Il faudra bien que la liquidité s’investisse

Publié le 12 février 2016 à 18h13

Patrick Artus

En décembre et en janvier 2015, on a observé une forte dégradation des marchés financiers de la zone euro : recul des cours boursiers, ouverture des spreads de crédit. Il existe bien des causes objectives à cette dégradation des marchés financiers européens. D’abord, l’incertitude sur la politique de change de la Chine. Le problème fondamental de l’économie chinoise est la dégradation de la compétitivité-coût, avec les fortes hausses de salaires, qui fait disparaître le modèle traditionnel de croissance de la Chine, l’assemblable de produits milieu-bas de gamme. Une situation de facilité (par rapport à la montée en gamme de l’économie qui est la solution difficile) est alors de déprécier fortement le taux de change RMB (yuan). Ceci réduirait la valeur en euros du chiffre d’affaires en Chine des entreprises européennes, d’où la réaction des marchés financiers.

La seconde cause de dégradation des marchés financiers de la zone euro est la chute du prix du pétrole. Au niveau où les prix du pétrole sont parvenus (30 dollars le baril ou en-dessous), la baisse des prix devient objectivement défavorable : crise économique dans les pays exportateurs de pétrole (Russie, pays de l’OPEP), graves difficultés des entreprises du secteur pétrolier ou des services pétroliers. Ces difficultés ont conduit à une violente ouverture des spreads de crédit aux Etats-Unis, qui s’est transmise à la zone euro.

Enfin, les marchés financiers de la zone euro ont réagi à la chute de la croissance dans de grands pays émergents (Brésil, Afrique du Sud, Turquie) touchés à la fois par des difficultés structurelles (insuffisance des investissements publics) et par le retrait des capitaux des investisseurs de l’OCDE.

La Chine, le pétrole, les émergents, il existe donc des raisons objectives au recul des marchés financiers de la zone euro. Mais, il ne faut pas oublier deux facteurs qui vont en sens inverse.

Tout d’abord, la situation économique de la zone euro s’améliore solidement. Grâce à la baisse du prix du pétrole, à la dépréciation de l’euro, la demande de biens et services progresse ; grâce aux réformes (marchés du travail en Espagne et en Italie, baisse des impôts des entreprises en France et en Italie) l’emploi se redresse, la profitabilité des entreprises s’améliore nettement. Même si seulement 35% des chiffres d’affaires des entreprises cotées de la zone euro sont faits dans la zone euro, les bénéfices par action de ces entreprises ont progressé de 13% en 2015, et devraient progresser de 9% en 2016.

Ensuite, la BCE poursuit le Quantitative Easing et, avec la faiblesse persistante de l’inflation, devrait l’amplifier et (ou) le prolonger dans le temps. La liquidité créée par la BCE (60 milliards d’euros par mois) en échange de l’achat de dettes publiques et de covered bonds ne peut pas rester durablement investie en cash à taux d’intérêt négatif ; la stabilisation du taux de change de l’euro montre que la liquidité est beaucoup moins investie à l’étranger qu’avant, ce qui résulte de la dégradation de la situation économique perçue du Monde en dehors de l’Europe.

Au contraire, on l’a vu, la situation économique de la zone euro s’améliore. On doit donc, quasi mécaniquement, voir revenir sur les actifs de la zone euro la liquidité créée par la BCE, ce qui va redresser dans le futur les marchés financiers de la zone euro.

Patrick Artus Membre du Cercle des Economistes

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Devenu en 1998 directeur de la recherche et des études de Natixis, il est promu chef économiste en mai 2013. Depuis septembre 2024, il est conseiller économique d'Ossiam. Il est également membre du Cercle des Economistes.

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