Banques : quel retrait du secteur du charbon ?
Dans le monde, les banques se désengagent lentement des prêts au secteur du charbon. Elles le font non pas en faisant jouer des critères de risque ou de profitabilité, mais sous la pression politique et sociale. Les banques françaises sont parmi les plus performantes.
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Les accords de Paris sur le climat ont été un signal de prise de conscience d’un grand nombre d’acteurs économiques et de mobilisation pour hâter la transition énergétique. Le secteur du charbon, parmi les plus polluants en CO2, est responsable d’environ un quart des émissions. Comment faire en sorte que les producteurs modifient leurs usages et se détournent du charbon ? Ce secteur a fait depuis lors l’objet de stratégies de retrait de la part d’investisseurs et de prêteurs, principalement par une exclusion pure et simple, parfois partielle, souvent échelonnée dans le temps, de leur portefeuille. Quelles peuvent être, en particulier, les raisons ou motivations des prêteurs ? Dans un article présenté récemment aux Entretiens de la finance durable, intitulé « Determinants of coal exit strategies in the banking industry », Benoît Jamet analyse les facteurs spécifiques ou généraux qui influencent le choix de désinvestissement des banques du secteur du charbon, dont le financement total serait de l’ordre de onze cent mille milliards de dollars en cumulé sur trois ans, s’agissant de l’ensemble des financements (prêts et prise de participation). Est-ce avant tout une décision guidée par les caractéristiques financières des banques, risque ou profitabilité par exemple, ou par des facteurs géographiques et politiques, sachant que les politiques environnementales des pays sont plus ou moins contraignantes et que certains pays sont beaucoup plus dépendants du charbon que d’autres ? En étudiant un échantillon de 111 banques, parmi les plus grandes, ayant leur siège dans 39 pays, le chercheur observe les scores de décarbonations attribués par Coal Policy Tool sur la base des déclarations des banques et de la composition de leur portefeuille de crédits. Cent établissements ont déclaré poursuivre une politique de désengagement. La moyenne des scores en 2020 s’établissait à 8,85 sur 50 montrant que l’engagement des prêteurs était encore modeste à cette date. Seules huit banques avaient des scores supérieurs à la moitié et parmi elles quatre étaient françaises.
Des grandes banques meilleures élèves
Ni les indicateurs de risques ni ceux de profitabilité n’ont, sur cet échantillon et à cette date-là, d’influence notable sur les scores. Seule la taille de la banque est un facteur positif et significatif, les plus grandes banques ayant de meilleurs scores que les autres. Ce sont essentiellement les facteurs externes qui semblent motiver les prêteurs : les scores sont plutôt bas par rapport à la moyenne si le siège social est dans un pays producteur ou consommateur de charbon ; ils sont en revanche plutôt meilleurs que la moyenne si le pays a mis en place des politiques ambitieuses de décarbonation.
Cette étude comme d’autres du même acabit indique que les facteurs sociaux et politiques semblent guider les décisions des acteurs économiques en matière de transition énergétique et environnementale. Il est vraisemblable qu’au sein des instances dirigeantes, des salariés ou des représentants d’actionnaires, les sensibilités soient différentes et puissent avoir une influence. La structure, privée ou mutuelle, et l’actionnariat, public ou diversifié, pourraient aussi avoir une influence. Le retrait du secteur sera favorisé par les politiques d’engagement menées par les actionnaires et prêteurs obligataires que sont les investisseurs institutionnels. Sans doute lorsque le mouvement de désengagement du charbon sera plus soutenu, la perception du risque de ces activités en déclin avéré (stranded assets) changera et aura une influence sur la politique de crédit. Pour l’heure, ces crédits représentent environ 1,4 % des portefeuilles et n’ont pas, semble-t-il d’après cette étude, un poids tel que ces stratégies de désengagement soient critiques du point de vue du risque de défaut.
Par ailleurs, la mesure de score de décarbonation est-elle la bonne ? Comme l’ont compris beaucoup d’investisseurs, c’est davantage en conduisant la transformation au sein des entreprises qu’ils financent, que se trouvent les solutions de décarbonation. Ainsi l’accompagnement par le financement de la transition énergétique sera également aussi utile à analyser. Les chercheurs devront donc retourner au charbon…
Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.
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