Gestion des risques : ne plus se couvrir au premier euro !
Le dollar monte, le pétrole baisse, les taux d’intérêt sont à la cave : rarement un tel alignement astral pour les entreprises françaises ! Sauf pour celles qui s’étaient couvertes contre la hausse du dollar ou contre la baisse du pétrole et des taux d’intérêt ! Air France par exemple aurait pu économiser 2,25 milliards de dollars sur ses coûts de carburant en 2015 si elle ne s’était pas assurée, comme elle le fait, à 60 %. Evidemment, il ne s’agit que d’une perte d’opportunité. Qui irait reprocher à l’entreprise de s’être couverte ? C’est quand la maison brûle qu’on est content d’avoir payé ses primes d’assurance.
Vraiment ? N’y a-t-il pas quand même surassurance ? Ici, une expérience personnelle. Ancien responsable d’une grande institution, nous avions l’habitude, par demande de nos actionnaires, de couvrir nos vastes positions de change au premier euro. Position certes confortable, mais qui n’empêchait pas l’exercice hygiénique consistant à se demander : que ce serait-il passé si, sur longue période, nous n’avions pas été couverts ? La réponse dans le cas précis est brutale : l’institution, très bien notée, aurait économisé de l’ordre de 0,6 % sur ses expositions, ce qui équivaut à un coût supérieur à 1,2 % pour une entreprise qui n’est pas investment grade. Est-ce à dire qu’il faut abandonner l’assurance ? Bien sûr que non. Il faut simplement voir que l’assurance a un coût et qu’en principe l’entreprise ne doit pas perdre davantage en performance moyenne que ce qu’elle gagne en réduction de volatilité. Ce coût ne se lit pas simplement dans les commissions ou primes d’assurances versées ; il est parfois plus occulte, caché dans les spreads que les banques facturent, qui n’apparaissent pas en compte de résultat.
On connaît le biais psychologique du trésorier d’entreprise. Mansuétude pour lui s’il annonce une perte parce qu’il s’est couvert. Mais poste en jeu s’il vient dire piteusement qu’il a perdu parce que non couvert, le comité d’audit oubliant les nombreuses années où la position a été gagnante. Fort de cela, il se couvre, avec d’autant moins de gêne que ses concurrents – qu’on pense aux compagnies aériennes face au risque carburant – le font aussi, par comportement moutonnier, ce qui préserve la compétitivité.
Tout cela pour rappeler que la protection du bilan nécessite une réflexion globale et stratégique et que se couvrir trop aisément inhibe cette réflexion. En premier lieu vient la protection «en physique» plutôt qu’«en financier». Si vos recettes sont en dollars, l’idéal, mais pas toujours possible, est de localiser les coûts correspondants en dollars. Se rappeler en second que les fonds propres ont principalement une fonction assurantielle dans un bilan. Ils sont même une assurance tout risque, c’est-à-dire attrape-tout. Elle est coûteuse, mais souvent moins que 1,2 % de l’exposition à risque. Attrape-tout, parce que le choc sur un élément du compte d’exploitation est fréquemment compensé par un choc de sens inverse sur un autre élément. Exemple : le dollar varie souvent en sens inverse du prix du pétrole. Couvrir l’un sans couvrir l’autre – ce que fait Air France – ou couvrir intégralement les deux est une forme de surassurance.
Restent enfin les risques catastrophes, ceux qui dépassent un certain pourcentage des fonds propres au bilan. Ceux-ci justifient à l’évidence une assurance externe. Beaucoup d’entreprises (toutes ?) ont intérêt à abandonner l’assurance au premier euro et à passer à des formules «en excédent de pertes» ou leur équivalent sous forme d’options, capables de couvrir ceux des risques qui menacent les comptes d’une année et qui faussent gravement la perception des partenaires de l’entreprise. Pour le reste, il est inutile de couvrir le bruit incontournable des marchés et de l’opérationnel. D’autant plus s’agissant d’entreprises cotées en bourse, puisque les actionnaires peuvent opérer la réduction de risque simplement par diversification de leur portefeuille boursier.
Enfin, il est recommandé de distinguer la protection par les marchés financiers de la protection offerte par les compagnies d’assurance. La première ne fait qu’un transfert de risque. La seconde – qu’on pense par exemple à l’assurance grands risques industriels ou à l’assurance crédit – ajoute à cela un service de sélection et de surveillance des risques, ce qu’on nomme la «prévention», souvent plus efficace si elle est déléguée à un agent externe, en relais de la gestion interne des risques.
François Meunier est économiste, ancien président de la DFCG
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