De nouveaux Etats-Unis ?

Publié le 1 mars 2024 à 12h44

Jean-Paul Betbèze    Temps de lecture 4 minutes

Que se passe-t-il aux Etats-Unis : l’économie y serait-elle devenue plus résistante aux chocs qui secouent le monde, ou aurait-elle changé ? De fait, la récession tant annoncée n’est pas là, non plus que la baisse des taux d’intérêt qui devait la conjurer. Au contraire, les taux courts sont perchés à 5,5 % par rapport à des taux longs à 4,2 %, ce qui donne « une courbe des taux inversée » (des taux courts supérieurs aux taux longs…), l’indicateur qu’on juge le plus sûr d’une récession à venir. Mais Joe Powell, le patron de la Fed (la Banque centrale américaine), joue les prolongations avant de baisser les taux.

Il a certes cessé de les augmenter depuis plusieurs mois, même si l’inflation s’obstine à dépasser 2 % ce qui est trop pour lui, mais sans annoncer d’inflexion. Il menaçait parfois d’une hausse, sans plus, tout en réduisant régulièrement son portefeuille obligataire, ce qui fait un peu monter les taux longs, mais sans insister. Il reste vigilant, en cherchant à avoir plus de confiance dans la désinflation, sans précision. Ceci n’aide pas les marchés financiers qui veulent des chiffres et des dates de baisse.

Tout ceci montre que l’économie américaine résiste bien à ces taux réels positifs (+ 1,3 %), avec une inflation tenace à 3,1 %. Une inflation vue, dans les sondages auprès des ménages, comme vaincue, avec étrangement un taux de chômage bas, à 3,7 %. Et ceci donnerait une croissance à plus de 2 % en 2024 et en 2025, loin d’une récession ! Surtout, les actions vont très bien : Apple a encore gagné 20 % sur un an, Microsoft 60 %, Amazon 80 % et Nvidia a plus que doublé !

Comment comprendre cette résistance de l’économie américaine, au milieu des problèmes qu’elle rencontre ? Ce sont les problèmes sociaux et sociétaux (liés à l’immigration, politiques) venant de Donald Trump ou encore des problèmes budgétaires – avec ce risque permanent, repoussé de mois en mois, de fermeture des services publics. Ce shutdown aurait pour origine le dépassement de la dette publique sans autorisation du Congrès. Il ne permettrait plus de payer les employés de l’administration. Ceci sans mentionner les tensions raciales, universitaires ou l’extension des drogues dans le pays !

Mutation : il faut chercher ailleurs pour comprendre ce qui se passe dans l’économie américaine : sa résistance aux hausses de taux avec la persistance de l’inflation et surtout ses succès, avec son goût du risque. N’est-ce pas la révolution technologique qui joue, dont l’épicentre serait les Etats-Unis avec ses laboratoires, chercheurs et investisseurs très preneurs de risque, sachant qu’ils en ont les moyens financiers ? Au moins deux tiers des emplois sont touchés par l’intelligence artificielle et devront changer. Mais ils le font mieux qu’ailleurs, avec moins de tensions, notamment en Europe, sous les pressions du profit certes, et plus encore du goût américain pour le succès. Un triple effort d’innovation, de modernisation et de mobilité donne ces résultats qui étonnent. L’argent attire l’argent, le succès et les talents.

On ajoutera que les Etats-Unis s’arrangent avec les règles, c’est vrai. Ils ont adhéré à celles de l’OMC, mais n’obéissent pas vraiment à ses injonctions (tout comme la Chine). L’administration Biden déploie maintenant des mesures protectionnistes : 370 milliards de dollars de l’IRA (IRA : « inflation reduction act ») de subventions aux entreprises pour lutter contre l’inflation américaine, autrement dit contre les exportations chinoises, accusées de tout. Atteinte par ces mesures, après avoir protesté, l’Union européenne ne peut que faire pareil. Faute d’accord et de moyens européens, elle accepte des aides nationales entre ses membres, donc inégales et inégalitaires. En plus, le déficit budgétaire américain (5,8 % du PIB) n’est pas lié aux règles de Maastricht (actuellement 3,6 % du PIB de la zone) et se finance sans problème !

Le « 2 % d’objectif d’inflation » nous obsède, mais les Etats-Unis sont en avance sur la révolution en cours. Ils sont nouveaux.

Jean-Paul Betbèze Professeur émérite à l’université Panthéon Assas

Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.

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