue durée et rabais) ou la Turquie, sont records, sans compter les échanges avec l’Arabie saoudite sur des minéraux stratégiques et même sur de l’or. Mais, encore un fois, pourquoi donc ces taux si élevés ? Pourquoi l’or ? Peut-être parce que le dollar n’est plus aux yeux de la Russie et de l’Arabie, ce qu’il était, depuis qu’Etats-Unis et Europe ont bloqué les 280 milliards de dollars de réserves de la Banque russe, pour sanctionner le pays de son agression contre l’Ukraine. Cet or sera donc de plus en plus gardé à côté du dollar, plus « quelques » yuans dans les deux pays. La Russie dispose en outre des premières réserves gazières du monde, des deuxièmes de charbon et des huitièmes de pétrole, ce qui ne risque pas de confiscation et explique que son économie ne soit pas en crise majeure. Dans ce pays, où l’information est… partielle, l’inflation crédibilise le change, avec 640 milliards de dollars de réserves, moins les 280 « gelés ». Taux à 19 %, inflation à 9 %, réserves libres de 260 milliards de dollars pour un PIB de 2 050 milliards : la politique monétaire russe, c’est tenir le rouble.
«Taux à 19 %, inflation à 9 %, réserves libres de 260 milliards de dollars pour un PIB de 2 050 milliards : la politique monétaire russe, c’est tenir le rouble.»
Israël est en guerre, en plus transparent. Il publie des chiffres sur la récession que connaît l’économie depuis le deuxième trimestre 2024, avec un déficit budgétaire de 4,2 % du PIB, une dette publique à 62 % du PIB et une inflation à 3,5 %, malgré un taux de chômage à 2,6 % (lié à la guerre). Ici aussi, la Banque centrale entend tenir le change. Il est autour de 3,8 shekels contre un dollar. Ce n’est plus 3,2 comme début 2022 (-13 %), tandis que les taux longs grimpent à 5 % contre 4 % début 2024. Les réserves de la Banque centrale, 200 milliards de dollars début 2024, montent à 220 milliards pour un PIB de 500 milliards. Moody’s vient de baisser la note du pays de A2 à Baa1, soit de trois crans depuis février, avec perspective négative. Pas d’or, pas de pétrole, mais des fintechs qui doivent attirer clients et investisseurs, en gardant les cerveaux. Le shekel est stratégique.
La Fed et la BCE ne parlent pas de guerres dans leurs choix, ce qui ne les empêche pas d’en sentir les secousses, pour les réduire. Elles répètent leurs mandats : 2 % d’inflation et chômage réduit pour la première, 2 % d’inflation pour la seconde. Ce climat de guerre pousse les Etats-Unis à accepter plus de déficit budgétaire pour rapatrier certaines activités depuis la Chine. Elles seront subventionnées, pour ne pas alimenter l’inflation : l’Inflation Reduction Act de 2022 est le nom de code de ce protectionnisme écologique, en fait militaire, pour 370 milliards de dollars. Le dollar, c’est pour tout (se) permettre !
L’Union européenne amorce une politique de réduction des dépendances énergétiques, technologiques et en terres rares (chinoises) avec le rapport Draghi. La compétitivité est, politiquement, le concept clé. Pas de surprise si 800 milliards d’euros d’investissements supplémentaires seront nécessaires par an. Des banques et des marchés plus puissants, demande le rapport : ce sera un appui structurel pour la BCE. Face à DES guerres, il faut donc DES politiques monétaires.
Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.
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