Est-on si sûr que le quantitative easing va faire baisser l’euro ?
Une grande majorité des économistes, des investisseurs, des stratégistes de change pensent que l’euro va se déprécier encore beaucoup par rapport au dollar (jusqu’à 1 dollar par euro ou même moins) avec la faiblesse de la croissance de la zone euro, la reprise économique aux Etats-Unis, le quantitative easing mis en place par la BCE. Cette conviction qu’il va y avoir encore une forte dépréciation de l’euro guide les stratégies d’investissement, de couverture de change.
Il faut pourtant être beaucoup plus prudents : il n’est pas certain du tout que l’euro va encore s’affaiblir. Quels sont les arguments importants ? Tout d’abord, l’écart de croissance entre les Etats-Unis et la zone euro va se réduire, et la zone euro n’apparaîtra plus, en 2015 et en 2016, comme une région à la croissance désespérément faible. Cela provient de ce que la baisse du prix du pétrole profite plus à la zone euro qu’aux Etats-Unis, qui sont un pays producteur de pétrole ; cela provient aussi de la dépréciation déjà acquise de l’euro, de l’assouplissement des politiques budgétaires dans la zone euro, des taux d’intérêt quasi nuls.
Le second argument est lié au comportement des investisseurs non résidents. Le quantitative easing va conduire à l’aplatissement complet des courbes des taux d’intérêt dans la zone euro, puisque la BCE (par l’intermédiaire des Banques centrales nationales) va acheter des quantités importantes de titres publics alors qu’il y a peu de vendeurs (les Banques centrales conservent leurs réserves de change, les banques utilisent les titres publics comme réserves de liquidité, les assureurs ne peuvent pas substituer facilement d’autres actifs aux obligations d’Etat en raison des règles de Solvabilité 2) ; cela va décourager les investisseurs d’acheter des obligations européennes ce qui est bien sûr défavorable à l’euro. Mais il ne faut pas oublier que le quantitative easing, comme on l’a déjà vu aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, au Japon, va conduire à une hausse importante des cours boursiers en Europe, les investisseurs substituant des actions aux obligations. Cela attire déjà, depuis le mois de décembre 2014, de très importants capitaux de non-résidents sur le marché des actions européennes, et ces entrées de capitaux bien sûr vont dans le sens de l’appréciation de l’euro.
Enfin, il ne faut pas oublier que, pour qu’il y ait une forte dépréciation de l’euro, il faudrait que, comme on l’a vu au Japon, les investisseurs domestiques européens investissent massivement en devises étrangères, afin d’obtenir des rendements plus élevés que sur l’euro. Mais les règles prudentielles (Solvabilité 2 pour les assureurs) limitent considérablement la capacité des investisseurs à investir en devises.
Au total, avec le redressement de la croissance de la zone euro, avec l’attrait des actions européennes pour les non-résidents, avec les limites à la diversification en devises des investisseurs de la zone euro, il est peu probable que l’euro se déprécie encore beaucoup. Attention à ne pas suivre sans réfléchir le consensus sur le taux de change dollar-euro.
Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Devenu en 1998 directeur de la recherche et des études de Natixis, il est promu chef économiste en mai 2013. Depuis septembre 2024, il est conseiller économique d'Ossiam. Il est également membre du Cercle des Economistes.
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