Assurance-chômage ou aide au maintien de l’emploi ?
On ne peut imaginer contraste plus marqué entre l’Europe et les Etats-Unis qu’en matière de politique d’emploi au début de la crise de la Covid. Les Etats-Unis ont ainsi recouru massivement à l’assurance-chômage (AC), avec des aides spécifiques aux travailleurs licenciés à la suite de la crise, accompagnées d’une allocation universelle. L’Europe, pour sa part, a privilégié les aides publiques au maintien de l’emploi (AME), versées aux entreprises sous la condition qu’elles n’interrompent pas les contrats de travail et maintiennent les salaires en cas de recours au chômage partiel. Le taux de chômage aux Etats-Unis est passé brutalement de 2 à 12 % de la population active. Il est retombé depuis, mais reste plus élevé qu’avant le choc. En Europe, le taux de chômage n’a que faiblement monté, et est descendu depuis (bientôt plus bas qu’avant la crise, ce qui est une heureuse surprise dans le cas de la France). En revanche, les aides au maintien de l’emploi ont bondi et ont touché plus de 16 % de la population employée.
D’où la question : quelle est la meilleure stratégie, AC ou AME ?
Du strict point de vue de la théorie de l’assurance, l’AC est toujours préférable à l’AME. On est plus près du risque qu’il faut couvrir car on protège directement celui qui le subit, à savoir la personne, et cela même si l’allocation-chômage devait – c’est un point très disputé – entraîner un moindre effort à trouver du travail. De son côté, l’AME protège l’entreprise pour éviter qu’elle licencie, mais avec de nombreux effets de bord : une aubaine au cas où l’entreprise aurait de toute façon conservé ses salariés ; une survie artificielle pour les entreprises qui de toute façon devaient chuter.
L’AC employée comme politique conjoncturelle a le tort de lever les scrupules que peut avoir l’entreprise à interrompre le contrat de travail. C’est un avantage de court terme pour elle, mais qu’elle paie en séparations inefficaces et en coûts de recherche pour remplir les postes de travail perdus une fois la crise passée.
Il est encore tôt – d’autant que la crise sanitaire semble loin d’être finie – pour tirer des conclusions affirmées. S’agissant de l’Europe, la présence de longue date d’un fort filet de sécurité en matière de chômage a justifié qu’elle se concentre sur l’aide aux entreprises, suivant le modèle qui avait réussi à l’économie allemande lors de la crise de 2008. Les Etats-Unis ont une mobilité du travail beaucoup plus grande, ce qui va de pair avec une insécurité plus forte pour les travailleurs en place, mais un coût personnel et collectif du chômage moindre, sachant la facilité à retrouver un emploi. Il fallait plutôt là-bas une aide directe aux personnes.
Mais un indice semble pointer vers la supériorité du modèle européen dans la crise présente. Ceux qui qui ont été licenciés lors de la crise semblent fortement hésiter à revenir vers l’emploi. Aux Etats-Unis, le taux d’activité, c’est-à-dire la proportion de la population qui est ou qui souhaite rentrer sur le marché du travail, a très vite chuté de plus de 3 points à compter d’avril 2020. Il n’est remonté que de 1,5 point depuis, un phénomène appelé là-bas la « Great Resignation » (la grande résignation). Par contraste, le taux d’activité français est 2 points au-dessus de son niveau d’avant-crise et n’a jamais été aussi haut depuis trente ans, alors que le chômage baisse. C’est le dilemme de cette reprise de 2021 aux Etats-Unis : les gens restent chez eux. Ont-ils pris goût au loisir à l’européenne, un bien assez négligé jusqu’alors dans la mentalité étatsunienne et dans les mœurs des entreprises ? Prennent-ils conscience de salaires trop bas (ce qui accroîtrait le fort risque inflationniste actuel si les entreprises acceptaient de suivre) ? Les allocations distribuées leur donnent-elles un temps de respiration ? Le phénomène est particulièrement sensible dans les secteurs d’activité où le télétravail n’était pas une option : verrait-on là un sentiment d’injustice à ne pas avoir bénéficié de cette facilité, ce qui pousse à rester à la maison ou à se tourner vers des secteurs qui le permettent ?
Et pourtant, les Etats-Unis ont beaucoup plus dépensé pour contrecarrer la crise conjoncturelle que les pays européens : plus de 10 % de leur PIB, contre 5 à 6 % ici. Le rapport qualité-prix semble en faveur de l’Europe.
François Meunier est économiste, ancien président de la DFCG
Du même auteur
Réflexions sur la prime de contrôle
Le prix payé par l’acquéreur d’une société intègre le plus souvent une prime dite de contrôle ou de…
Le cash pooling, un concept désuet ?
On ne veut pas ici relier mécaniquement le cash pooling et l’énorme fraude commise par Aurélie B.,…
Faire de la CSRD un atout commercial
Nous y sommes donc. C’est bien dès la fin de cette année, lors de la clôture des comptes 2024, que…