Chine : la locomotive mondiale en panne
Le ralentissement chinois inquiète en raison de ses répercussions sur la croissance mondiale, laquelle perd un de ses principaux moteurs. La mauvaise gestion de la pandémie de Covid, marquée par des confinements à répétition, a bridé pendant plus de deux ans la consommation domestique, avec une croissance chinoise maintenue à flot grâce aux exportations à destination des économies avancées en pleine reprise post-Covid. La fin de la politique « zéro Covid » et la levée des restrictions sanitaires en décembre dernier laissaient espérer un fort rebond des dépenses des ménages chinois après des mois de frustration. L’euphorie de la réouverture a néanmoins fait long feu. Les effets de base puissants, qui perturbent encore la lecture de la conjoncture, ne peuvent masquer la faiblesse généralisée de la reprise. La consommation se montre incapable de prendre le relais des exportations, lesquelles s’essoufflent en phase avec le ralentissement mondial. L’investissement est en berne, plombé en particulier par la correction du marché de l’immobilier. Rythme de croissance poussif au deuxième trimestre, chômage des jeunes au plus haut, pressions déflationnistes avec un indice des prix en recul en juillet sont autant d’indicateurs qui témoignent de cette inflexion cyclique.
Face à cette situation, Pékin ne distille des mesures de soutien qu’au compte-gouttes, avec notamment une baisse timide des taux d’intérêt, et n’envisage pas à ce stade de plan de relance, comme en 2008. Cette stratégie à rebours de celle choisie en Europe ou aux Etats-Unis témoigne de la prudence des autorités chinoises pour lesquelles le risque d’en faire trop semble aujourd’hui plus élevé que celui de ne rien faire.
Une politique contra-cyclique agressive pourrait, à l’instar du stimulus géant post-crise financière de 2008, nourrir à nouveau des excès financiers avec une accumulation insoutenable de dette, de quoi, à terme, mettre en danger la stabilité politique et sociale. La Chine est victime à son tour d’un supercycle de la dette qui a frappé les Etats-Unis en 2008 avant de se propager en Europe en 2010 puis maintenant au reste du monde. Pékin fait donc le choix de poursuivre les efforts d’atténuation des risques financiers, entamés depuis 2016, à base de désendettement et de réduction des effets de levier excessifs, pour assainir les bases de la croissance. Ce changement de priorité politique où la stabilité financière prime sur la croissance est à la mesure des défis posés par le surendettement de la Chine sur fond de bulles sans précédent, immobilière et d’investissement.
Le cas du secteur de l’immobilier apporte un éclairage saisissant sur l’ampleur des déséquilibres accumulés. Dans les zones urbaines1, le mètre carré construit par habitant s’est inscrit en progression de plus de 6 % par an entre 2011 et 2021, si bien que le parc de logements urbains rivalise aujourd’hui avec celui des économies avancées pour un niveau de revenu par tête bien plus faible. Le secteur immobilier, au sens large, représente en Chine environ 25 % du PIB et 17 % pour la seule construction, une taille surdimensionnée même au regard des situations en Espagne ou en Irlande à la veille de l’éclatement des bulles immobilières de la décennie passée. Les excès sont particulièrement patents dans les villes dites de troisième rang qui représentent 60 % du PIB de la Chine et 66 % de sa population mais 72 % du stock de logements urbains, voire 80 % pour les nouveaux logements construits depuis 2020. Dans ces villes, les collectivités sont extrêmement dépendantes des revenus liés à l’immobilier (plus de 40 % des recettes fiscales) et c’est également là où les entreprises du BTP ou les promoteurs, nombreux et de petite taille, sont les plus endettés. La situation immobilière y est fortement dégradée avec des baisses de prix à deux chiffres, une activité de construction à l’arrêt et de nombreux chantiers laissés en jachère, les promoteurs, sous contraintes financières, étant dans l’incapacité d’achever les travaux. Ces villes secondaires sont également suréquipées, avec une extension des réseaux routiers et ferroviaires bien supérieure à la croissance du trafic.
La purge de ces excès s’annonce lente et douloureuse au risque de plonger l’économie dans une trappe déflationniste à la japonaise. Mais, dans tous les cas, une croissance assainie ne veut pas dire le retour d’une croissance forte alors que la Chine fait face à d’importants défis structurels pour sortir du piège des pays à revenu intermédiaire. Déclin démographique, natalité en berne, vieillissement accéléré de la population, ralentissement tendanciel des gains de productivité dans un contexte de rééquilibrage de la croissance vers le secteur, moins productif, des services, fragmentation économique et commerciale sur fond de rivalité sino-américaine et entrave à l’innovation avec un accès restreint au savoir-faire et aux technologies étrangères sont autant de facteurs qui vont durablement contraindre la croissance de la Chine. De quoi lui faire perdre son statut de locomotive mondiale.
Titulaire d’un Doctorat de Sciences Economiques de l’Université de Paris X Nanterre, Isabelle Job-Bazille a débuté sa carrière chez Paribas en 1997 comme Analyste risque-pays en charge de la zone Moyen-Orient-Afrique. Elle a rejoint Crédit Agricole S.A. en septembre 2000 en tant qu’économiste spécialiste du Japon et de l’Asie avant de prendre la responsabilité du Pôle Macroéconomie en mai 2005. Dans le cadre de la ligne métier Economistes Groupe, elle a été détachée à temps partiel, entre 2007 et 2011, dans les équipes de Recherche Marchés chez Crédit Agricole CIB à Paris puis à Londres. Depuis février 2013, elle est directeur des Etudes Economiques du groupe Crédit Agricole S.A.
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