Divulguer le carbone émis, c’est déjà le réduire
Danone a montré la voie de façon très médiatique. L’entreprise comptabilise ses émissions de carbone et les rend publiques, se conformant en cela à la récente obligation légale d’inclure dans le rapport extra-financier annuel un bilan de son empreinte carbone. Mais elle va plus loin en valorisant ce contenu au prix du carbone (par exemple au prix de 50 € qui vaut aujourd’hui en Europe pour la taxe carbone ou de 61 € qui est celui du contrat à terme sur le CO2) et en mesurant l’impact en réduction de son résultat. Ainsi, l’entreprise montre en plus de son résultat comptable, qui est un indicateur de création de valeur actionnariale, ce même résultat réduit du coût du CO2 émis, qui devient un indicateur (parmi d’autres) de création de valeur sociale, prenant en compte les coûts indirects sur l’environnement. Suivi à travers le temps et audité par des tiers, il permet de juger des progrès de l’entreprise en matière de pollution carbone.
La question est : cette divulgation est-elle vraiment efficace, au-delà de ce qu’on appelle de façon péjorative le greenwashing mais qui peut parfois être un marketing intelligent ? Il semble bien que la réponse soit positive, comme le montre une étude faite aux Etats-Unis (*) sur les effets d’une obligation réglementaire faite en 2010 aux producteurs d’électricité à partir du gaz. Si leur production de CO2 dépasse 25 000 tonnes par an, ils sont tenus de rendre public le chiffre du CO2 émis. Avant cette loi, ces producteurs devaient reporter un tel chiffre au régulateur, mais sans obligation de divulgation au public.
Cette simple obligation a eu pour effet de réduire le CO2 émis de 7 % entre 2010 et 2018 sur l’ensemble des entreprises concernées. Par contraste, les entreprises qui y échappaient (parce qu’en deçà du seuil de 25 000 tonnes) ont accru leur consommation carbone de 25 %. Certes, certains gros producteurs se sont hâtés de créer plusieurs filiales pour passer en dessous du seuil, mais le résultat agrégé est bien visible.
On pourrait dire : oui, mais il s’agit là d’une obligation légale. Les entreprises le feraient-elles de leur propre chef s’il n’y avait cette contrainte ? L’heureuse réponse est que la loi n’explique pas tout : ce sont les entreprises cotées, et surtout les plus grandes d’entre elles, celles dont les rapports extra-financiers sont les plus lus, qui ont fait les gains carbone les plus importants (soit 11 % pour celles figurant au S&P 500). La divulgation de la donnée semble être un stimulant et la contrainte légale une discipline créatrice.
L’exemple ne peut qu’inspirer le directeur financier, y compris d’une entreprise qui est en dessous du seuil de 500 personnes ou 100 M€ de chiffre d’affaires à partir duquel la divulgation s’impose désormais légalement en Europe. Il doit peser au mieux l’intérêt pour son entreprise d’anticiper le mouvement et non d’être suiviste. Il doit travailler sur la méthodologie de calcul à retenir et la faire auditer. (S’il y a aujourd’hui un foisonnement assez naturel dans les méthodes retenues en matière de normes ESG, on va progressivement vers des règles uniques, auditables et permettant la comparaison entre entreprises, de façon similaire à ce qu’a été historiquement l’évolution de la comptabilité financière.) Il peut aussi imiter Danone en calculant un résultat net notionnel après coût du carbone. Faire cet effort et le faire savoir peut attirer clients et fournisseurs, ou rendre plus fiers les salariés de l’entreprise. Mais il s’agit aussi d’une mesure de prudence. On voit bien au fil du temps se resserrer les obligations réglementaires et s’élargir le champ de la taxe carbone, comme le montrent les dernières initiatives au niveau européen. Par un tel exercice, l’entreprise se prépare donc à des économies pécuniaires au-delà d’une communication efficace et d’un comportement citoyen.
François Meunier est économiste, ancien président de la DFCG
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