Comment sauver le Surveillant bancaire américain ?

Publié le 23 juin 2023 à 17h35

Jean-Paul Betbèze    Temps de lecture 4 minutes

Rêve : tout avait bien commencé pour être banquier américain (hors Far West, sans doute), donc pour aisément surveiller son activité. Les banques collectaient des dépôts, rémunérés par exemple à 3 %, pour les prêter ensuite à 5 %. La marge d’intermédiation, 2 %, devait suffire à les faire fonctionner et à rémunérer leurs actionnaires. Cela leur permettait de s’étendre, de faire plus de crédits, donc de collecter plus de dépôts, et ainsi de suite. Le surveillant bancaire devait alors être plus attentif aux comptes, à la qualité des crédits (à leur remboursement) et à ce que les crédits ne progressent pas beaucoup plus vite que les dépôts, avec surtout de trop longues durées de remboursement.

Risque : car on sait comment meurent les banques. Elles n’arrivent pas, un soir, à boucler leur trésorerie, malgré les hausses des conditions de dépôt accordées à leurs clients, malgré les appels aux amis, puis les appels à l’aide, avant l’arrivée de la banque régionale, succursale de la Banque fédérale avec sa poche profonde : l’Etat. Le lendemain elles ferment et sont mises en vente, la semaine qui suit elles rouvrent, sous un autre nom.

Pour éviter cette issue tragique, les surveillants bancaires se démènent : visites, enquêtes, audits, à côté des systèmes internes de contrôle et du travail du conseil d’administration, dont on peut toujours douter. Les trésoriers des autres banques se voient sollicités de plus en plus. Si les banques dépendent plus d’eux, se disent-ils, c’est peut-être parce que les remboursements des crédits se font moins bien et/ou parce que les dépôts entrent moins. Le risque de cette banque est-il en train de monter ? Pour en avoir le cœur net, augmentons donc un peu les taux des financements au jour le jour. Si elle regimbe, cette tension de trésorerie est momentanée, sinon continuons. S’il n’y a toujours pas de réaction, c’est que le cas est plus grave. Viennent ensuite les rumeurs, l’effondrement du cours boursier, puis la fuite des dépôts. Aucune banque ne meurt par surprise.

Mais, aujourd’hui, l’hémorragie de dépôts, qui est toujours la cause immédiate de la faillite, arrive de plus en plus vite dans le milieu bancaire américain, le plus connecté de tous. Les barrières anti-propagation ne marchent pas : elles étaient censées protéger des dépôts en deçà de 250 000 dollars. L’idée était que les gros dépôts non protégés seraient plus inquiets, partant vite et forçant la banque à changer. Sauf que les gros dépôts, qui faisaient l’essentiel des ressources de la Silicon Valley Bank, 16e banque américaine, ne venaient pas de riches adeptes des nouvelles technologies mais de la trésorerie  de leurs entreprises, autrement dit des salaires à verser. Ne plus les protéger, c’était propager des faillites au cœur de ce secteur emblématique.

Les stress tests ne sont pas sans limite non plus. Ils se fondent sur des scénarios officiels, à partir de l’inflation anticipée. Il n’est alors pas très difficile aux marchés de se figurer où peuvent aller les taux courts et longs. C’est ensuite au tour des cryptomonnaies, notamment aux stablecoins, d’être touchées. Elles promettaient de rapporter au moins autant que le dollar, mais si la Fed augmente régulièrement ses taux, comment faire ? Cette impossibilité signe le décès de Signature Bank le 12 mars, pour avoir touché à ces maléfiques monnaies, désormais dans le viseur de la SEC (Securities and Exchange Commission).

Le pire n’est pas encore là, pour notre surveillant de 2023. Les dépôts fuient plus vite que jamais : 40 milliards en un jour à la SVB ! 40 fois plus vite que pour la Washington Mutual, première caisse d’épargne du pays qui meurt le 26 novembre 2008, plus grosse catastrophe, à l’époque, de l’histoire américaine.

Comment faire, si les stress tests déstabilisent, si la garantie des dépôts se retourne contre son objet ? Une solution pourrait consister à segmenter l’épargne, « à la française », cette dernière se répartissant entre livret A, LDD, LEP, PEL… ce qui a le mérite de l’immobiliser en grande partie.

Jean-Paul Betbèze Professeur émérite à l’université Panthéon Assas

Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.

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